Les 29 et 30 août derniers, la ville de Rubavu, au Rwanda, a accueilli une rencontre de haut niveau entre les responsables des services de renseignement du Rwanda, de la République Démocratique du Congo (RDC) et de l’Angola. Ces discussions, restées relativement discrètes, portaient sur l’épineuse question du retrait des troupes rwandaises de la RDC et la neutralisation des rebelles des FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda). Toutefois, de nombreuses interrogations demeurent quant à la sincérité de ces engagements et à la portée réelle de ces négociations.
Un cadre de négociation complexe
Selon des informations relayées par le média Africa Intelligence, les discussions à Rubavu avaient pour objectif de trouver une solution durable au conflit qui ravage l’est de la RDC depuis des décennies. Dirigées par Matias Bertino Matombo, chef des services de renseignement extérieur d’Angola, ces négociations ont réuni le Général de Brigade Jean-Paul Nyirubutama du Rwanda, le Général Christian Ndaywel de la RDC et Justin Inzun Kakiak, responsable des services de renseignement congolais. Ces représentants se sont déjà rencontrés quelques jours auparavant à Goma, la capitale du Nord-Kivu, pour entamer un processus complexe visant à désamorcer le conflit régional.
Les parties prenantes se sont entendues sur un plan en dix étapes devant se dérouler sur 120 jours, incluant des actions militaires coordonnées contre les FDLR et le retrait progressif des troupes rwandaises de la RDC. Le plan, encore au stade préliminaire, doit être soumis aux ministres des Affaires étrangères des trois pays concernés lors d’une réunion à Luanda.
Une menace sous-évaluée?
Malgré les discussions sur la neutralisation des FDLR, nombreux sont ceux qui mettent en doute la véritable menace que représente ce groupe armé. Le gouvernement rwandais, dans ses discours officiels, a souvent affirmé que les FDLR ne disposent plus d’une capacité militaire significative. En effet, cela fait des années qu’aucune attaque majeure n’a été revendiquée par ce groupe contre le Rwanda. Dès lors, certains analystes se demandent si l’accent mis sur les FDLR n’est pas une stratégie de diversion permettant au Rwanda de justifier sa présence militaire prolongée dans l’est de la RDC.
Cette stratégie serait renforcée par la manipulation de la question des Congolais tutsis, souvent perçue comme un outil politique. En effet, de nombreux Congolais de souche tutsi sont intégrés dans les forces de sécurité rwandaises, rendant difficile de différencier les véritables citoyens rwandais des Congolais issus de cette communauté. Ce flou identitaire est exacerbé par le rôle controversé de la rébellion du M23, un mouvement soutenu par Kigali selon plusieurs sources, composé en grande partie de Congolais d’origine tutsi ayant servi au sein des forces armées rwandaises ou de l’ex-rébellion du FPR (Front Patriotique Rwandais).
Le silence autour du M23 : une omission volontaire?
Un des points les plus surprenants de ces négociations est l’absence totale de discussions concernant le M23, une milice accusée d’être soutenue et dirigée par le Rwanda. Le silence autour de ce groupe rebelle suscite des interrogations sur la réelle volonté du Rwanda de retirer ses forces armées de la RDC tout en continuant à soutenir cette milice. Le M23, qui partage des liens linguistiques et ethniques avec une partie des militaires rwandais, constitue une véritable épine dans le pied de la diplomatie régionale. La question se pose : le Rwanda retirera-t-il réellement ses troupes tout en laissant le M23 opérer en toute impunité dans la région ? La proximité ethnique et culturelle entre ces combattants et les forces armées rwandaises complique encore davantage toute tentative de distinction entre les deux entités.
Pour de nombreux observateurs, les discussions de Rubavu apparaissent comme une manœuvre diplomatique visant à détourner l’attention des véritables enjeux. Les critiques affirment que le Rwanda cherche ainsi à calmer les tensions internationales tout en continuant à préserver ses intérêts stratégiques dans la région, notamment en contrôlant indirectement l’accès aux ressources naturelles de l’est de la RDC.
Un processus déjà tenté à plusieurs reprises
Le partenariat entre la RDC et le Rwanda pour lutter contre les groupes armés, dont les FDLR, n’est pas une nouveauté. Des opérations militaires conjointes ont déjà été menées dans le passé, sous les noms Umoja Wetu, Amani Leo, Kimya I et II, ou encore Sokola I et II. Toutefois, malgré ces opérations, les FDLR n’ont jamais été totalement éradiqués, renforçant l’idée que ce groupe est davantage utilisé comme un prétexte pour justifier l’intervention rwandaise.
En outre, l’assassinat de plusieurs leaders des FDLR au cours des dernières années, avec la coopération des deux pays, n’a pas apaisé les tensions. Des figures clés comme le Général Sylvestre Mudacumura, Janvier Afrika ou encore Wilson Irategeka ont été éliminées, mais cela n’a pas suffi à réduire la méfiance du Rwanda envers la RDC. Au lieu de cela, le Rwanda a renforcé son soutien au M23, ravivant ainsi le conflit.
Une victoire diplomatique pour la RDC ?
Les dirigeants congolais, quant à eux, ont clairement exprimé leur refus de négocier avec le M23 et ont exigé le retrait des troupes rwandaises comme condition préalable à toute discussion avec Kigali. Cette position ferme peut être perçue comme une victoire diplomatique pour Kinshasa, d’autant plus que le Rwanda a officiellement admis la présence de ses troupes en RDC. La question de savoir si ce retrait se concrétisera reste toutefois en suspens.
Si les négociations échouent, il est probable que la communauté internationale pointera du doigt le Rwanda, l’accusant d’alimenter l’instabilité dans la région. Ce scénario pourrait conduire à l’imposition de sanctions à l’encontre de Kigali et à une pression accrue pour une véritable solution au conflit.
Des promesses aux actes?
Les discussions tenues à Rubavu ne sont qu’un énième chapitre dans la saga interminable des relations tumultueuses entre le Rwanda et la RDC. Si la volonté de résoudre le conflit semble présente sur le papier, les doutes subsistent quant à l’application effective des accords conclus. Le Rwanda, tout en s’engageant à retirer ses troupes, continuera-t-il à influencer indirectement la région via le M23 et d’autres canaux non officiels ? La réponse à cette question déterminera en grande partie l’évolution de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC dans les mois à venir.
Les regards restent tournés vers les prochains pourparlers de Luanda, où les ministres des Affaires étrangères devront valider ou rejeter les propositions formulées à Rubavu. Mais au-delà des paroles, c’est bien l’action concrète qui sera attendue pour mettre fin à des années de conflits et de souffrances pour les populations locales.