Que lit-on dans «Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms» ?

Philibert Muzima

C’est un livre de 370 pages. Bon et facile à lire. Un jour suffit pour tout amateur de lecture, surtout quand on lit un livre très intéressant, à la fois émouvant, comme celui de Philibert Muzima, alias Dedi Ntidendereza.

J’ai lu le livre avec intérêt, attention, mais aussi avec consternation. Pas parce que je l’ai eu en cadeau d’auteur (je lui en remercie), mais parce que Muzima a une bonne plume. La plume qui me parait vraiment de taille, d’un journaliste digne de ce nom.

«Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms», est un récit bombé de témoignage d’un rescapé du génocide des Tutsi du Rwanda. L’auteur raconte, à long et à large, son vécu, sa détresse, son calvaire. Calvaire que  son père, sa mère, ses frères et sœurs, ont même connu avant et pendant le génocide. Génocide qui les a emportés. Presque tous. Horrible !

Mais qui tuaient les membres de la famille Philibert Muzima ? Ce ne sont pas des «Interahamwe» que plus d’un croirait savoir. Ce sont plutôt des Hutu, de près ou de loin, amis et connaissances de la famille du rescapé de l’horreur. Mais pourquoi l’auteur est-il convaincu que seuls les Bahutu ont massacré les siens, alors qu’on connaît très bien que les auteurs du crime sont des Interahamwe qui conduisaient la machine à tuer, dans tout le pays?

La réponse à la question posée est tout à fait claire : la préfecture de Butare est l’une des régions les plus connues opposée au régime dictatorial du président Juvénal Habyarimana, fondateur des partis extrémistes Hutu, MRND-CDR.

Dans la région, il n’y avait presque pas de membres du MRND-CDR, mais plutôt des membres des partis politiques d’opposition, tels que le MDR, le PL et surtout le PSD. Si réellement les tueries visaient à venger l’assassinat du président Habyarimana, écrit l’auteur, les Tutsi ne se seraient pas touchés (p. 210). « Alors, quant les Hutus se sont dressés contre nous, à Butare, il était clair que ce n’était pas pour venger l’assassinat du président. Ils voulaient nous tuer parce que nous étions Tutsi et eux, Hutu », conclut l’auteur.

Jalousie mesquine, de la haine

A lire attentivement l’auteur, force est de constater que non seulement les Hutu voulaient à tout prix éliminer les membres de la famille Muzima, parce qu’elle était d’ethnie tutsie, mais aussi parce que cette famille jouissait des avantages que les Hutus du lieu voulaient, eux aussi, posséder. Cela est aussi souligné par l’auteur, précisant que les Tutsi de la commune Kibayi étaient «en meilleure situation économique que les Hutu» (p. 132). Honoré de Balzac, un écrivain célèbre français du 18e siècle, écrivait ceci : «La jalousie des personnes supérieures devient émulation (…) ; celle des petits esprits devient de la haine».

Si les parents de Muzima étaient tous les deux diplômés et enseignants de longue carrière, et que la quasi-totalité de leurs enfants avaient, eux aussi, connu le chemin de l’école, cela suffisait pour certains Hutu «du coin», qui n’ont pas pu bénéficier les mêmes avantages, de crever de jalousie.

Preuve à l’appui : les blessures du crâne de Muzima sont supposées être à l’origine d’un Hutu nommé Antoine, mais aussi l’auteur pouvait être achevé par son autre «ami» d’enfance avec lequel il avait fréquenté la même école primaire, il y avait de cela 15 ans. «Dedi, on a étudié ensemble, je ne peux pas te tuer. Mais il faut partir d’ici, sinon tu vas te faire tuer !», dira Nsengimana, un tueur à gage qui avait abandonné l’école, en première année. Guy de Maupassant, un autre philosophe français du 19e siècle, écrira ceci: «Il avait été jaloux de tout ce qu’elle faisait sans lui» !

Muzima a perdu une partie de son corps (j’en suis la personne à témoigner). Pas à cause de l’accident de la route, mais tout simplement parce que des Hutus voulaient le tuer. Le tuer, parce que, Tutsi. «C’était écrit», noir sur blanc. «Sur nos cartes d’identité, dans nos têtes, à nous, à nous tous, les Rwandais. Les Tutsi», précise Ntidendereza.

Une dent contre l’église, d’un Evêque !

A la fin de ses études des sciences à Byimana, centre du pays, l’auteur n’a pas envie d’embrasser la carrière d’enseignant, comme c’est le cas des membres les plus proches de sa famille : son père, sa mère, son grand-frère. Muzima est tout de même inscrit à l’université nationale du Rwanda, mais il n’y a pas de place qui lui est réservée, car Tutsi.

L’auteur doit alors forcer les portes du Grand Séminaire. D’où est venue l’idée de se mettre en contact avec Mgr Jean-Baptiste Gahamanyi, Evêque du Diocèse catholique de Butare. L’idée est bonne, mais un conflit personnel, qui date des années 60, oppose Gahutu (le père de Muzima) et Jean-Baptiste Gahamanyi, alors prêtre. Il y a donc peu de chance que Muzima soit admis au Grand Séminaire.

«Lors des premiers pogroms contre les Tutsi, Jean-Baptiste Gahamanyi (…) avait refusé de me cacher alors qu’il savait que j’étais en danger de mort. J’étais alors membre du comité diocésain du Mouvement Xavéri du Rwanda et l’Abbé Gahamanyi me connaissait personnellement. Nos relations sont donc mauvaises (…)» (p. 157).

Paradoxe : l’Abbé Jean-Baptiste Gahamanyi et le père de Muzima étaient tous les deux d’ethnie tutsie. Agissait-il en complicité avec le régime hutu du président Juvénal Habyarimana ? Personne ne le sait.

Mais, qui a menti qu’uwarose nabi burinda bucya ? L’attente n’a pas été longue. «Dedi wo kwa Gahutu» sera admis au Grand Séminaire de Rutongo, diocèse de Kabgayi, à la tête d’un Evêque Hutu, Mgr Thaddée Nsengiyumva qui, plus tard, demandera amplement à Muzima s’il avait envie de continuer son cheminement vers le sacerdoce.

Et Muzima de répondre avec un «non» majuscule : «Lorsque je suis venu au séminaire, je pensais y rencontrer des chrétiens et non des Hutu et des Tutsi qui se parlent rarement et se haïssent éperdument.» (p. 173).

D’ethnie Hutu, Monseigneur Thaddée Nsengiyumva était originaire de Bungwe. Lui et d’autres Evêques, Vincent Nsengiyumva (Archevêque de Kigali), Joseph Ruzindana de Byumba, seront atrocement assassinés à Kabgayi, par les forces rebelles du FPR, le 05 juin 1994. Aucun mot de plus de la part de l’auteur, vis-à-vis de l’assassinat cruel des Evêques catholiques du Rwanda.

«Imbibé de leur sang, gravé de leurs noms» est un livre très intéressant à lire. Achetez-le.

Amiel Nkuliza, Sweden.