Kenya : De la Mercedes à la Volkswagen ou comment Uhuru tue Jomo

Une blague un peu grossière circule au Kenya depuis que la tribu Kikuyu existe. Il se raconte que pour s’assurer du décès d’un Kikuyu, il est recommandé de jeter à côté de son cadavre une pièce de monnaie. Si le cas est vraiment plié, on n’aura aucune réaction ; par contre si le gars est encore en vie, on le verra réagir immédiatement au son de la pièce touchant le sol ! Tout ceci pour dire que les Kikuyu n’ont qu’une seule devise : « besha bere ! », c’est à dire les sous d’abord… Qu’a-t-on donc donné au président Uhuru Muigai Kenyatta (ou plutôt combien) pour qu’il consente à s’embarquer, aux côtés de deux pyromanes, dans une aventure qu’en d’autres temps son paternel aurait certainement condamné ? S’il arrive à certains fruits de tomber loin de l’arbre, le cas désespérant de Kenyatta fils laisse suggérer que le fruit n’a jamais mûri, du moins qu’il tardera à l’être.

Et pourtant lorsqu’il gagne la présidentielle, beaucoup ont cru assister à la résurrection et de son pays et du bad boy qu’il a jusque-là été. Le Uhuru connu pour son goût immodéré pour d’interminables soirées bien arrosées. Le Uhuru que personne n’a voulu voter lorsqu’en 1997 il tente de gagner le siège de la circonscription électorale de Gatundu South, village natal de son père situé dans le district de Thika. Lui-même s’est cru sans avenir politique après avoir été platement battu par un architecte moins connu de Nairobi (Moses Muhya). Son sacre d’avril 2013 a donc fait croire qu’il allait dignement assumer le Harambe (agir ensemble – togetherness), précieux héritage d’un Jomo Kenyatta. « Materné » par arap Moi le successeur de son père, Uhuru s’installe, cahin caha, dans les allées du pouvoir et les signaux que son action ministérielle ont envoyé au public ne pouvait laisser imaginer un début de mandat aussi controversé que désastreux.

Qui n’a en effet pas applaudi l’initiative qu’en tant que ministre des Finances, il prit en 2009 ? Entre autres mesures de bon sens, Uhuru Kenyatta ordonna à tous ses collègues du gouvernement, aux adjoints de ces derniers ainsi qu’aux secrétaires permanents de tous les départements de rendre leurs gourmandes limousines de marque Mercedes Benz au profit des relativement écinomiques Volkswagen Passat. Résultat des courses : un gain des deux tiers sur l’ensemble du budget du charroi gouvernemental et surtout une nouvelle impulsion dans la manière de dépenser les deniers de son pays. Voilà le Uhuru qui a fait rêver en avril de cette année et qui est aujourd’hui en train de réussir la transformation de cet espoir qu’il a suscité en un nauséabond poisson d’avril.

Il commence son ère par un discours inaugural dans lequel il promet de transformer l’économie de son pays (en Singapour?) et son plan a un nom : Vision 2030 ! Le clin d’oeil est déjà là, tellement évident. Vers le sud car au nord, le procureur Luis Moreno Ocampo veut qu’il rende compte quant à son rôle dans les violences de Naivasha et de Nakuru (2007-2008) qui ont emporté la vie de quelques 1300 de ses concitoyens. Pire, il « tue » définitivement son père en s’appuyant sur les gangs de Mungiki (dit la Cosa Nostra ou Yakuza kényan) pour terroriser des régions entières du Kenya. Rassuré par ses nouveaux amis, Uhuru sait qu’avec son immunité il sera à l’abri des poursuites pendant un bon moment. Mais qui eût cru que le fils du mau-mau le plus célèbre puisse s’allier à des mafiosi et militer pour l’exclusion d’un pays africain de l’EAC, ce qui fera de ce dernier l’ombre d’elle-même ?

Acculé et aveuglé par les circonstances politiques actuelles, Uhuru ne réalise pas encore qu’un diarrhéique ne peut pas supporter son voisin qui vomit… Il risque tout simplement de se réveiller avec cette phrase de son père : « Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible ». Sauf que les « blancs » qui l’auront endormi lui, ont pour noms Paul Kagame et Yoweri Museveni et qu’ils ont déjà  fait leurs preuves en ce qui concerne la loyauté… Premier test bien prévisible : le cas Kabuga qui intéresse fort Kagame.

Cecil Kami