Lettre témoignage de James Gasana

Madame, Monsieur,

Je soussigné, Dr. James Kwizera Gasana, né le 9 mars 1950 à Gituza (Rwanda), de nationalités rwandaise et suisse, ingénieur forestier, domicilié à Bussigny-près-Lausanne, Suisse, aimerais apporter un témoignage pouvant fournir des éléments utiles en vue de la conclusion du cas repris en objet.

Je souhaite que ce témoignage puisse servir devant la justice, et à cet effet, je vous prie de trouver en pièce jointe la photocopie de ma carte d’identité et mon CV. A la lecture du rapport ci-dessus, il se pose la question de savoir laquelle des armées des Forces armées rwandaises (FAR) et du Front patriotique rwandais (FPR) avait les missiles sol-air et les gens formés pour les utiliser, pour aussi en déduire qui des deux aurait réalisé le tir sur l’avion de feu président Juvénal Habyarimana. C’est en ma qualité d’ancien ministre au gouvernement rwandais, successivement de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts (juillet 1990 – décembre 1991), de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Environnement (janvier 1992 – Avril 1992), et de la Défense (avril 1992 – juillet 1993), et auteur du livre «Rwanda: Du Parti-Etat à l’Etat-Garnison. Harmattan, Paris, 2002», publié aussi en espagnol sous le titre «Rwanda: Del Partido-Estado al Estado-Quatel – Contribución al análisis de la crisis de los Grandes Lagos. IEPALA, Madrid, España», que je vous prie d’accepter mon témoignage.

Les Forces armées rwandaises (FAR) n’avaient ni les missiles sol-air ni les personnes formées pour l’utilisation de ces missiles. A ma connaissance, aucun militaire des FAR n’avait été formé à l’utilisation des missiles anti-aériens sol-air avant le 16 avril 1992, date à laquelle j’ai été nommé ministre de la Défense. Aucun militaire des FAR n’a été formé pendant que j’étais titulaire de ce Ministère (16 avril 1992 – 20 juillet 1993). Durant cette période je n’ai jamais pensé un seul instant que les FAR avaient besoin d’acquérir les missiles anti-aériens sol-air, et d’ailleurs aucune demande ne me fut introduite par l’état-major à cet effet. La défense antiaérienne sophistiquée ne fut jamais une préoccupation du Rwanda depuis le début de la guerre en octobre 1990 car la rébellion du FPR ne menait pas de combats aériens. Dans une situation d’énormes contraintes budgétaires que le gouvernement connaissait en cette période de guerre, les FAR ne pouvaient pas se doter d’un armement anti-aérien qu’elles n’allaient pas utiliser contre une guérilla qui n’avait ni avions ni hélicoptères.

Depuis octobre 1990 le FPR avait les missiles sol-air et disposait des gens formés pour les utiliser. La preuve irréfutable que le FPR disposait des missiles antiaériens sol-air est qu’il les a utilisés trois fois avec succès pour abattre un avion et des hélicoptères des FAR: le 07/10/1990, le FPR a abattu avec un missile sol-air SAM-7 un avion de reconnaissance de type Islander au Mutara, près de la frontière avec l’Ouganda. Sont morts calcinés dans l’avion, le commandant Augustin Ruterana et le lieutenant Anatole Havugimana, respectivement pilote et co-pilote. J’ai même présidé la cérémonie de mémoire de ces deux officiers à l’Ecole d’officiers de Kigali en 1992. Le 23/10/1990, le FPR a abattu avec un missile sol-air SAM-7 un hélicoptère à Nyakayaga, commune Murambi. L’hélicoptère était piloté par le commandant Jacques Kanyamibwa (survivant). Le co-pilote, le capitaine Javan Tuyiringire est mort calciné dans l’épave. Le 13/02/1993, le FPR a abattu avec un missile SAM-7 un hélicoptère Ecureuil en commune Cyeru, tuant le pilote, le capitaine Silas Hategikimana qui effectuait une mission de ravitaillement.

Je ferais noter aussi qu’en août 1992, deux officiers supérieurs égyptiens, un Américain et un Ougandais, ont été arrêtés à l’aéroport d’Orlando, en Floride aux USA, au moment où ils s’apprêtaient à embarquer pour l’Ouganda de façon illicite une cargaison d’ armes, dont des lance-missiles. Le capitaine ougandais arrêté dans le coup est Innocent Bisangwa, adjoint du secrétaire particulier du président Yoweri Museveni et beau-frère de feu major Bayingana du FPR. A l’époque j’ai rapporté cette arrestation au gouvernement rwandais.

Dans mon livre ci-dessus vous trouverez des éléments et une ample analyse qui justifient d’exclure les FAR comme auteur de l’attentat contre le président Habyarimana.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

Bussigny, le 2 avril 2012

Dr. James K. Gasana