Comment pourra-t-on, un jour, expliquer aux générations d’Africains à venir l’épaisse fumée de honte qui est en train de couvrir leur continent au grand jour, au vu et au su de tout le monde ? Comment ceux qui sont aux commandes aujourd’hui ainsi que tous nos penseurs pourront demain se regarder dans la glace sans se détester ? Oui, comment ? Du nord au sud, de l’est à l’ouest, le continent offre le spectacle d’une masse amorphe que des petits malins assis quelque part sont en train de façonner à leur goût. Alors que l’on commençait à « s’habituer » et à oublier les marchés ouverts d’esclaves en Libye, que l’on applaudissait les timides pas d’un Assimi Goïta, voilà que la honte et le mépris de l’Africain reviennent frapper à la porte dans la région des Grands lacs. Quoi donc ?
Avez-vous déjà vu une armée impériale qui perd ses batailles (et la guerre) se porter au secours d’une autre armée en difficulté ? C’est pourtant à cette étourderie qu’assistent aujourd’hui les Congolais (RDC) qui ont vu débarquer chez eux, depuis le mois d’Août, une équipe des Forces d’opérations spéciales américaines « en appui à l’armée congolaise engagée contre le groupe terroriste Daech qui revendique des attaques depuis 2019 dans l’Est du pays ». Sans blague ! Ainsi donc Fatshi le président-prestidigitateur veut faire croire à son peuple que les dignes successeurs des vaincus de Saïgon qui viennent de fuir Kaboul pourront vaincre les « cousins » idéologiques des mêmes extrémistes qui ont pris le pouvoir en Afghanistan. « Uruka ntafata uhitwa » disent les Rwandais, signifiant ainsi que celui qui vomit n’est d’aucun secours à celui qui souffre de la diarrhée. Encore que…
Qui fait-on en effet semblant de berner en voulant occulter le fait que ces « terroristes » sont financés par un petit émirat que les Yankees (et leurs alliés) n’osent pas mettre sur une liste noire comme ils ont l’habitude de le faire chaque fois qu’ils étiquettent un état de « voyou » ? Il est vrai que ce voyou-ci achète leurs bons du trésor, rachète les clubs de foot partout et organisera même une coupe du monde (novembre 2022). Ironiquement, c’est la même puissance financière qui est en même temps mise au service des causes terroristes, notamment dans le soutien aux groupes qui sévissent au Sahel. Les rapports à ce sujet abondent et seuls ceux qui sont aveugles ou de mèche avec cet émirat ne veulent pas l’admettre.
A la frontière orientale de la RDC, voici un autre président qui pourtant, par tous ses discours, professe sa foi dans le panafricanisme, mais qui fait de son pays l’Ouganda une poubelle, un dépotoir des collabos des forces d’occupation vaincues de l’empire yankee. Qu’est-ce qui peut bien motiver le fait d’accueillir sur le sol africain les collabos en fuite de forces d’invasion en déroute, déchets d’une guerre coloniale anachronique qui rappelle les pires moments de notre propre histoire ? Le chanteur congolais Antoine Christophe Agbepa Mumba, dit Koffi Olomidé chante « qui cherche trouve et qui trouve supporte ». Ils ont cherché les moujahidines chez eux et ils les ont trouvés. Ils auraient logiquement dû s’occuper de la réinstallation de ceux qui leur avaient servi de collabos dans cette guerre d’invasion au lieu de mépriser l’Afrique en y envoyant des « réfugiés » qu’ils ont créés. Ils, c’est bien sûr les Américains et tous ceux qui les ont accompagné dans cette aventure qui finit comme elle avait commencé : dans le mensonge.
Sans surprise, un autre président africain, celui du Rwanda, un habitué de la sous-traitance yankee et autre voisin de la RDC (et de l’Ouganda), a reconnu avoir marqué son accord pour héberger temporairement ces « réfugiés-VIP » que l’Amérique vaincue déverse éhontément en Afrique. Après, à qui sera le tour ? Tout cela est révoltant, non seulement pour la raison ci-haut évoquée, mais surtout lorsque l’on sait les conditions quasi inhumaines dans lesquelles vivent bon nombre de réfugiés/déplacés africains sur leur propre continent. Souvenez-vous à ce titre du mapping report qui détaille le calvaire des réfugiés rwandais pourchassés, massacrés et traqués comme des bêtes féroces en 1996-97. Le peu d’empressement de nos présidents à solutionner ce problème trahit tout simplement leur mauvaise foi sur le dossier afghan.
A la décharge du Rwanda, l’on peut toutefois mentionner le fait d’avoir accueilli les rescapés de la traite des Noirs en Libye, mais encore une fois il y a des mauvaises langues pour souligner qu’il ne s’agissait que d’un coup médiatique ainsi que d’une affaire de gros sous. Hébergement contre espèces sonnantes et trébuchantes ; en clair, ils ne sont plus vendus comme esclaves, mais ils sont tout de même « achetés » via un système des relations internationales un peu compliqué. On ne devient pas un « hotspot pour les migrants » pour rien ! La honte. Le site www.france-terre-asile.org remarquait par ailleurs que « Plusieurs critiques ont néanmoins été adressées à l’encontre de l’UE suite à cette annonce : elle est notamment accusée « d’externaliser » la prise en charge de ses demandeurs d’asile et réfugiés », ajoutant : « Jeffrey Crisp, de l’Université d’Oxford, s’interrogeait à ce titre sur la volonté réelle de l‘UE de « mettre à disposition des places de réinstallation ».
Cette honte n’est pas sans rappeler l’attitude interpellant des nombreux pays africains face au covid-19. Sur le site www.contrepoints.org, Joe Al Kongarena dénonce si justement ce qu’il appelle « l’inopérant jeu d’imitation des gouvernants africains » pendant que, dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, l’ancien diplomate camerounais Renner Onana s’interroge : « Fascination exclusive de l’Occident ? Mimétisme de l’urgence ? Ceci révèle en tout cas la difficulté, voire l’incapacité, des dirigeants africains à se penser en dehors du bloc historique post-colonial et de ses schémas, ainsi que la volonté de cacher leurs responsabilités dans les faiblesses des systèmes et des infrastructures de santé, habitués qu’ils sont aux évacuations sanitaires » (avril 2020).
Il y a enfin le mutisme coupable du tonneau vide qu’est devenue l’Union africaine (UA). Pendant que l’Afrique maltraite ses propres réfugiés, on lui impose des Afghans et c’est motus et bouche cousue du côté d’Adis Abeba où se trouve le siège d’une union que Kwame Nkrumah, Sekou Touré et leurs (vrais) amis imaginaient autrement. Cette coquille vide a accueilli l’état supremaciste et raciste d’Israël alors qu’elle n’a pas voulu de Haïti, la fierté de la dignité du combat de l’homme noir contre sa chosification et le mépris qui s’ensuit. On se croirait en pleine mythologie biblique avec Esaü, de retour épuisé des champs, vendant à son frère Jacob son droit d’aînesse contre un plat de lentilles. Les pétrodollars du Qatar aveugleraient-ils à ce point nos élites au point d’hypothéquer l’avenir de tout un continent ? En attendant, on chante (et on danse) à perdre le souffle dans les églises et les mosquées? Qu’attendent nos penseurs pour armer leurs idées, occuper les esprits et du fond des campagnes, mobiliser nos arrière-pays, marcher sur les villes, investir et reprendre possession de nos palais ?
Pierre Rugero, écrivain