Rwanda : Le FPR découvre la gravité du problème foncier qu’il a créé

Avant la Révolution populaire de 1959 qui a mis fin au régime féodal de la dynastie nyiginya et qui a débouché à l’instauration d’un régime républicain et démocratique, les seigneurs tutsi pouvaient s’approprier de vastes étendues de terrains qu’ils destinaient à leurs bétails souvent en y chassant des familles hutu ou en les asservissant sur leurs terres. La poussée démographique ainsi que l’ouverture d’esprit par l’instruction de certains cadres hutu ont fait apparaître cette situation comme particulièrement injuste, ce qui en fit une des causes de la Révolution sociale de 1959.

Parmi les conséquences de cette révolution, on notera l’exil de la plupart des seigneurs tutsi qui s’étaient appropriés les terres des Hutu pour y faire paître leurs troupeaux. Repliés dans les pays voisins : Burundi, Congo, Ouganda ou Tanzanie…, ils vont mijoter la revanche et préparer la reconquête du pouvoir au Rwanda par les armes. Leurs descendants vont réaliser leur rêve 30 ans plus tard. En effet, en octobre 1990, des descendants des seigneurs tutsi qui faisaient partie de l’armée régulière de l’Ouganda et commandés par un certain Paul Kagame alors Chef des renseignements militaires de l’armée ougandaise, ont envahi le Rwanda et après près de 4 ans de guerre meurtrière, sont parvenus à s’emparer de tout le pays. Après la victoire en juillet 1994, leurs parents encore en vie sont rentrés triomphalement au Rwanda et ont exigé et obtenu que leur soient restitués les domaines fonciers sur lesquels ils régnaient.

Pour rappel, dans une tentative de mettre fin à la guerre de conquête du FPR, le gouvernement rwandais d’alors avait accepté de négocier avec les agresseurs venus d’Ouganda et même avait signé dès 1992, quelques Protocoles d’Accord dans ce sens, avant que la rébellion ne mette fin à ce processus et ne déclenche une guerre totale après avoir assassiné le président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. L’un des protocoles de l’Accord d’Arusha porte sur « le rapatriement des réfugiés rwandais et la réinstallation des personnes déplacées ». Ce texte, tout en reconnaissant  que le droit à la propriété est un droit fondamental pour tous les Rwandais, y compris les réfugiés qui rentrent, précise cependant « qu’en vue de promouvoir l’harmonie sociale et la réconciliation nationale, les réfugiés qui ont quitté le pays il y a plus de dix ans ne devraient pas réclamer leurs propriétés qui ont été occupées par d’autres individus. En compensation, le Gouvernement mettra à leur disposition des terres et les aidera à se réinstaller ».

Les négociateurs d’Arusha se rendaient unanimement compte et en toute sagesse, que la récupération des propriétés acquises souvent indûment par les anciens seigneurs tutsi de retour d’exil après 30 ans, créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.

Et voilà qu’avec la victoire militaire de la rébellion du FPR de juillet 1994, ces anciens seigneurs, revenus en masse, réclament et obtiennent lesdites propriétés, et bien plus, le nouveau régime oblige même aux Hutu de partager leurs terres avec les Tutsi qui rentrent sans avoir été propriétaires.

Un ancien fonctionnaire belge ayant travaillé au Rwanda durant la décennie 1950-1960 ne cache pas son étonnement en apprenant par exemple qu’à Kibuye, un sous-chef tutsi du nom de Kabandana, qu’il a connu et qui s’était approprié des centaines d’hectares spoliés aux Hutu pour ses troupeaux de vaches avant de s’exiler, a pu récupérer toutes ses anciennes terres qui, trente ans durant, nourrissaient déjà des centaines de familles hutu. Le vieux belge ne comprend pas comment cela peut être possible, comment un gouvernement responsable peut cautionner et encourager une mesure qui était déjà, dans les années 50, scandaleusement injuste ? Que deviennent ces milliers de foyers hutu désormais dépossédés de leurs lopins de terre, leur unique source de moyens de subsistance au profit d’un ancien sous-chef, qui avait acquis arbitrairement ces terres et qui les avait abandonnées depuis plus de 30 ans.
Lettre Fazil
Le cas n’est pas isolé. Dans le nord du pays, 140 habitants de la région de Rubavu-Nyamyumba ont été dépouillés de leurs terres par les descendants d’un certain Munyangomba Appolinaire, ancien commis à la cour du roi avant 1959, et qui remettent à jour les prérogatives royales d’antan pour spolier la population de ses terres. Cette action a été soutenue par les services locaux de sécurité et d’Ibuka de façon que les interventions du ministre de l’Intérieur, Musa Fazil Harelimana en faveur de ces familles, n’ont pas eu d’effets. Il invitait pourtant le Préfet de la préfecture de Gisenyi à appliquer les articles de l’Accord de paix d’Arusha.

Craignant de subir le courroux des représentants du pouvoir politique, les tribunaux ont traîné les pieds dans le règlement de ce conflit qui date de juillet 1997. Finalement, la population a été chassée manu militari en janvier 2014.
La justice rwandaise, inféodée au pouvoir exécutif, est donc très active dans la complication de la problématique foncière. Une autre illustration dans ce domaine est un arrêt du tribunal de la région de Nyamagabe qui a ordonné de chasser 16 familles hutu pour donner des terres à un vieux tutsi qui rentrait d’exil.

Il semble que cette hydLes sans-terre de Nyamagabe/Ikazeiwacure que constitue le problème foncier et que le régime de Paul Kagame croyait avoir résolu avec la prise du pouvoir par les armes et par l’imposition des mesures d’expropriation des Hutu, se renouvelle au lieu d’être éradiquée. Le 11 Novembre 2014, lors d’une réunion publique à Jabana, près de Kigali, le président Paul Kagame lui-même s’est étonné de cette pratique qui consiste à dépouiller un citoyen de ses terres pour les accorder aux nouveaux venus.

Curieusement un arrête ministériel du 26/04/2010 portant modalités de partage des propriétés foncières a été édicté. Il est taillé sur mesure comme bon nombre de lois en vigueur au Rwanda. Il consacre l’arbitraire. Il invite, sans les nommer, les paysans hutu à partager leurs propriétés foncières avec ceux qui en ont été lésés « avant de se réfugier suite aux raisons politiques durant les différentes époques antérieures, jusqu’en 1994 ». Ce partage ne peut être qu’inégal. Et pour cause ! Par ailleurs, il est à se demander si ce sont les paysans qui devront attribuer des propriétés aux autres citoyens comme si cette tâche n’incombait pas à l’Etat en sa qualité de propriétaire foncier par excellence. Les clauses de l’accord de paix d’Arusha allaient dans ce sens.

Par ailleurs au sein même de la classe tutsi, la colère gronde. Seuls les Tutsi dont des enfants sont officiers dans l’armée ayant conquis le pays ont pu récupérer de belles terres tandis que d’autres se contentent de ce « gusaranganya » (partage volontaire du gâteau) au détriment des Hutu qui, quant à eux, en ont plus qu’assez des injustices et de l’humiliation dont ils font l’objet depuis 1994.

Le constat est clair et sans appel : Kagame et les instances de son parti-Etat qu’est le FPR sont dépassés par les événements en ce qui concerne le problème foncier. L’irresponsabilité avec laquelle le FPR a voulu « punir » les Hutu et « indemniser » les Tutsi après la prise du pays en 1994, et cela contre toute logique sociale ou économique, leur revient à la figure comme un boomerang. Le plus sidérant est que ce régime continue de surfer sur le mensonge en pratiquant la « politique de l’autruche ». Pour Kagame et les siens, le mensonge et l’achat des médias pour vendre son image, le reflet à l’étranger du miroir que constitue la capitale Kigali… suffiront à faire oublier la descente aux enfers en cours ainsi que le volcan en activité (frustrations et injustices sur base de l’antagonisme hutu-tutsi) au-dessus duquel sont assis les Rwandais et qui, d’un moment à l’autre, peut exploser. Malheureusement, il semble que la devise de Paul Kagame et sa clique actuellement au pouvoir soit réduite à la formule : « Après moi le déluge ! ». Il est donc du devoir de tout Rwandais « patriote et humaniste », et il en existe dans toutes les ethnies, d’aider à désamorcer les bombes que Paul Kagame a semées sur le chemin du Rwanda depuis 1994  dont celle que constitue le « problème foncier ».

Jane Mugeni
09/12/2014

musabyimana.net