Craintes et credo des hasbeen

L’un assure qu’il veut rentrer dans son pays et le crie bruyamment sur les toits du monde, l’autre déclare arrogamment, devant un parterre de journalistes, qu’il ne veut plus de « ce job » parce qu’il n’en tirerait aucun bénéfice. Mon œil ! Vous l’aurez facilement deviné : il s’agit de deux politiciens rwandais qui rament à contre-courant, luttant chaque jour contre l’Histoire qui en font des hasbeen. Dans une hypocrisie sans égal et une confusion délibérément bien entretenue, Faustin Rukokoma Twagiramungu (patron du parti RDI – Rwanda Rwiza) et Paul Kagame (patron d’Afandie) prennent les Rwandais pour des amnésiques. Pire, l’un et l’autre se croient indispensables, presque irremplaçables sur la scène politique rwandaise et n’ont pas de mots assez virulents pour leurs adversaires politiques, c’est-à-dire tous les autres acteurs qui se refusent à un suivisme aveugle. Si leurs craintes sont comprises par leurs compatriotes, les credo qu’ils professent posent plus d’une question dont celle de leur alliance objective dans l’affaiblissement de l’opposition, donc de l’alternance politique.

Lorsqu’au mois de janvier 2010 une dame quadragénaire prend la décision de se rendre au Rwanda pour y faire enregistrer son parti politique et se porter candidat à l’élection présidentielle, on n’a entendu aucune homélie de l’ex-premier ministre Rukokoma. D’habitude prompt à faire son show sur les ondes de la BBC, il l’a soigneusement bouclé sur ce coup-là; un peu comme si la présidente des Forces démocratiques unifiées lui avait damé le pion. Il attendra que la visite de madame Victoire Ingabire au stade de Gitarama occasionne la profanation, par le Front patriotique rwandais, de la tombe du premier président de la république rwandaise pour (s’é)tonner en 2011 : « nous ne voulons pas de cette réconciliation dans le mépris ; c’est quoi cette réconciliation sans démocratie ? Et ils craignent des gens faibles tels Ntaganda Bernard et madame Ingabire. Cette dame nous a trouvé si poltrons qu’elle nous a devancé. Elle a eu un courage exceptionnel et louable. Je m’offrirai du temps pour l’applaudir en privé parce qu’elle le mérite ». Oui, lâcheté puis applaudissements. Paroles du premier ministre désigné. Puisque concerné, il n’osait pas encore parler de remote control…

A la veille de ses 69 ans, l’on comprend bien que Rukokoma se soucie (légitimement) de sa fin politique et de sa fin tout court. Il n’a plus grand-chose à prouver et sa crainte est de voir la postérité ne retenir de sa carrière que la fameuse « n’iyo Byumba yafatwa » ainsi que ses commentaires cyniques à l’endroit des réfugiés maltraités au Congo par l’armée d’un gouvernement qu’il pilotait. L’expérimenté (inararibonye) a donc hâte de livrer son baroud d’honneur, son chant du cygne. Même si cela passe par des accords avec le diable. D’où l’aversion manifestée à tous les quadragénaires que son outrecuidance légendaire disqualifie en faisant un appel du pied à des jeunes qui ignorent tout de l’homme et de ses contradictions. Dans une course contre la montre, il croit innover en rentrant au Rwanda… une démarche déjà faite par une quadragénaire avant lui. Question : pourquoi en faire toute une histoire (c’est son droit d’aller où il veut) et s’en prendre à ceux qui ne sont pas encore prêts (c’est leur programme) alors que personne n’a tiré sur le hasbeen qu’il est lorsqu’il n’a pas pu emboîter le pas à Victoire Ingabire ?

Injustement incarcérée, celle qui fait rougir de jalousie Rukokoma sort de prison dans quatre ans. Elle aura alors 49 ans (toujours quadragénaire, tiens!), Rukokoma en aura 73 et Kagame sera soit en retraite, soit en train de faire face à la force renouvelée de son ancienne prisonnière. En effet, l’actuel chef de l’État aura beau dire qu’il n’est pas intéressé par sa fonction, il reste évident que l’immunité que lui confère cette dernière lui est plus que vitale. Est-ce pour cela que des rumeurs d’accords secrets entre lui et Rukokoma (comme déjà en 2003 !) se font persistantes et que ce dernier se (ré)découvre subitement un destin de politicien de premier plan ? Défenestré en août 1995 par un vice-président hyper-puissant, Faustin Twagiramungu essaiera encore sa politique « en l’air » en 2003 ; son allié objectif lui en a alors fait voir de toutes les couleurs, le traumatisant par une fraude électorale et une fouille qui a duré plus de 6 heures. La récente musculation rhétorique de deux compères annoncerait-elle un remake de ce qu’a fait, au Kenya, le dictateur arap Moi ? Abandonner le pouvoir au profit du plus volubile de ses opposants en échange d’une amnistie secrètement négociée ?

Animant ses meetings dans les années 90, Rukokoma entonnait « Habyarimana navaho impundu zizavuga » ; la tristesse qui a supplanté cette allégresse prophétisée est encore dans toutes les mémoires. Ce slogan peut aujourd’hui être paraphrasé de cette façon « Rukokoma nataha, opozisiyo izahumeka »… On verra alors ce dont il est vraiment capable et, par la même occasion, le reste de l’opposition sera jugée à sa vraie valeur.

Cecil Kami