*Comme une rivière sans fin*

Imaginez que vous ayez grandi dans une famille d’éleveurs dans un village d’Afrique australe. Imaginez que vous n’ayez pas eu l’opportunité d’aller à l’école, juste parce que vous êtes une fille. Imaginez que vous étiez si déterminée malgré tout, que vous vous êtes apprise à lire et à écrire vous même dans les livres d’école de votre frère. Imaginez que vous aviez été mariée jeune et que vous aviez déjà trois enfants avant l’âge de dix-huit ans. Abandonneriez-vous vos rêves ? Vous résoudriez à accepter la place que la société vous a donné ? Ou au contraire, continueriez-vous à croire que votre vie pourrait encore changer?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Tererai Trent du Zimbabwe. Tererai est née en 1965 dans le village de Zvipani dans la province de Mashonaland West au Zimbabwe. À cette époque, le Zimbabwe était encore une colonie britannique et s’appelait la Rhodésie.

«Les Britanniques ont colonisé le Zimbabwe en 1888 et des communautés comme la nôtre ont été chassées de force de nos demeures ancestrales et reinsatllles dans des zones ingrates jugees invivables pour les colons européens. Classée par les colons européens comme ‘réserve autochtone’ en 1913, ma région natale, Hurungwe, est devenue l’une des réserves africaines les plus vastes et les plus pauvres du Zimbabwe. Aujourd’hui, on l’appelle encore la ceinture anti-moustiques et anti-mouches tsé-tsé. Notre village est aux prises avec des maladies, de la pauvreté et d’un manque de ressources de base – eau potable, électricité, soins de santé, éducation et, parfois, nourriture – et ce, depuis des décennies.»

Comme beaucoup de filles à cette époque (et même à ce jour), Tererai n’a pas pu aller à l’école quand elle a atteint l’âge d’être scolarisée. La famille avait choisi d’éduquer leur fils Tinashe et Tererai était condamnée à rester à la maison, aidant sa mère de différentes taches ménagères et s’occupant du bétail de la famille.

Elle enviait beaucoup son frère d’avoir été autorisé à aller à l’école et lui en voulait aussi car le petit garçon ne semblait guère intéressé à apprendre quoi que ce soit. Un jour, Tererai a décidé d’emprunter les livres de son frère et a commencé à apprendre à lire et à compter d’elle-même, parcourant avidement les ouvrages pendant qu’elle surveillait les vaches.

La jeune fille ne s’arrêta pas à emprunter les livres de son frère: elle commença à faire ses devoirs, au grand plaisir de son frère qui était bien trop heureux de les présenter a l’école comme étant son propre travail.

Toutefois, l’enseignant n’a pas été dupe en voyant à quel point la qualité des devoirs de Tinashe s’était tellement améliorée en très peu de temps. Quand il a compris que c’était le travail de sa sœur Tererai, le maitre est allée voir les parents de Tererai pour les convaincre de l’amener à l’école.

Son père a fini par céder – à contrecœur – et Tererai a été autorisée à aller à l’école, mais cela ne dura pas longtemps. À cette époque, la guerre de libération du Zimbabwe, qui avait éclaté un an avant sa naissance, avait pratiquement touché tout le pays, y compris son village.

Tererai s’en souvient comme d’un temps de division pour son peuple, certains hommes rejoignant la rébellion, d’autres optant pour de combattre aux côtés du colonisateur. 

Comme trop souvent dans les conflits, 
les femmes et filles étaient les plus exposées.

«Alors que toutes les femmes et les filles étaient en danger de violences sexuelles lorsque les soldats passaient dans leurs maisons, les jeunes femmes et filles célibataires étaient les plus vulnérables. Plutôt que de laisser leurs filles être abusées sexuellement, les pères et les chefs de clan préféraient forcer les très jeunes femmes à se marier comme pour leur assurer une sorte de protection », écrira-t-elle dans son livre ‘La femme éveillée’.

Son père a donc donné sa fille de 11 ans en mariage à un homme plus âgé. Son mari était un homme très violent et Tererai s’est retrouvée piégée dans la même vie de misère que sa mère et ses tantes avaient vécues avant elle. La première chose que son mari a faite a été de l’empêcher de lire et il la battait à chaque fois qu’il la surprenait en train de lire!

«C’est dans cet environnement que j’ai eu mon premier enfant, j’étais à peine âgée de quatorze ans. À dix-huit ans, j’avais déjà quatre enfants.»

«Je viens d’une longue lignée de femmes qui ont été forcées de mener une vie qu’elles n’ont jamais choisies. J’ai vécu toute ma vie dans un village pauvre et j’ai constaté à quel point la pauvreté et le manque d’éducation forçaient pratiquement les femmes dans une vie de servitude et leur enlevaient l’estime de soi.»

La jeune adolescente mère de famille essaya de trouver la force d’accepter sa situation en regardant l’exemple des autres femmes autour d’elle.

« Malgré mon mariage précoce et violent, la détermination et le génie des femmes qui m’entouraient, qui avançaient dans leur vie avec stoïcisme malgré les épreuves auxquelles elles étaient confrontées, ont semé une graine, une envie de vivre une vie différente. Pourtant, ce n’était pas si facile de changer ma vie.»

Vous vous dites surement que son destin était scellé et qu’elle se leurrait de croire qu’elle pouvait s’extirper cette prison vivante? Pas si vite! Nous sommes quand même dans le mois où nous célébrons des femmes qui ont osé suivre leurs rêves, non?

Quand elle avait environ 17 ans, sans diplôme et sans perspectives d’avenir, Tererai a rencontré une femme humanitaire qui allait profondément marquer sa vie juste avec quelques simples mots: 

« Si vous croyez en vos rêves, ils se réaliseront.» La femme s’appelait Jo Luck. Tererai allait la revoir plusieurs années plus tard dans des circonstances completement différentes!

Avec cette inspiration et les encouragements de sa mère, Tererai a écrit ses rêves : aller en Amérique, y poursuivre des études supérieures, et devenir docteur. Elle a placé le papier dans une boîte de conserve, l’a scellé et enterré sous un rocher. Elle ne savait pas qu’elle réaliserait tous ses rêves et bien plus encore. 

En 1998, son mari a amené sa famille en Oklahoma, aux Etats-Unis. Elle a décidé de prendre des cours par correspondance à l’insu de son mari et a commencé à économiser de l’argent. Lorsqu’elle s’est sentie suffisamment en confiance avec ses propres capacités, elle a postulé à l’école et a été admise à la Oklahoma State University. Son mari ne pouvait rien faire à ce sujet, ils étaient aux États-Unis et elle ne le laisserait plus se mettre en travers de ses rêves.

En 2001, cette mère courageuse de cinq enfants a obtenu une Licence en sciences agricoles et, deux ans plus tard, une maîtrise dans le même domaine. Ses enfants étaient sa plus grande motivation:

«Je ne peux pas parler de l’éducation de mes enfants quand je ne le suis pas moi-même. C’est seulement si je m’éduque moi-même que je pourrai alors éduquer mes enfants. « 

Son mari abusif a été expulsé des Etats-Unis, mais elle et ses enfants y sont resté et elle a poursuivi ses études. En décembre 2009, Tererai a obtenu un doctorat à l’Université Western Michigan University. 

Après avoir obtenu chaque diplôme, le Dr Tererai Trent est retourné au Zimbabwe, a déterré sa boîte de conserve et vérifié chaque rêve qu’elle a réalisé, un par un. Elle avait atteint tous ses rêves !

Imaginez qu’Oprah Winfrey a entendu parler de son histoire et l’a invitée à l’émission dans la fameuse Oprah Winfrey Show ! La reine des talk-shows décrira plus tard la rêveuse Zimbabwéenne comme son invité favori de tous les temps! Et devinez qui est-ce qu’Oprah a réuni avec Tererai sur son plateau télévisé? Jo Luck, la femme humanitaire qui avait changé sa vie par quelques mots d’encouragement alors qu’elle traversait une des périodes les plus difficiles de sa vie.

Quand elle a créé sa fondation, la fondation Tinogona («Tinogoma» signifie «c’est réalisable»), une organisation qui vise à fournir un accès universel à une éducation de qualité pour tous les enfants, sans distinction de sexe ou d’origine, Oprah a immédiatement fait un don de 1,5 million de dollars afin que Dr Trent puisse construire une école dans son village natal au Zimbabwe! 

L’école primaire de Matau a été achevée en 2014, avec plusieurs salles de classe desservant des milliers d’élèves. Comme vous l’avez deviné, les filles sont très présentes aujourd’hui, alors qu’il n’y en avait aucune quand elles avaient leur âge.

À ce jour, sa fondation a construit onze écoles au Zimbabwe et a aidé plus de 5 000 enfants à aller à l’école.

En 2015, Madame le Docteur Tererai Trent a publié un livre pour enfants sur sa propre vie, intitulé ‘La fille qui a enterré ses rêves dans une boîte’. 

En 2017, elle a publié «La femme éveillée – Se souvenir et raviver nos rêves sacrés», où elle partage les leçons qu’elle a apprises tout au long de son parcours unique. Dans son best-seller, dont la préface a été écrite par nul autre qu’Oprah Winfrey, Tererai appelle les femmes à réveiller les rêves qui sont enfouis dans leurs cœurs et à trouver leur propre chemin dans la vie. Le livre a remporté le prix NAACP 2018 pour son travail littéraire exceptionnel.

Le Dr Trent a reçu plusieurs diplômes honorifiques au fil des ans, notamment un doctorat honorifique en sciences de l’Université du Massachusetts et un doctorat honorifique en développement des femmes et des sexes de l’Université des femmes du Zimbabwe en 2013, ainsi qu’un doctorat honorifique en lettres humaines de l’Oklahoma State University et Doctorat honorifique en sciences de l’Université Loyola de Chicago en 2014.

En fait, je dois faire une petite correction: Tererai Trent est maintenant Professeur Trent. Le scientifique originaire du Zimbabwe est maintenant une professeur auxiliaire en Santé Publique à l’Université Drexel de Pennsylvanie. Entretemps, elle s’est remariée à Mark Trent, un phytopathologiste qu’elle a rencontré à la Oklahoma State University.

Merci pour votre contribution à l’héritage de l’Afrique, Prof. Tererai ! Vous êtes la preuve vivante que les rêves peuvent de réaliser si on croit en soi-même et si quelqu’un croit en vous!

Bonne célébration du mois international des droits de la femme!

Contributeur

Um’Khonde Habamenshi