Affaire Cyuma Hassan : le parquet perpétue la farce

Cyuma Hassan

Par The Rwandan Lawyer

Le youtubeur Cyuma Hassan Dieudonné a récemment été condamné à 7 ans d’emprisonnement pour 4 chefs d’accusation dont faux, usurpation d’identité et obstruction criminelle à des agents de sécurité et humiliation d’agents de l’État. Conformément à l’article 9 de la loi nº 69/2019 du 08/11/2019 modifiant la loi nº 68/2018 du 30/08/2018 déterminant les infractions et les peines en général traitant du délit d’humiliation des autorités nationales et des personnes chargées de la fonction publique, l’article 233 de la loi nº 68/2018 du 30/08/2018 déterminant les infractions et les peines en général est abrogé. Le ministère public se fonde sur cette disposition pour introduire un deuxième recours et non l’avocat de la défense en faveur du journaliste. Les présentes lignes analysent toutes ces considérations.

L’organe national des poursuites pénales (NPPA) a fait appel de la récente décision de la Haute Cour dans laquelle Dieudonné Niyonsenga alias Cyuma Hassan, propriétaire d’une chaîne YouTube connue sous le nom d’Ishema TV, a été condamné à sept ans de prison et à une amende de 5 millions de francs rwandais.

L’Accusation a annoncé son intention de faire appel quelques jours après la condamnation de Niyonsenga.

Le jeune homme a été reconnu coupable de quatre crimes, dont la falsification, l’usurpation d’identité et l’entrave criminelle à l’encontre de responsables de la sécurité et d’humiliation de fonctionnaires de l’État.

« Le parquet a déposé un 2ème appel dans l’affaire Niyonsenga Dieudonné alias Cyuma Hassan. Le motif de l’appel est de corriger une erreur condamnant Cyuma pour le crime d’humiliation de fonctionnaires, un crime qui a été abrogé en 2019 », lit-on dans le communiqué publié par le NPPA le mardi 16 novembre 2021.

L’Accusation a demandé que les trois autres chefs d’accusation, liés à l’agression et à l’entrave criminelle à l’encontre d’agents de sécurité, la pratique du journalisme sans l’autorisation requise, la falsification et la présentation de fausses cartes de presse, ainsi que la peine restent inchangés.

Les crimes ont été commis le 15 avril 2020 lorsqu’il a refusé d’obéir aux responsables de la sécurité qui lui ont demandé de se conformer aux mesures préventives COVID-19.

À l’époque, il avait été arrêté puis acquitté par le tribunal intermédiaire de Gasabo. L’Accusation a fait appel du verdict, après quoi il a été condamné à sept ans de prison par la Haute Cour qui a également ordonné son arrestation. Il a été arrêté le 11 novembre 2021 un jour après que le tribunal a rendu le verdict.

Nemo auditur propriam turpitudinem allegans

La règle « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » signifie que nul ne sera entendu, qui invoque sa propre culpabilité. La maxime représente un rejet pour ceux qui cherchent à s’appuyer sur leur propre turpitude pour faire face à la justice, car les actes immoraux ne doivent être protégés par la loi. Elle est appliquée dans la plupart des systèmes juridiques et empêche quiconque de faire valoir un droit acquis par fraude. Cependant, conformément au principe juridique « nemo auditur propriam turpitudinem allegans », il n’était permis à aucune partie, en l’espèce l’appellant, de bénéficier d’une omission de sa part, car cela serait injuste pour les parties adverses.

Avec l’affaire Cyuma Hassan, on se demande pourquoi le parquet admet ses erreurs tout en demandant le maintien des mêmes peines. On se demanderait des lors s’il est préoccupé par la pure et simple rectification sans effet sur la peine alors que, en principe, il est appelé à plaider à charge et à décharge; ce qui l’aurait logiquement poussé dans cette dernière alternative à requérir des circonstances atténuantes en faveur de Cyuma Hassan mais son recours n’apporte rien de concret. 

Complicité de l’avocat de la défense

On se demande pourquoi l’avocat de la défense n’a pas découvert l’illégalité de défendre son client jusqu’à ce que l’accusation décide de demander la rectification de l’erreur alors qu’il s’agissait d’une arme offerte à l’accusé pour prouver l’injustice qu’il subit et donc l’arbitraire et abus de droits commis quotidiennement par les organes d’enquête et de poursuite rwandais.

S’il ne s’agit pas d’une erreur humaine, l’avocat de la défense n’a pas légalement et doublement assisté son client soit en raison d’intimidations par les services de sécurité, soit en pot-de-vin pour en devenir complice.

Cumul des pénalités vs application de la peine sévère

Il y a concomitance d’infraction lorsqu’une infraction est commise par une personne avant que cette dernière n’ait été définitivement condamnée pour une autre infraction. Dans ce cas, peu importe que ces actes aient été commis presque simultanément ou à des moments différents.

Deuxièmement, il peut y avoir cumul d’infractions lorsqu’un individu n’a commis qu’un seul acte si cet acte est couvert par plusieurs textes. Il s’agit d’un acte unique qui relève du champ d’application de deux textes différents. Ex : un individu commet une imprudence qui blesse deux personnes ; l’un est invalide depuis plus de trois mois, l’autre depuis moins de trois mois (infraction). Ex : un viol est commis dans un lieu public ; cet acte est visé par le texte qui réprime le viol, mais aussi par celui qui réprime l’exhibition sexuelle imposée au regard d’autrui. Si on dit qu’il y a deux infractions, il y aura une combinaison d’infractions.

En principe, il n’y a qu’une seule infraction car un seul acte a été accompli. L’infraction la plus grave est prise en compte. C’est la solution de principe. La Cour de cassation a précisé qu’« un même fait, autrement qualifié, ne saurait entraîner une double condamnation ». Par exception, l’acte unique visé par deux textes différents constitue deux infractions, qui sont des infractions de concurrence. Certaines infractions surviennent lorsque les deux textes protègent des valeurs différentes. Ex : un texte protège les biens, l’autre l’intégrité physique, ou les personnes.

Lorsque, au cours d’une même procédure, le prévenu est reconnu coupable de plusieurs infractions concurrentes, chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, une seule peine de cette nature peut être prononcée dans la limite du maximum légal le plus élevé. Chaque peine prononcée est réputée commune aux infractions en compétition dans la limite du maximum légal applicable à chacune d’elles.

Dans certains cas exceptionnels, les infractions en concours ne sont considérées que comme une infraction unique mais la sanction applicable à cette infraction est aggravée.

Si le tribunal a appliqué le cumul des peines, il doit supprimer la peine appliquée à l’infraction qui a été abrogée ou conformément au principe fraus omnia corrumpit qui semble être l’effet de la règle nemo auditur propriam turpitudinem allegans annuler le jugement et par conséquent libérer le journaliste.

Comme l’a tweeté Jeffrey Smith, la farce abjecte continue dans l’affaire du youtubeur Cyuma Hassan au Rwanda. C’est comme une page directement d’un roman dystopique. Un cas parmi tant d’autres témoignant que la répression contre l’opposition et les médias se poursuit au Rwanda. Manifestement, la justice rwandaise se ridiculise jusqu’à ce qu’elle ose violer le principe de légalité des délits et des peines en condamnant quelqu’un pour un délit qui n’est plus puni car le texte l’incriminant est abrogé. Considérerions-on toujours pour les magistrats rwandais la règle « curia novit jus » (le tribunal connaît la loi) si la toute récente loi pénale est ignorée par le juge en charge du dossier ?

1 COMMENT

  1. Le ministère public a interjeté appel de la décision en première instance favorable à l’accusé.
    Les juges d’appel lui ont donné raison et ont conséquemment condamné l’accusé à 7 ans ferme et 5000 dollars US.
    Dans son appel, il a invoqué les loi rwandaises en vigueur qui prévoient que les faits imputés à ‘accusé sont constitutifs d’infraction précise. Sans loi il n’y a ni infraction ni peine.
    Il a invoqué des lois inexistants contre l’accusé.
    Toute décision judiciaire doit être motivée. Le juge précise les lois, fondement de sa décision qu’il soit favorable ou défavorable à l’accusé. Il s’agit d’une obligation insusceptible de dérogation.
    Dans le cas présent, au titre de fondement de sa décision négative contre l’accusé, Niyonsenga Dieudonné dit Cyuma Hassan, comme le ministère public a invoqué des lois inexistantes. L’avocat de la défense qui, je subodore a suivi les enseignements de droit pénal, n’a pas contesté cette énormité inexcusable pour les juges. Question: pourquoi?
    Suite à la réaction négative de l’opinion public rwandaise sur l’erreur volontaire des juges qui porte gravement atteinte non seulement à l’impartialité présumé du juge rwandais mais également à l’image de la de celui-ci aux yeux du monde, le ministère public qui, il faut il faut le rappeler, agit au nom de la société ou du peuple rwandais en l’espèce a interjeté appel de la décision qui lui est favorable non pas pour contester la décision du juge d’appel mais pour demander au juge en dernier ressort de corriger les erreurs ou les énormités graves commises par lui. Ces erreurs sont sont l’inexistence des lois dans notre pays qu’il a invoquées contre l’accusé et qui ont été retenues par les juges d’appel.
    Dans son recours en appel de la décision en dernier ressort, l’appelant conteste la légalité de celle-ci et demande au juge de vérifier cette légalité. Ila donc demandé à la juridiction suprême de censurer la non-conformité de la décision par rapport aux règles du droit ou la loi en vigueur.
    Les questions que tout Rwandais peut raisonnablement se poser sont les suivantes:
    1/ quelle est la loi qui qui a été méconnue par le juge d’appel dans sa décision favorable au ministère public?
    2/ y a-t-il actuellement dans notre pays des lois qui prévoient que le ministère public ou toute partie au procès peut invoquer des lois qui n’existent pas contre un accusé à savoir Niyonsenga Dieudonné?
    3/ Comment un juge qui a fait les études droit a-t-il fondé sa décision contre ce journaliste sur des lois qui n’existent même si l’accusé n’a pas contesté cette inexistence?
    4/ La cour saisie par le ministère public aux fins de rectification de l’erreur grave commise par le même ministère public, que va-t-il faire?
    Que les experts en droit puissent nous éclairer
    Puisque le cas porte sur le droit et la liberté d’information et de communication du journaliste prévus par les lois rwandaises et que, à peine de mauvaise fois, la qualité de journaliste de Niyonsenga ne peut être contestée, celui-ci pouvait-il préalablement et à bon droit exciper de la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) ? La QPC est le droit reconnu à toute personne, partie à un procès au Rwanda, de soutenir qu’une disposition législative est contraire aux droits et libertés garantis par la constitution en vigueur au Rwanda, le tout bien entendu à l’exclusion des lois qui n’existent pas.

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