Par The Rwandan Lawyer
Le 15 juillet 2021, le tribunal de première instance de Nyamabuye dans la province du Sud a prononcé la détention provisoire de certains élèves du lycée de Kabgayi A qui sont poursuivis pour avoir exprimé une RIP pour le président de la république et d’autres délits. Le présent article apprécie la légalité de cette affaire au regard du respect de la procédure, de la qualification et de l’interprétation des faits par les différentes institutions judiciaires qui ont traité l’affaire.
Le 14 juillet 2021, l’audience préliminaire était prévue pour les quatre élèves du lycée de Kabgayi A qui sont soupçonnés d’avoir commis cinq délits à savoir le divisionnisme ; formation ou adhésion à une association de malfaiteurs ; idéologie du génocide; provoquer des soulèvements ou des troubles parmi la population ; et endommager ou piller les biens d’autrui. Les crimes dont ils sont accusés ont été commis à l’école de Kabgayi A qu’ils fréquentaient où il est rapporté qu’ils ont mentionné l’ acronyme RIP sous la photo de Paul Kagame, le chef de l’État, qui était sur une page d’un livre ; cet acronyme est habituellement apposé sur la croix utilisée dans l’enterrement des chrétiens décédés. Il est également rapporté qu’ils ont écrit des mots reflétant un attentat à la pudeur sous la photo de la première dame qui se trouve également sur une page du même livre scolaire. L’audience s’est déroulée à huis clos à la demande de l’avocat d’un suspect ; le ministère public a réquisitionné une détention provisoire à l’encontre des suspects afin de compléter le dossier avec des preuves supplémentaires. Même si les médias n’étaient pas autorisés à assister à la séance, nous avons réussi à savoir que les suspects ont rejeté 4 des 5 chefs d’accusation ; deux suspects ont reconnu le délit de dégradation ou destruction d’un bien appartenant à autrui.
Le directeur de l’école de Kabgayi A Nshimiyimana Alphonse a déclaré à Intyoza.com que ces élèves Nshimiyimana Alphonse ont été arrêtés le 21 juin 2021 après une réunion à laquelle étaient parties le maire du district de Muhanga, Kayitare Jacqueline, les responsables du RIB du district de Muhanga; enseignants et élèves. Il a par ailleurs signalé que les fautes dénoncées ont finalement été qualifiées de crimes par les enquêteurs de RIB. Par ailleurs, l’un des suspects qui a été condamné à 30 jours de détention provisoire a un père et un oncle qui ont commis le génocide
Certains parents ont suggéré que la direction de l’école doit être profondément approchée pour lui inculquer des stratégies éducationnelles car elle semble laxiste sur le divisionnisme présumé commis par certains de ces élèves. Ces étudiants avaient choisi un surnom de Pawa qui était écrit sur ce même livre dans lequel ils mentionnaient ces mots criminels. Le tribunal a rappelé aux détenus qu’ils avaient le droit de faire appel avant l’examen de leur dossier au fond.
Cette phase pré-juridictionnelle destinée à se prononcer sur la détention provisoire ou la liberté provisoire a suscité à des interrogatoires qui méritent d’être repensés.
J’évoque ici une affaire, qui mérite de faire l’objet de moqueries mais qui malheureusement reflète la plupart des qualifications auxquelles s’engagent nos organes d’enquête et de poursuite, surtout lorsque les affaires frisent la sensibilité politique comme c’est le cas dans le dossier de ces élevés de Muhanga.
Un coup de bâton contre une vache ou agression ou de violence contre le président de la République?
En 2008, un procureur de première instance avait arrêté un paysan de Kayonza où se trouve la résidence secondaire du président, qui avait donné un coup de pied à une de ses vaches qui paissait dans sa plantation. Elle a qualifié les faits d’agression ou de violence contre le président de la République comme si cette vache représentait le président lui-même. Elle interprétait probablement une maxime rwandaise qui dit que quiconque frappe un chien est en colère contre son propriétaire. Heureusement, le juge n’a pas retenu la qualification et libérera le paysan.
Trop méchant et trop politisé pour être impartial
Lorsque les faits sont politisés, les institutions judiciaires rwandaises s’activent même bêtement au service du régime au pouvoir qu’elles commencent à concocter des qualifications inimaginables des faits jusqu’à la pure fabulation.
Deux mots simples à savoir « pawa » et « RIP » ont poussé les organes d’enquête et de poursuite à y déceler un concours idéal de 5 infractions alors qu’à y voir clair qu’il n’y a rien de grave. En effet, quatre étudiants ont été appréhendés pour avoir écrit ces mots alors que dans la logique des choses on peut se demander comment quatre personnes auraient tenu un seul stylo pour écrire afin de qualifier leurs rôles respectifs de participation criminelle. D’ailleurs, hormis le fait que parmi eux, il y en avait un qui a des liens familiaux avec des génocidaires, ces enquêteurs et procureurs n’ont pas déterminé qui a exactement écrit ces mots. D’ailleurs, on peut se demander si une organisation terroriste n’est constituée que de deux personnes ; comment ils ont incité les gens à se soulever et où situer objectivement l’idéologie du génocide et le divisionnisme dans les deux mots. Si je ne me trompe, les enquêteurs ont dû fonder leur appréciation sur l’ethnicité de ces enfants alors que les ethnies sont légalement interdites au Rwanda et ils ont été facilités dans leur spéculation honteuse par le fait que parmi eux il y en a un qui a des proches accusés de génocide.
Une décision prédisant un non-lieu au fond
Un étudiant s’est vu infliger 30 jours ; un autre 15 jours et les 2 restants immédiatement libérés. Le juge qui s’est occupé de la détention des 4 étudiants semble avoir implicitement disqualifié l’affaire mais, dans le but d’apaiser la tension politique, il a pris une décision médiane. En effet, l’élève dont la détention durera 30 jours est celui ayant des liens familiaux avec des parents ayant commis le génocide. Sa mise en liberté provisoire aurait conduit la population locale en particulier les rescapés du génocide et autres extrémistes à se méfier de la justice et le juge aurait été compromis. Mais en général, tout porte à croire que le fond de l’affaire ne conclura pratiquement pas à aucune responsabilité pénale vu son caractère vide et spéculatif car au bout de 15 jours le deuxième élève sera libéré et il n’y aura que celui qui sera condamné aux 30 jours, comment logiquement il pouvait a lui seul créer et adhérer à une organisation criminelle constituée par une seule personne? Rien ne prouve que c’est lui qui a effectivement écrit ces mots sans exclure que la mort du président ait été médiatisée de telle manière que l’imputation dommageable ne vient pas originellement de lui.
Sans nous attarder sur ce point, les qualifications de nos enquêteurs et procureurs de la République ne sont que le résultat d’un procès d’intention où l’on anticipe les effets néfastes possibles de deux mots simples. Il est pitoyable de la part de nos avocats ainsi instrumentalisés par les politiques
Recours à l’interprétation analogique interdite en matière pénale
Le droit pénal applique l’interprétation stricte, méthode qui consiste à rechercher le sens et les limites de la loi en restant exclusivement attaché au texte de la loi ; interdit de distinguer là où le texte ne distingue pas, excluant tout ce qui n’est pas mentionné dans le texte juridique. Cette méthode littérale est motivée par la nécessité d’une protection rigoureuse de la liberté individuelle contre l’arbitraire du juge. Elle se justifie également par le principe selon lequel « odiosa sunt restrigenda » signifiant que les choses les plus graves (= pénales) doivent être interprétées de manière restrictive. Par conséquent, l’analogie n’est pas acceptable en droit pénal. Si l’on considère le cas de ces élèves du lycée de Kabgayi A, il est analogique de prendre en compte les crimes commis par les proches d’une personne et de les assimiler à son comportement criminel actuel le cas échéant alors que ces crimes ont été commis bien avant sa naissance. C’est bien la raison pour laquelle ce groupe d’étudiants a été appréhendé et l’origine ethnique de celui dont les parents sont impliqués dans le génocide a été automatiquement prise en compte. La criminalité est-elle absolument héréditaire ou génétique?
Conclusion
En résumé, obligées d’incriminer tout ce qui risque ou non de perturber le régime en place au Rwanda, les institutions judiciaires perdent progressivement de leur crédibilité. Par ailleurs, l’implication des jeunes scolarisés dans ce jeu politique est déconseillée car elle nuit à leur développement mental et peut de manière inattendue contribuer à exacerber leur méfiance vis-à-vis du régime dont les politiques d’unité et de réconciliation deviennent alors inutiles et purement démagogiques.