Judi River en Belgique: Analyse post-mortem

Par Philibert Muzima

Mi-octobre 2019, la  journaliste Canadienne Judy Rever a effectuéune série de conférences en Belgique. Avant le début de son marathon, une brochette d’intellectuels avait tenté de lui barrer la route, signant une lettre ouverte aux universités flamandes qui avaient accepté d’abriter les conférences. Ils se disaient « choqués que de grandes universités européennes aient choisi de donner une plateforme à l’auteur d’un livre qui diffuse les arguments utilisés dans une campagne de négation… », demandant aux mêmes universités de « reconsidérer sérieusement » leur décision. Aucunedes universités nommées n’a reconsidéré sa décision. Judi Rever et Cie ont donc prononcé leurs conférences comme prévues et, selon les participants, les conférences ont connu une large audience. 

L’heure est donc au bilan, au post-mortem analysis ou à l’autopsie de notre stratégie de lutte contre le négationnisme. Au moment où les organisateurs crient victoire, les rescapés du tutsicide sommes quant à nous à peine en train de réaliser l’ampleur de notre échec. C’est maintenant une occasion de « reconsidérer sérieusement » notre stratégie. Le silence assourdissant d’Ibuka-Rwanda et d’Ibuka-Belgique, de la CNLG et de l’ambassade du Rwanda en Belgique nous impose le devoir de briser le nôtre. Maintenant que les conférences ont bel et bien eu lieu, parions que organisateurs ne vont plus s’arrêter. Pour l’avenir, la meilleure chose à faire n’est plus de concentrer nos efforts à l’annulation des conférences. C’est une stratégie qui a fait son bonhomme de chemin mais semble arrivée au bout, rendue caduque, désuète. 

Albert Einstein décrivait la folie comme étant le « de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.» Il faut nous préparer à toute éventualité. Nous devons donc nous outiller pour participer à des débats respectueux et intellectuels, inclusifs et de bonne foi pour trouver un terrain d’entente. Si une entente n’est pas trouvée, marquons les points de discorde, et convions-nous aux prochains débats. Avant ce prochain rendez-vous, soyons juste d’accord qu’on n’est pas d’accord. Mais un débat interne doit avoir lieu au risque de nous retrouver à être réactif et non proactif, à l’absence d’un plan d’action concret et conjoint. 

Prochainement il faudra nous inscrire, participer aux débats et les battre à plate couture, sur un terrain auquel ils nous attendaient le moins. Par notre présence, nous pourrons exposer clairement nos différences d’opinion, en hommes et femmes civilisés, au grand bénéfice de l’auditoire qui pourra tirer ses propres conclusions. Celui qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son et les absents n’ont que très rarement raison. On pourrait aussi se faire accompagner d’avocats-conseils pour décortiquer chaque intervention. Si des propos négationnistes sont relevés, les contrevenants seront poursuivis en justice.

En effet, la Loi Belge du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, a été modifiée pour inclure dans son l’article 12 « Quiconque, dans l’une des circonstances indiquées à l’article 444 du Code pénal, nie, minimise grossièrement, cherche à justier ou approuve des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l’humanité ou à un crime de guerre tel que visé à l’article 136 quater du Code pénal, établis comme tels par une décision dénitive rendue par une juridiction internationale… »

La loi est très claire. Les faits correspondant au génocide des Tutsi du Rwanda ont été établis le 16 juin 2006comme tels par une décision définitive par le Tribunal International pour le Rwanda (TPIR), à l’unanimité de ses juges Par un constat judicaire dans en ces termes : « Il n’y a aucune base raisonnable pour qui que ce soit de nier qu’en 1994, il y avait une campagne de massacres de masse visant à détruire, en tout ou tout au moins en grande partie, la population tutsie du Rwanda.»

Dressant ainsi le constat judiciaire du « génocide perpétré contre le groupe ethnique tutsi au Rwanda en 1994 », la Chambre d’appel du TPIR tranche une fois pour toutes que « le génocide est ainsi reconnu comme un fait établi et incontestable » et quiconque tente de le nier ou de le minimiser se place dans le mire des procureurs du Roi des Belges. Les survivants avons le devoir de vigilance et le courage de dénoncer « quiconque » qui, sous le couvert de la sacro-sainte liberté d’expression, commet le crime de négationnisme du génocide des Tutsi. Mais comment le savoir si nous brillons par notre absence lors des conférences?

Une autre question : Est-ce que le plaidoyer en vue de la reconnaissance juridique que des crimes allégués qui seraient commis contre les Hutu soient qualifiés de génocide entre de factoau registre de la négation du génocide des Tutsi? Est-ce que personne ne peut plaider légalement et légitimement la reconnaissance juridique de ce des crimes allégués contre les Hutusoient qualifiés de génocide sans nier ou banaliser le génocide contre les Tutsi? Un avis juridique devrait être requis, et, s’il s’avère que ce genre de plaidoyer participe à la négation du génocide, des poursuites judiciaires devront s’en suivre. 

Mais quoi faire si les conférenciers n’enfreignent pas la Loi Belge sur le négationnisme du  génocide des Tutsi? Devons-nous quand-mêmes crier au loup? A mon humble avis, il y a place au débat là-dessus. Entre nous rescapés d’abord, puis, éventuellement, avec les tenants de cette autre cause. A ce moment-là nous allons montrer nos différences d’opinion, toujours de façon civilisée. Démontrer,avec des arguments solides, qu’aucun génocide des Hutu n’a eu lieu, ni au Rwanda ni en RDC, peut-être juste mettre dans le contexte les crimes commis allégués contre les Hutu. Conclure qu’aucune reconnaissance juridique n’est nécessaire ni possible pour un génocide qui n’a jamais eu lieu.

Alors chers amis rescapés, il nous faudra être disposés à décamperdu seul angle de défense voulant qu’aucun Hutu innocent n’a été même égratigné ou que ceux qui tués devaient l’être parce qu’ils étaient des Interahamwe, des génocidaires; qu’à par ceux-là, aucun civil Hutu innocent n’a été tué. On ne doit plus s’évertuer à défendre l’indéfendable. Pleins de rapports crédibles sont là pour convaincre. Qui plus est, s’il y a quelqu’un pour renier ces crime allégués, se serait le FPR-Inkotanyi et/ou ses militaires accusés et ce, auprès des instances judiciaires compétentes s’ils étaient saisies.  

Tant qu’à moi, -dis-je en bon québécois-, tant qu’à moi, je suis d’avis qu’il y a pas eu de génocide contre les Hutu du Rwanda. Je suis disposé à élaborer davantage et à discuter avec quiconque croit le contraire. Ceci étant dit, je suis loin de nier que des Hutu aient été massacrés durant et après la guerre de 1990-1994 et même après, tant au Rwanda qu’en RDC mais pour être pragmatique, disons qu’il est trop tard pour la justice pour eux. Ce n’est pas le gouvernement du Rwanda qui va juger les crimes allégués contre les Hutu, pour des raisons évidentes mais pas moins non justifiées ni justifiables. Le TPIR a mis la clé sous la porte sans juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui étaient pourtant dans le registre de ses compétences. Ce qui est dans l’ordre de nos possibilités, La moindre des choses est de condamner ces crimes contre des civils Hutu innocents et de compatir avec les familles des victimes. Puis leur permettre d’accomplir leur devoir de mémoire, puis œuvrer ensemble pour « NEVER AGAIN ». J’espère ne pas pécher contre le Ciel ni contre la vertu (ko ntaciye inka amabere). 

L’énergie dépensée pour empêcher les conférences organisée par Jambo n’a pas produit de résultats pérennes et immuables. Ainsi a-t-il été nécessaire de faire voter une loi contre le négationnisme. Si tous ces efforts ne viennent pas à bout de Jambo, serait-ce pas parce qu’on ne peut maintenir éternellement un couvercle sur une marmite bouillante? Si d’autres actions parallèles avaient été investies dans les débats inclusifs et constructifs, peut-être qu’à l’heure qu’il est, on serait au niveau des conclusions. On vient de passer 25 ans à empêcher la tenue des débats sur une cause qui leur est chère. Les dernières rebuffades des universités flamandes constituent un précédent dont nous devons prendre acte et tirer les conséquences qui s’imposent.

Chers amis rescapés, il est temps de réviser notre stratégie de lutte contre le négationnisme à la lumière de ce précèdent qui risque fort de se répéter en Belgique et ailleurs dans le monde. Il nous faut également adapter notre discours pour l’adapter aux réalités du moment. 

Un exemple banal illustrant la nécessité d’adapter notre discours: du moment que le négationnisme du tutsicide est criminalisé en Belgique, il ne faut plus traiter publiquement quelqu’un de négationniste avant qu’un tribunal compétent et impartial l’ait préalablement reconnu coupable de ce crime. La présomption d’innocence doit être respectée. Imaginons si Jambo traînait en justice l’un d’entre nous pour diffamation, le fait à incriminer étant de l’avoir traité de négationniste. Tant qu’aucun tribunal compètent ne l’ait condamné pour négationnisme, lors d’un procès juste et équitable, ladite a.s.b.l. et ses membres/dirigeants gagneraient-ilspas? Apprenons donc à respecter leur droit à la présomption d’innocence.

Voilà mon post-mortem analysis, mon autopsie de la stratégie actuelle de lutte contre le négationnisme en Belgique et ailleurs dans la diaspora rwandaise. Chacun peut avoir son opinion là-dessus. L’important est d’être conscientisés sur sa pertinence ainsi que de la nécessité et de l’urgence de l’aggiornamento de notre stratégie.

Philibert Muzima

Philibert Muzima est l’auteur du récit Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms (Izuba Editions)