La justice rwandaise sous injonction de l’exécutif

Par The Rwandan Lawyer

Introduction

Au Rwanda, il existe une pratique annuelle d’ouverture de l’année judiciaire par le Président de la République ; une sorte de cérémonie au cours de laquelle ce dernière prononce un discours qui porte sur le fonctionnement des cours et tribunaux en général et aux questions judiciaires qui prévalent. La présente analyse aborde le contenu du discours du chef de l’Etat en ciblant certaines questions découlant de ses engagements.

Le message en bref

Kagame a prononcé un discours alors qu’il présidait le lancement de l’année judiciaire 2021/2022. Le président a félicité le secteur judiciaire d’avoir tiré parti de l’avantage de la technologie pour continuer à traiter les affaires judiciaires pendant les périodes difficiles de la pandémie de COVID-19. Il a expliqué que la performance des juges reflète l’avancement de leurs connaissances et de leurs prouesses qui leur ont permis d’être efficaces. Malgré l’étape franchie, davantage d’efforts sont encore nécessaires pour lutter contre les crimes dans la société. Kagame a observé qu’il faut des efforts concertés pour gagner le combat. » Parlons des cyber-crimes qui augmentent progressivement et deviennent sophistiqués, mais il existe un moyen de les réduire. Nous devons concerter nos efforts et lutter ensemble contre ces crimes », a-t-il déclaré. Kagame a souligné que le gouvernement encourage les Rwandais à adopter la technologie, en particulier en utilisant les téléphones portables dans les transactions commerciales et sans numéraire. Il a déclaré que des mesures strictes sont nécessaires pour protéger les membres involontaires du public contre les escrocs. « Il est primordial de renforcer les mesures pour protéger les Rwandais, en particulier ceux dont les compétences numériques sont insuffisantes, de devenir des proies faciles pour les escrocs et autres fraudeurs », a-t-il noté. Les abus sexuels et la violence basée sur le genre sont parmi d’autres problèmes alarmants dans la communauté rwandaise. Kagame a appelé à des peines plus sévères pour ceux qui violent les femmes et les enfants et mettent les adolescentes enceinte.

« Nous devons mettre tous nos efforts dans la lutte contre ces crimes et veiller à ce qu’ils diminuent considérablement. Les auteurs de ces crimes, leurs complices et ceux qui les protègent devraient encourir des sanctions sévères au point de décourager toute personne ayant des intentions similaires », a-t-il déclaré. Le rapport annuel de l’Institut national de la statistique du Rwanda (NISR) publié en 2020 montre que 48 809 femmes ont été victimes de violence sexuelle et sexiste entre 2016 et 2019. Les chiffres du ministère de la Santé indiquent également que 17 849 adolescentes ont été engrossées en 2016. Le nombre était de 17 337 en 2017, 19 832 en 2018 et 15 656 entre janvier et août 2019. Kagame a exhorté les parties prenantes du secteur de la justice à traiter minutieusement les affaires judiciaires conformément aux lois. Il a également mis en garde les juges contre la corruption afin de promouvoir le professionnalisme et de traiter les affaires sur la base de preuves établies. « Les gens vont devant les tribunaux en espérant que les juges les écouteront, rendront des jugements sur la base des preuves présentées et comme le prévoit la loi. Mais nous entendons certains dans le secteur de la justice demander encore des pots-de-vin. C’est inacceptable et cela doit être arrêté », a-t-il déclaré.

Analyse : la justice entre le marteau et l’enclume

Le système judiciaire se heurte quotidiennement à une série d’obstacles de sorte que sa mission et sa vision ne peuvent pas être réalisées et au contraire perd la confiance des citoyens en quête de justice.

Question de l’indépendance de la justice rwandaise

De manière générale, et conformément au principe de la séparation des pouvoirs, le judiciaire, le législatif et l’exécutif sont respectivement indépendants et la pratique des freins et contrepoids permet la collaboration et la complémentarité entre eux. Le problème qui entraîne des dysfonctionnements des organes judiciaires rwandais est que le pouvoir exécutif abuse de ces freins et contrepoids et semble prévaloir sur les autres pouvoirs dans la mesure où leurs membres sont nommés par le gouvernement et reçoivent des ordres de celui-ci. Ceci est légalement consacré par les dispositions de la procédure pénale selon lesquelles l’exécutif a le droit de suspendre et même d’annuler les décisions judiciaires mais aussi cela est attesté par des jurisprudences où les organes d’enquête et de poursuite violent les règles de bonne administration de la justice en arrêtant arbitrairement des personnes ou en les enlevant avant de les envoyer devant les cours et tribunaux qui reçoivent des injonctions de les maintenir en détention provisoire alors que les conditions et garanties de libération sont remplies et de les incriminer injustement et de les condamner à de lourdes peines.

Le cas de Rusesabagina qui a été enlevé par le Rwanda Investigation Bureau comme l’a avoué l’ancien ministre de la justice, M. Busingye Johnston, est la dernière illustration sans exclure d’autres comme le cas de Deo Mushaidi qui a été capturé à l’étranger et soumis de force aux institutions judiciaires obligées de l’emprisonner à vie.

Problème de corruption

En général, les magistrats rwandais sont corrompus selon différents rapports de transparence internationale rwandaise. D’un côté, les justiciables dont l’affaire n’implique pas de problèmes politiques, c’est-à-dire lorsque l’État n’a aucun intérêt ou préoccupation, offrent de l’argent ou d’autres actifs coûteux pour gagner le procès et l’emporte alors, c’est la loi du plus fort pour ne pas dire du plus riche afin que les innocents sont condamnés indument dans une sorte de règlement de compte ; les gens perdent leurs biens au profit d’escrocs malveillants. De l’autre côté, les affaires où l’Etat est plus ou moins concerné sont jugées sur instruction de façon que le sort du suspect est déjà connu du public : environ 20-25 ans pour Karasira Aimable et Idamange Yvonne ; prison à vie pour Rusesabagina Paul, et j’en passe.

Problème de l’absence de procès équitable

Les facteurs à l’origine de la violation des principes de bonne administration de la justice établis par différents instruments internationaux et régionaux tels que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ; le pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 ; La charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 auxquels le Rwanda est partie sont nombreuses. D’abord, habitués à recevoir des instructions pour traiter des affaires frisant la politique, les juges rwandais se contentent d’ignorer les règles du procès équitable et se contentent de rejeter toutes les objections soulevées par des suspects déjà condamnés alors que les procédures ne sont que des formalités pour attirer l’opinion publique et la communauté internationale. Par ailleurs, compte tenu des conditions de recrutement du personnel au Rwanda où dominent le népotisme, la corruption et le favoritisme, les personnes retenues comme magistrats sont intellectuellement faibles dans la mesure où elles ignorent ces principes universels.

De plus, les juges envisagent de marchander d’autres dossiers qui ne relèvent pas de la politique, la corruption ne cadre pas avec une bonne administration de la justice étant donné que ces juges indignes entendent pratiquer l’injustice où le gagnant sera évincé par le perdant à condition que ce dernier ait payé beaucoup de liasses.

 Conclusion

Enfin, nombreux sont ceux qui se plaignent des juges qui libèrent des escrocs qui leur ont extorqué des sommes importantes ; les requêtes unilatérales sollicitant les cours et tribunaux de décider un séquestre judiciaire des biens ou de sommes d’argent en cause qui ont été rejetées par les juges permettant aux prévenus de les dissimuler et de quitter le pays échappant à l’exécution des jugements contre ces biens ; des cas de femmes Rusizi qui sont emprisonnées alors que des escrocs qui ont emporté leur argent sont libres dans une parfaite impunité ; le cas des pasteurs Rugema Gad et Rugwizangoga qui ont escroqué une congolo-rwandaise dans un trafic d’or et de diamants, sont éloquents. Bref, la justice rwandaise fait partie de tout ce qui fonctionne mal au Rwanda. Qui nous délivrera de cette injustice ?