By Jean-Jacques Bigwabishinze
« Tant qu’un grain d’amitié reste dans la balance, le souvenir souffrant s’attache à l’espérance. »
(Alfred de Musset, Les Premières Poésies, Namouna, 1832)
Quoiqu’ils se détestent,
Et qu’ils se rejettent les responsabilités,
Les génocidaires et le Front Patriotique
Sont du même bord !
Ils ont versé des fleuves de sang,
Mais ils clament encore leur innocence,
Au lieu de reconnaître leurs forfaits,
Ils nient tout en bloc.
Les soldats du Front Patriotique
Tombèrent dans le piège ethnique
En traitant de génocidaires
Tous les Hutus qu’ils croisaient.
Aux cadavres de Tutsis
Qui attendaient d’être inhumés,
Les rebelles ajoutèrent les corps de Hutus
Et bousculèrent ceux qu’ils ne tuaient pas.
« Qui veut faire l’omelette,
Disaient-ils, doit casser les œufs ! »
Ainsi tuèrent-ils des civiles sans nombre,
Et firent une omelette de sang.
Dans sa conquête du pouvoir,
Le Front Patriotique décima les Hutus,
Et dans cette ignoble besogne,
Son bras vengeur ne faiblissait pas.
Après le génocide rwandais,
Le pays changea de visage,
Et ceux qui attendaient le changement
Furent trompés dans leurs espérances.
Parmi les grands criminels,
Responsables du génocide,
Ceux qui survécurent aux représailles
Furent jetés derrière les barreaux.
Mais le Hutu innocent
Ne fut pas épargné non plus ;
Les prisons furent surpeuplées,
Et les prisonniers vivaient en plein air.
Durant la saison des pluies
Ou sous les canicules estivales,
Ces misérables vivaient dans la promiscuité
Où ils étaient victimes d’épidémies.
On y déplorait des morts, et les rescapés
Du choléra et de la dysenterie amibienne
Pourrissaient au fond du cachot
Où leurs corps se décomposaient.
La mort était partout,
Même celui qui se cachait dans la grotte
N’était pas en sécurité,
Puisqu’on vint le débusquer.
Certains trouvèrent refuge
Auprès de la Vierge de Kibeho
Où ils espéraient avoir la vie sauve,
Mais ce fut peine perdue.
Un plan macabre fut mis au point
Pour démolir ce campement ;
Avec les bombardements à l’arme lourde,
On fit des milliers de victimes.
Le chef de cette exécrable expédition
Fut décoré dès son retour ;
Après être promu en grade,
Il fut investi de plus hautes fonctions.
On inventa des méthodes de torture,
Et quiconque échappait aux balles
Ou aux blessures de l’épée,
Etait tué aux coups de gourdin.
Les réfugiés au Congo-Kinshasa
Furent poursuivis par l’Armée Patriotique
Et leur crâne fut broyé
Par ces nouveaux maîtres du pays.
Les camps de fortune furent balayés,
Les fugitifs se dispersèrent
A travers les forêts inhospitalières,
Et au pied de chaque arbre gisait un cadavre.
Les maladies et la faim
Faisaient rage parmi les réfugiés,
Et ceux qui ne mouraient pas d’épuisement
Etaient achevés par les soldats qui les chassaient.
La désolation fut totale au Congo,
La vie innocente fut menacée
Par les soldats féroces
Qui persécutaient les fuyards.
Les Hutus sinistrés
Mouraient comme des mouches,
Et les Congolais qui les avaient accueillis
Connurent le même sort.
Les endroits les plus beaux
Du Congo et d’ailleurs
Sont aujourd’hui de lugubre mémoire,
Car ils sont témoins des pires tragédies.
Tout le pays de l’est du Congo
Fut un véritable champ de carnage
Où l’atteinte à la vie humaine
N’a cessé de proliférer.
L’ouest du lac Kivu
Fut imbibé de sang ;
La barbarie était telle,
Que le monde en eut le frisson.
Biara, Uvira, Bukavu,
Kagunga, Rugungi, Kanganiro,
Shimanga, Nyangezi, Nyamirangwe,
Nyantende, INERA, Kashusha ;
Adi-Kivu, Kamanyola, Walikale,
Kaliba, Kalehe, Muhara,
Lac Vert, Katare, Kahindo,
Cyebumba, Goma, Nyiragongo ;
Rugari, Rumangabo, Bunagana,
Sake, Jomba, Rutshuru, Lubero,
Minova, Kasese, Masisi,
Mushweshwe, Lumbishi, Hombo ;
Lubutu, Mwijana, Musenge,
Ubundu, Mbandaka, Bwende,
Panzi, Kashovu, Bugarura,
Kabila, Nyamukubi, Numbi ;
Biroro, Mboko, Lualaba,
Kisangani, Shanje, Tingitingi,
Moba, Amisi, Maniema,
Shabarabe, Kisesa, Biaro ;
Wenji, Shabunda, Kalemi,
Kalima, Sekele, Rusayo,
Mushaki, Katoyi, Kibabi,
Humure, Rukaraba, Mbeshimbeshi ;
Ngungu, Mweso, Nyagisozi,
Shibu, Pinga, Matanda,
Obilu, Maiko, Shambusha,
Rebeka, Kubua, Nganga ;
Nyakavogo, Mudaka, Remeka,
Kindu, Kingurube, Kamako,
Idjwi, Nyabibwe, Bwaza,
Mwenji, Zongo, Tebero ;
Bokungu, Ingende, Dongo,
Losso, Ililiko, Hitamo,
Irebo, Ziraro, Mfondo,
Lisara, Ikera, Inyele ;
Katana, Hongo, Muku,
Shabahabe, Bideka, Rumonge,
Izirangabo, Muluwa, Rubarika,
Ruberizi, Muningu, Bikoro ;
Nkaramba, Kayindo, Katembe,
Munyanga, Opala, Kanyabayonga,
Ruvunge, Sange, Kitemesho,
Kijengo, Shyute, Birava ;
Nzulu, Kinigi, Lubutu,
Penutungu, Bumba, Kikoma
Kalawa, Bushurungi, Tongo,
Mbujimayi, Kananga, Virunga ;
Cuwapa, Ngandapari, Njondore,
Tout au long du fleuve Zaïre,
Dans les forêts vierges,
Dans les marais mouvants ;
Sur les routes de provinces,
Dans les dispensaires médicaux,
Dans les écoless qui servaient de refuge,
Et dans des campements provisoires.
L’écho de ces lieux
Nous parvient toujours,
Plein de cris stridents
Emanant des tas de cadavres.
Quiconque a vu ces cruautés
Fit une véritable descente aux enfers
Avant de quitter la vie,
Croyez-moi !
Pourtant je garde espoir
Pour ce Rwanda chéri
Où des hommes de bonne volonté
Sont comme une lumière dans la nuit.
On a connu des Hutus
Qui ont désobéi
Aux ordres du gouvernement
Qui incitaient la population aux massacres.
Ils n’ont pas manqué de secourir
Ceux qui était persécutés ;
Ils n’ont pas pourchassé
Leurs compatriotes tutsis.
On connaît des gens de bien
Qui ont perdu leur vie
Pour avoir aidé avec détermination
Ceux qui étaient poursuivis.
Au fort du génocide, par exemple,
A la paroisse de Mukarange,
Des réfugiés affluaient
Dans l’espoir d’être sauvés.
Le curé de la paroisse
Les reçut à bras ouverts,
Tandis que les tueurs farouches
Le traitaient de Hutu traître.
Mais l’abbé Bosco, en bon pasteur,
Leur opposa un refus catégorique,
Et demanda à ces assassins
D’épargner ses brebis.
Les bourreaux furieux
Lancèrent des grenades sur l’église ;
Il y eut des blessés et des morts,
Et le curé périt dans l’attaque.
J’ai vu des veuves du génocide
De la région de Mayaga
Entreprendre un long voyage à pied
Pour se rendre à Butare,
Et rendre visite aux prisonniers.
Elles déposaient des témoignages à décharge
Et réclamaient leur libération,
Puisqu’elles les savaient innocents.
Ces saintes femmes ne furent pas découragées
Par l’attitude des gardiens
Qui les prenaient pour des folles,
Et qui les regardaient avec mépris.
Elles recevaient ce conseil :
« Ne plaidez pas en faveur du génocidaire,
Restez plutôt chez vous
Et cultivez votre jardin ! »
J’ai entendu une veuve,
Dont on avait tué le premier-né,
Demander à ses compatriotes
De mettre fin à leur haine.
L’assassinat de son fils
Ne l’a pas aigrie ;
Cette mère généreuse
Ne grince pas les dents.
La cruauté des hommes
N’a pas soulevé la rancœur en elle,
Elle n’a pas encouragé
Ceux qui veulent s’entretuer.
D’aucuns se rendirent aux patrouilles
Censées traquer les Tutsis
Pour éviter des soupçons
Parce qu’ils cachaient des gens.
J’ai recueilli un témoignage
Au sujet de soldats du Front Patriotique
Qui auraient sauvés la vie de Hutus
Lors de razzias humaines.
Ce témoignage véridique,
Que je prenais pour une rumeur,
Me donnait de l’espérance,
Car le pays n’était pas tout à fait perdu !