Qui a dit que la Renaissance Africaine était une utopie?

Dr Patrick Awuah, Fondateur et Président de l’Université Ashesi du Ghana

Imaginez que vous soyez né en Afrique de l’Ouest et que vous étiez un « geek » quand vous étiez jeune. Imaginez que votre amour pour la science vous ait fait obtenir une bourse complète pour faire des études d’ingénieur aux États-Unis. Imaginez que vous décrocherez par la suite un emploi chez le premier fabricant mondial de logiciels, un travail qui fera de vous un millionnaire avant l’âge de 30 ans. Imaginez que vous vous pensez quand même aux jeunes de chez vous qui n’ont qu’un accès très limité aux ordinateurs, ce qui les désavantage énormément sur le marché du travail. Imaginez que vous décidiez d’essayer de combler ce fossé numérique. Où commencerez-vous? De quelle manière pourriez-vous toucher le maximum de jeunes? Et qu’en adviendra-t-il de cette carrière lucrative à la Silicon Valley?

Aujourd’hui, je suis inspiré par Patrick Awuah du Ghana. Mon homonyme est né à Accra en 1965. Patrick se décrit petit comme un garçon timide qui préférait rester en classe plutôt que de jouer dehors.

Patrick a étudié à l’école Achimota, un pensionnat situé à Accra. Cette école historique a été fondée en 1924 par le Dr. James Emman Kwegyir Aggrey, l’un des plus illustres érudits du Ghana. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires en 1985, le jeune Patrick Awuah a obtenu une bourse complète pour aller étudier l’ingénierie au Swarthmore College, en Pennsylvanie, aux États-Unis.

Il était enfin dans son élément, un endroit où sa créativité pouvait être nourrie sans limites! Il était intéressé par la création de nouvelles choses et se limitait rarement aux contenus des classes qu’il prenait. Il fut un temps où le jeune ingénieur en formation a préféré créer un circuit électronique au lieu de faire le devoir qu’on lui avait donné. Heureusement pour lui, son professeur était tellement fasciné par l’esprit inventif du jeune homme qu’au lieu de le punir de ne pas avoir suivi ses instructions, il lui donna un A, un 100% dans le système d’éducation américain!

Au moment où Patrick a obtenu sa licence en ingénierie et en économie, ses brillants antécédents académiques lui ont permis d’obtenir des entrevues d’embauche avec tous les grands de l’industrie du logiciel américain. Dans sa ligne de mire: Microsoft, la célèbre société qui nous a apporté Windows et MS Office.

L’interview avec l’entreprise de Bill Gates a duré 10 heures épuisantes. A-t-il eu le boulot, vous demandez-vous? Rassurez-vous, s’il y a une chose que Microsoft sait faire, c’est de repérer les vrais talents : Patrick a reçu une offre d’emploi dès le lendemain, avant d’être rafflé par la concurrence!

En 1989, à l’âge de 24 ans, l’ingénieur Patrick Awuah a mis les pieds dans ce qui allait être sa boite pour la prochaine décennie, le quartier général de Microsoft à Seattle. Le jeune Ghanéen avait atterri dans un paradis pour les geeks, si vous me permettez l’expression. Bien sûr, le travail d’ingénieur en logiciel et gestionnaire de programme entraînait de longues heures de travail, mais l’espace de créativité ininterrompue lui convenait parfaitement. De plus, les avantages liés au poste, notamment les avantages salariaux, étaient parmi les plus attrayants au monde, avec des options d’achat d’actions qui ont fait de lui un millionnaire pratiquement au moment où il a signé son contrat!

Malgré tous les avantages et l’environnement de travail exceptionnel, Patrick, comme beaucoup d’autres gens de la diaspora, avait hâte de rentrer chez lui et d’utiliser son talent et ses compétences au service de l’Afrique.

Son désir de retourner en Afrique est devenu plus pressant quand il est devenu père de famille.

« Quand mon fils est né, j’ai commencé à m’inquiéter beaucoup plus de l’Afrique », partage-t-il.

« Cet événement m’a amené à reconsidérer l’importance de l’Afrique pour mes enfants et leurs enfants, c’est alors que j’ai vraiment commencé à penser à retourner sur le continent africain. »

En ce temps-là, il y avait beaucoup de mauvaises nouvelles venant de la mère patrie – la Somalie, le génocide au Rwanda, etc. … Cela le dérangeait de savoir que la nouvelle génération n’aurait que ces épisodes honteux comme points de référence quand ils essayeraient de retrouver leurs racines. Mis au pied du mur par cette réalisation, Patrick savait qu’il se devait d’aller contribuer à changer cet état des choses.

L’opportunité de rentrer chez lui s’est présentée en 1997, lorsqu’il a été nommé à la tête des opérations de Microsoft au Ghana. Il y voyait un signe qu’il était temps, non seulement de rentrer à la maison, mais de rester et d’appliquer tout ce qu’il avait appris aux États-Unis.

Son objectif initial était de créer une société de logiciels, car c’était ce qu’il savait faire le mieux. Mais il s’est rendu compte qu’il était pratiquement impossible d’obtenir les profils dont il aurait besoin.

« Ce que j’ai découvert était qu’ils n’utilisaient pas d’ordinateurs dans l’enseignement de l’informatique à l’époque. Les étudiants étudiaient beaucoup de théorie, mais ils ne faisaient pas beaucoup de travaux pratiques. Il m’a semblé que le capital humain n’était pas assez bien préparé et que si je tentais de créer une société de logiciels, cela ne réussirait pas. »

Que faites-vous quand vous ne pouvez pas obtenir le bon capital humain dont vous avez besoin? Vous les formez vous-même! L’idée de créer une université était née. Quand il en a parlé à sa femme Rebecca, un collègue ingénieure de Microsoft, elle l’a immédiatement soutenu son idée. Et pourtant elle n’avait jamais été en Afrique avant de rencontrer son mari.

Mais maintenant, la grande question était de savoir comment passer du statut de développeur de logiciel et de gestionnaire de programme à celui de gestionnaire d’un établissement d’enseignement supérieur. Une possibilité est de simplement retourner à l’école et d’acquérir les compétences nécessaires.

Patrick a quitté Microsoft en 1997 et s’est inscrit à un programme de MBA à la Haas School of Business de l’Université Californienne de Berkeley. Son but: apprendre comment fonctionnent les organisations. Il a abordé ce nouveau chapitre de sa vie comme il l’avait fait quand il a commencé ses études au Swarthmore College: en étant créatif et en ne respectant pas les règles!

Dans son esprit d’ingénieur, faire une université était tout simplement comme fabriquer un circuit électronique, mais à une échelle beaucoup plus grande, un circuit qui produirait les ressources humaines dont le pays avait besoin, en quelque sorte «se démultiplier» en plusieurs centaines et peut-être milliers d’ingénieurs, qui à leur tour construiraient des centaines et des milliers d’entreprises.

En 1998, Patrick s’est rendu au Ghana avec quelques amis et a fait une étude de faisabilité pour son projet d’université privée, un projet qu’il a présenté par la suite pour sa thèse de M.B.A.

Une fois qu’il a obtenu son MBA, il s’est jugé prêt et il a fait le grand voyage retour au Ghana. Bien que Patrick ait retiré une part importante de son budget de ses propres économies et d’un prêt, il savait qu’il devait développer un réseau fiable de bailleurs de fonds privés pour soutenir l’institution. L’idée était d’amener les parties intéressées à faire des dons à l’université – qui avait un statut d’organisation à but non lucratif – au lieu d’émettre des actions. Le concept d’une université privée à but non lucratif était très nouveau au Ghana, même en Afrique subsaharienne, mais Patrick ne voulait pas tomber dans le piège de devenir plus motivé par les profits que par l’éducation.

Il a d’abord contacté ses anciens collègues de Seattle, qui ont tous soutenu son projet. Les collègues les plus proches ont immédiatement fait un don de 300 000 USD. Avec l’argent qu’il avait levé de son côté, cela suffisait, pour l’aider à recruter les enseignants et à louer un bâtiment.

Une camarade de classe universitaire – Nina Marini – l’a rejoint et, ensemble, ils ont créé Ashesi, qui signifie «Commencements» en Twi, la langue principale du Ghana.

L’Université Ashesi a officiellement ouvert ses «salles de classe» en 2002 dans le quartier de Labone à Accra à 30 étudiants. Ce n’était pas exactement ce à quoi ressemblent les universités, mais il y avait tout ce dont vous aviez besoin: un bureau d’admission, une bibliothèque, un laboratoire d’informatique, une salle de classe et une cafétéria. Et des enseignants bien sûr!

Même si faire fonctionner l’université allait coûter cher s’il voulait offrir la meilleure éducation, l’équité était importante aux yeux de Patrick. Il s’est assuré que Ashesi était accessible aux jeunes talents, quels que soient leurs moyens, ou leurs manques de moyens devrais-je dire. Les étudiants qui ne pouvaient pas payer les frais de scolarité recevaient une aide financière. Trois ans après sa création, Ashesi a été fière de voir ses premiers étudiants recevoir leurs diplômes.

L’université Ashesi est une université libérale de style américain adaptée au contexte africain. L’école exige que les étudiants prennent des modules dans plusieurs matières, au-delà de leurs classes obligatoires, afin d’élargir leur vision du monde. En outre, le programme de base comprend des séminaires sur le leadership qui explorent les défis que les leaders doivent surmonter et ce qui constitue un bon leadership. La philosophie du fondateur d’Ashesi est que l’éducation des jeunes est la meilleure façon de préparer l’avenir.

« Ma mission est d’éduquer une nouvelle génération de leaders éthiques en Afrique. L’éthique, l’empathie et la compassion sont cruciales pour les futurs enseignants-leaders de ce continent.  »

« Nos étudiants ont mis en place un système d’honneur, le premier en Afrique, où ils s’engagent non seulement à respecter individuellement des normes élevées d’intégrité, mais aussi à se tenir mutuellement responsables. Les étudiants s’engagent à ne pas tricher aux examens, et ils jurent de ne pas tolérer ceux qui le font.  »

L’institution a rapidement établi sa réputation, au Ghana et dans le monde entier. Comme vous pouvez l’imaginer, le nombre d’étudiants a augmenté rapidement et régulièrement au fil des ans. Ashesi a dû louer de plus en plus de bâtiments – jusqu’à 10 bâtiments autour du site original – jusqu’à ce qu’ils obtiennent un terrain pour construire un campus.
Ils ont visité plusieurs endroits jusqu’à ce qu’ils trouvent l’endroit parfait, sur une colline à Berekuso, une ville dans la région orientale du Ghana, à environ une heure d’Accra. Le site était initialement prévu pour le développement immobilier, mais quand le chef de Berekuso, Nana Oteng Korankye II, a entendu Patrick lui présenter si passionnément sa vision pour les jeunes, il a décidé que l’université aurait plus d’impact que des bâtiments commerciaux ou résidentiels.

Le campus de Berekuso a été inauguré en août 2011. L’université, qui abrite la moitié des étudiants de l’école, est moderne, possède son propre centre de santé et est hautement écologique, avec 40% de son énergie de source solaire, la capacité de stockage de 100 000 gallons d’eau de pluie et un centre de traitement des déchets. L’université a mis Berekuso sur la carte du monde, car elle est devenue une sorte d’attraction touristique, avec des visiteurs qui se promènent en prenant des photos du mini-village futuriste aux magnifiques jardins et vues panoramiques à couper le souffle.

Aujourd’hui, Ashesi compte quelque 2000 étudiants et anciens élèves. L’Université octroi des licences de quatre ans en administration des affaires, en informatique et en systèmes d’information de gestion. Toutes les étudiantes et tous les étudiants doivent obligatoirement compléter un projet de service communautaire au cours de leur dernière année avant d’obtenir leur diplôme.

Ce n’était pas un cheminement facile pour en arriver ici, mais Patrick Awuah n’insiste pas sur les difficultés car ça fait partie de la vie d’une nouvelle entreprise. Ce qui leur a toutefois vraiment pesé, c’est le processus d’accréditation. Patrick a rapidement découvert que le Ghana était l’un des pays les plus stricts lorsqu’il s’agissait d’autoriser une institution privée à décerner ses propres diplômes.

Il leur a fallu seize années de réunions très frustrantes avec le Conseil national d’accréditation, des années à constamment expliquer que son école n’était pas pour les privilégiés mais plutôt pour les jeunes talentueux sans moyens, des années pour expliquer en détail le contenu du programme et comment ils l’ont développé, etc.

Mais tout est bien qui finit bien. En 2016, le ministère de l’Education a annoncé que l’université Ashesi recevrait une charte présidentielle, ce qui signifiait qu’ils seraient enfin en mesure d’attribuer leurs propres diplômes. La Charte a été décernée par le président du Ghana en 2018, accordant à Ashesi une indépendance totale en tant qu’institution diplômante reconnue au niveau national. Bien que ce fut un processus très long et frustrant, la décision n’en était pas moins historique: l’Université Ashesi est à ce jour la plus jeune université à avoir jamais reçu une Charte présidentielle dans l’histoire du Ghana.

Patrick Awuah et son université à la pointe de la technologie, ont reçu tant de félicitations que j’aurais besoin de cinq autres pages pour les énumérer! Pour n’en nommer que quelques-uns, Patrick Awuah a siégé au Comité consultatif sur l’aide étrangère volontaire de l’USAID de 2010 à 2016; il est membre de l’Africa Leadership Initiative du Aspen Global Leadership Network; membre du Conseil des Relations Etrangères (Council on Foreign Relations); membre de la société d’honneur Tau Beta Pi pour l’excellence en ingénierie et un membre du programme de conférences TED.

Il a été reconnu à la fois par la plus haute autorité de son pays, le Président de la République du Ghana, qui lui a décerné l’Ordre de la Volta, et d’autres institutions académiques du monde entier, tels que son alma mater, Swarthmore College et Babson College qui lui ont tous deux décerné un doctorat honorifique en droit – en 2004 et en 2013 – et l’Université de Waterloo au Canada, qui lui a décerné un doctorat honorifique en Ingénierie plus tôt cette année.
Rebecca Awuah, l’épouse de Patrick, a également quitté Microsoft et rejoint Ashesi en 2008 en tant que membre du corps professoral et chef de département. Ils vivent à Accra avec leurs deux enfants: le fils dont la naissance les a incités à créer Ashesi, et sa sœur cadette.

Vous devez vous demander une question: est-ce que l’école produit déjà le type de leaders éthiques que le Dr Awuah avait en tête lorsqu’il a commencé son ambitieux projet?

Je peux audacieusemet dire que oui. Un bon exemple est Mlle Araba Amuasi, une ancienne de la classe de 2007. Araba avait deux offres d’emploi de développement de logiciels très lucratifs quand elle a obtenu son diplôme, mais elle les a tous deux rejeté les deux. Au lieu de cela, elle a opté pour un poste de Gestionnaire à l’orphelinat Village de l’Espoir (Village of Hope), où elle avait fait du volontariat dans sa dernière année à Ashesi.

« Je ne tire pas nécessairement ma satisfaction professionnelle des aspects financiers », dit Araba. « Mon éducation m’a ouvert des opportunités qui m’ont permis de voir différentes catégories de personnes. Quand vous réalisez que vous êtes parmi les privilégiés, je pense qu’il est de votre responsabilité de redonner – que votre éducation profite à d’autres personnes.  »

Qui a dit que la Renaissance Africaine était une utopie?

Félicitations pour votre contribution à l’Héritage de l’Afrique, Dr Awuah! Merci pour y avoir cru et pour être rentré former les leaders éthiques dont l’Afrique a tant besoin!

Source: Um’Khonde Habamenshi