Le prix pour la liberté d’expression, les lauréats de l’édition 2020

Ce 31 décembre 2020, Patrick Habamenshi, une personnalité publique rwandaise dévoilait la liste des lauréats du prix « Rwanda Freedom of Thought Awards », première édition.  Ce prix est organisé par son initiative « Gira Uwo Ubwira ».

Les origines de Gira Uwo Ubwira

Gira Uwo Ubwira (confies-toi à quelqu’un) est une initiative qui encourage les Rwandais à raconter leur histoire. Le 06 avril 2019, à l’occasion de la 25èmecommemoration du Génocide au Rwanda, Patrick Habamenshi mettait les mots aux maux rwandais y compris celui du silence imposé par les autorités rwandaises au peuple rwandais. Il l’avait exprimé ainsi : « Quelque part au fil des ans, en l’absence de récits de nos histoires individuelles non racontées, le monde a trouvé réconfort ou refuge dans cet attrayant « récit unique » ou conte de fées d’un pays qui a été capable de se reconstruire et d’avancer malgré son passé … 25 ans après le Génocide, nous sommes confrontés à une menace plus grande que la peur ou la haine. Maya Angelou a dit qu’il n’y avait pas de plus grande agonie que de porter une histoire non racontée à l’intérieur de soi. Je pense aujourd’hui qu’il y a une plus grande agonie : l’agonie d’oublier cette histoire qui est au fond de vous ».  Au cours de la même année Patrick Habamenshi rendait public son initiative « Gira Uwo Ubwira ».

Cette première édition comporte trois catégories, nous y reviendrons dans les lignes suivantes.

1ère catégorie : Kanzeguhakwa – Abatavugirwamo

Les lauréats de cette catégorie ont été distingués par leurs pairs. Kanzeguhakwa veut dire en français « celui qui a refusé de faire allégeance », nous devons ce mot au professeur Aimable Karasira, c’est le titre d’une chanson qu’il a composée en décembre 2020 à la sortie d’un énième interrogatoire par le bureau rwandais chargé d’investigation (le RIB) afin de l’intimider pour qu’il se taise. Le terme « Abatavugirwamo » peut être traduit par « celui dont la parole ne peut pas être influencée par une tierce personne ».

Les lauréats sont :

De la 25ème à la 21ème place nous avons :

  • Jambo Asbl, Berto Bagumya, Vestina Umugwaneza, Louis Rugambage et Pam Philios.

Jambo Asbl est une association établie en Belgique qui encourage les Rwandais à être maitres de leur destin. L’association est surtout connue du grand public pour son site d’information en ligne www.jambonews.net qui informe autrement sur le Rwanda entre autres. Ce site d’information est un cauchemar pour les autorités rwandaises. Les quatre autres des personnalités connues pour leurs prises de parole sur les réseaux sociaux.

De la 20ème à la 16ème place nous avons :

  • Hon oré, Marc Matabaro, Jean-Claude Mulindahabi, Eric Manirihiro et René Du Bois Nsengiyumva

Hon oré, Eric Manirihiro, René Du Bois Nsengiyumva sont encore une fois des voix qui n’hésitent pas à dénoncer ce qui ne va pas au Rwanda sur les réseaux sociaux. Les deux autres sont des journalistes rwandais reconnus pour leur professionnalisme, Marc Matabaro pour The Rwandan et Jean-Claude Mulindahabi pour la radio Urumuri et la chaine LECP Info.

Um’Khonde Habamenshi : le plus Senegalais des Rwandais.

De la 15ème à la 11ème place nous avons :

  • Carine Kanimba, Peter Mutabaruka, Constance Mutimukeye, Mukunzi Rubens et Doreen Umwiza.

Carine Kanima était une inconnue du public rwandais jusqu’à l’enlèvement illégal de son père Paul Rusesabagina par les autorités de Kigali. Depuis elle parle sans relâchement et avec détermination pour demander la justice pour son père. Doreen Umwiza, une voix indépendante, représente ces jeunes rwandais qui bravent leur peur en s’exprimant sous des pseudonymes pour se protéger ou protéger leur famille au Rwanda.

De la 10ème à la 6ème place nous avons :

  • Aimée Bamukunde, René Claudel Mugenzi, Laure Uwase, Ausares Uwacu et Mireille Abewe.

Dans cette catégorie notons Laure Uwase dont la nomination au sein d’une commission en Belgique a fait parler le parlement et le sénat rwandais. C’est un fait étonnant car ces deux institutions supposées représentées les intérêts du peuple rwandais sont reste silencieuses lorsque plus de 7500 familles[1]  pauvres ou faisant parti de la classe moyenne ont vu leurs habitations être démolies par les autorités rwandaises sans être indemnisées. Fin 2019, début 2020 le monde entier a assisté aux cris, aux pleurs et à la dévastation des familles entières, sans que les bébés soient épargnés, poussées à dormir dehors sous la pluie et sans accès aux produits de première nécessité. Une mention spéciale aussi à René Claudel Mugenzi qui a permis de donner la parole à Kizito Mihigo même après son assassinant.

De la 5ème à la 2ème place nous avons :

  • Rutembessa Guillaume, Ruhumuza Mbonyumutwa, Denize Zaneza et Claude Gatebuke

Dans cette catégorie notons Guillaume Rutembesa, une voix incontournable de la communauté rwandaise sur Twitter qui est porté disparu depuis le 06 novembre 2020.

A la première place nous avons : Ribara Uwariraye

Ribara Uwariraye : (la nuit ne peut être contée que par celui qui a veillé) est une plateforme qui permet aux Rwandais de témoigner, de raconter aux autres leurs histoires sans contraintes ou éléments de langage imposés. Les sujets qui ont été abordés en 2020 sont : la mémoire pour toutes les victimes rwandaises, la problématique des réfugiés rwandais depuis plus de 60 ans, les disparitions forcées des citoyens rwandais…Le fait que les victimes, sans distinction ethnique, puissent raconter elles-mêmes leurs histoires s’est avéré être une grande menace pour le régime du FPR qui nie avoir pas commis les atrocités or la parole du survivant est une armée puissante contre le négationnisme.  

2ère catégorie « Kanzeguhakwa- Indashyikirwa (ecxellence) »

De la 6ème à la 2ème place nous avons :

  • L’artiste rwandais Bahati Mussa, le journaliste Etienne Gatanazi, le journaliste Cyuma Hassan Dieudonné, le journaliste Théoneste Nsengimana, le professeur Karasira uzaramba Aimable.

Comme vous l’aurez compris cette catégorie honore ceux qui s’expriment en mettant leur vie en péril car ils les font du Rwanda. Aimable Karasira est abonné aux convocations du RIB, Cyuma Hassan Dieudonné est détenu en prison depuis avril 2020 sans être traduit devant la Justice…

Pour en savoir plus : Tentative de retrait du titre « journaliste » aux Youtubeurs rwandais alors que quatre victimes languissent en prison.

A la première place nous avons : Les habitants de Kangondo et Kibiraro

Comme déjà mentionné, ils ont été expulsés de leurs habitations avec une brutalité extrême sans proposition de logement de secours par les autorités dont le devoir est en principe de les protéger. Ces braves n’arrêtent pas de parler pour exiger des autorités rwandaises que leurs droits soient rétablis.

3ème catégorie « au-dessus du lot »

Le lauréat au-dessus de tout classement est Kizito Mihigo : considéré comme un apôtre de la réconciliation, un chanteur, un chrétien, un activiste pour la Paix. Il est le fondateur de la fondation Kizito Mihigo pour la Paix et un des membres fondateurs du mouvement RANP-Abaryankuna.

Son assassinant le 16 février 2020 par les autorités rwandaises a marqué beaucoup de Rwandais. Ils sont nombreux à clamer qu’ils ne l’oublieront pas. Son départ précipité de ce monde est survenu après 6 ans d’une vie dans laquelle il a subi des tortures, des chantages moraux, un emprisonnement illégal, un simulacre de procès, des harcèlements …pour avoir milité pour la révolution qui vise à éradiquer les rancœurs ethniques, la chanson Igisobanuro cy’urupfu est l’une des contributions de l’artiste à l’idéologie de cette révolution. C’est sa foi chrétienne et sa détermination qui l’ont aidé à traverser cette épreuve de 6 ans, sa satisfaction était d’ « être le signe visible de l’injustice que subit le peuple rwandais » et se consolait que « le message soit plus important que le messager ». Après son départ ils sont nombreux des à vouloir suivre sa voie pour construire la réconciliation véritable au Rwanda, ils manifestent leur Ubuzito. Que son âme repose en paix.

Je ne peux pas finir cet article sans rendre hommage à Patrick Habamenshi. J’ai eu la chance que nos chemins se soient croisés depuis fin 2018. C’est typiquement lui que de rendre hommage à tout le monde tout en s’oubliant. La vérité est que « Gira Uwo Ubwira » est une idée de génie. En 2019, il avait peur que la plus grande agonie qui guettait le peuple rwandais était que nous oublions les histoires enfouies en nous, même si le chemin reste long, petit à petit nous libérons ces histoires. Une idée de génie est celle qui inspire toute une masse, alors je rends hommage à Patrick Habamenshi, merci d’être une inspiration pour la jeunesse rwandaise.

J’ai une grande pensée pour tous ceux qui agissent et qui ne sont pas dans le classement alors qu’à chaque instant leur vie est en danger.

Alice Mutikeys


[1] En aditionnant tous les chiffres annoncé en 2020 par le ministre Anastase Shyaka.