L’effet des Arrêts de La Cour Africaine des Droits de L’homme et des Peuples

Par The Rwandan Lawyer

Introduction

Chargée de veiller au respect de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour a pour mission de renforcer la défense des droits humains sur le continent. Dotée d’un budget de près de 12 millions de dollars, elle est composée de onze juges, dont le président (au salaire payé par l’UA), qui exerce ses fonctions à titre permanent et qui est tenu de résider à Arusha.

Depuis son entrée en vigueur, seuls 30 pays sur les 55 que compte l’UA ont ratifié le protocole portant sa création. Surtout, elle peine à faire exécuter ses décisions, qui ont pourtant un caractère contraignant, reconnu par les États parties qui se résignent à immédiatement se retirer quand une éventuelle décision de la cour les préjudicie. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pourra-t-elle surmonter ces coups d’éclat successifs ? En l’espace de quelques jours, deux des derniers États qui en étaient encore membres ont annoncé avec fracas leur décision de retirer leur signature au bas de la déclaration au protocole de la Cour : le Bénin, le 23 avril, et la Côte d’Ivoire, le 29 avril.

Cet article analyse cet état des choses et propose quelques voies de sortie.

1.Une Cour dont les bras sont déjà légalement liés

Il va sans dire que les personnes privées sont, en raison des rigidités du Protocole relatif à la CADHP, les parents pauvres du système africain de protection des droits de l’homme.En effet, selon l’article 5 du protocole créant la CADHP, ont qualité pour saisir la Cour :  la Commission ; l’Etat partie qui a saisi la Commission ; l’Etat partie contre lequel une plainte a été introduite ; l’Etat partie dont le ressortissant est victime d’une violation des droits de l’homme ;les organisations inter-gouvernementales africaines.  Lorsqu’un Etat partie estime avoir un intérêt dans une affaire, il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’intervention. La Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut d’observateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes directement devant elle conformément à l’article 34(6) de ce Protocole.

En retirant à la Cour Africaine la compétence d’être saisie directement par leurs citoyens et ONG, les Etats africains mettent en lumière les contradictions de cet instrument chargé de la protection des droits de l’homme en Afrique. Pour le juriste et militant ivoirien Arsène Nene Bi, cette crise nécessite l’ouverture d’un dialogue entre la Cour, les États et les sociétés civiles africaines.

2.Des retraits immédiats

Le Rwanda ,la Côte d’ivoire, le Benin, et la tendance reste la meme pour pays inquiété par les decisions rendues par cette cour à son encontre.

  1. Rendu le 18 novembre 2016, l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples « Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. République de Côte d’Ivoire » constitue incontestablement une innovation majeure dans le modeste paysage jurisprudentiel de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Et pourtant, l’immense espoir qu’il aura suscité, au regard de l’inédite consécration d’un cercle vertueux existant entre droits de l’homme et démocratie électorale, contraste non seulement avec le minimalisme qui aura caractérisé son exécution quatre ans plus tard mais également avec la récente décision du retrait par l’État de Côte d’Ivoire de sa déclaration reconnaissant la compétence de la Cour. Doit-on pour autant conclure que cette retentissante affaire n’aura été en réalité qu’une tempête dans un verre d’eau ? A cette question, une réponse lucide s’impose. Nonobstant ses lacunes, des leçons peuvent néanmoins en être tirées notamment quant à la nécessaire amélioration du cadre juridique de suivi et de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, qui plus est, à l’aune de l’émergence d’un droit régional du contentieux électoral en Afrique.

2) Au Bénin, la Cour a ordonné, le 17 avril, la suspension des élections communales et municipales prévues le 17 mai, au motif que Sébastien Ajavon, condamné en octobre 2018 à vingt ans de prison pour trafic de drogue, dit avoir été privé de son droit à y participer. La Cour n’a pas encore tranché sur le fond, mais en attendant qu’elle rende son jugement, elle estime indispensable de suspendre le processus électoral.

3) Le 1er mars 2016, le Rwanda informait la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du retrait de sa déclaration émise au titre de l’article 34(6) du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples permettant aux individus et ONG de saisir la Cour à son encontre. Non prévue par cette dernière, l’hypothèse de retrait posait à la Cour plusieurs défis en raison des affaires pendantes impliquant le Rwanda mais surtout en raison du faible nombre d’États ayant soumis de telles déclarations. Au-delà des enjeux propres à la Cour, le retrait rwandais suscitait plus largement une interrogation relative à l’interprétation des actes unilatéraux. En effet, il s’agissait – pour la Cour – d’une occasion de clarifier les règles applicables à celle-ci. Malheureusement, l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme des peuples du 3 juin 2016 dans l’affaire Victoire Umuhoza Ingabire c. Rwanda se limite à une analogie avec la Convention de Vienne sur le droit des traités et ni ne renouvelle, ni ne clarifie les règles d’interprétation des actes unilatéraux

3. Bras de fer

En retirant leur déclaration au protocole, le Bénin et la Côte d’Ivoire privent pourtant leurs citoyens d’un outil de dernier recours en cas de violation de leurs droits. Une décision qui n’a rien d’anecdotique : depuis son entrée en vigueur en 2004, la Cour a majoritairement eu à se pencher sur des requêtes adressées par des individus (256 requêtes sur 272). Douze seulement ont émané d’ONG et trois de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, moyen de saisine indirecte pour les citoyens.

Sur les trente États qui reconnaissent la compétence de la Cour, ils ne sont donc plus que six aujourd’hui à donner à leurs citoyens cette possibilité : le Burkina Faso, le Mali, le Malawi, le Ghana, la Gambie et la Tunisie.Le président de la CADHP, Sylvain Oré, livre d’ailleurs cet aveu d’impuissance : « C’est une décision souveraine des États. Vous pouvez entreprendre toutes les démarches, mais s’ils ont pris leur décision, ils iront jusqu’au bout de leur logique. » Le juge ivoirien, réélu en 2018 à la tête de la juridiction pour un mandat de deux ans, évoque des retraits « regrettables ».

4.Prétexte des Etats impliqués dans les procès: atteinte à la souveraineté

Alors que les critiques envers la Cour pénale internationale (CPI) sont récurrentes sur le continent, où les appels à ce que « les Africains soient jugés par des Africains » se multiplient, la CADHP, qui aurait pu faire figure d’alternative, est aujourd’hui plus fragile que jamais. Le Rwanda et la Tanzanie ayant déjà jeté l’éponge, respectivement en 2016 et 2019, la courte liste des pays africains ayant accepté d’adhérer au protocole de la CADHP se réduit comme une peau de chagrin. Ces Etats accordent plus d’importance à leur souveraineté qu’aux droits humains. Pour la Côte d’Ivoire, le gouvernement avance que ce n’est pas une décision politique, mais avant tout un droit. Il reproche aussi à la Cour Africaine de « porter atteinte à la souveraineté de l’État » ou encore d’instaurer « une véritable insécurité juridique ».

Dans le cas du Bénin, la Cour Africaine demande la suspension des élections communales prévues le 17 mai 2020 à la suite de la plainte de l’opposant Sébastien Ajavon sur l’impossibilité de son parti de présenter des candidats.

Pour le Rwanda, c’est le processus de révision de la Constitution qui a permis au président Kagamé de briguer un 3e mandat qui a été contesté devant la Cour Africaine.
La Tanzanie, où se trouve le siège de la Cour Africaine, est l’Etat le plus visé par les décisions de la Cour Africaine. Les autorités du pays dénoncent un « tsunami judiciaire ».
Ces différentes motivations montrent que ces Etats retirent leur déclaration de compétence de la Cour Africaine par défiance et en guise de représailles. Ces Etats accordent plus d’importance à leur souveraineté qu’aux droits humains. Pour la Côte d’Ivoire, le gouvernement avance que ce n’est pas une décision politique, mais avant tout un droit. Il reproche aussi à la Cour Africaine de « porter atteinte à la souveraineté de l’État » ou encore d’instaurer « une véritable insécurité juridique ».

Dans le cas du Bénin, la Cour Africaine demande la suspension des élections communales prévues le 17 mai 2020 à la suite de la plainte de l’opposant Sébastien Ajavon sur l’impossibilité de son parti de présenter des candidats.

Pour le Rwanda, c’est le processus de révision de la Constitution qui a permis au président Kagamé de briguer un 3e mandat qui a été contesté devant la Cour Africaine et la saisine de la cour par l’opposant politique Ingabire Umuhoza Victoire. La Tanzanie, où se trouve le siège de la Cour Africaine, est l’Etat le plus visé par les décisions de la Cour Africaine. Les autorités du pays dénoncent un « tsunami judiciaire ».

Ces différentes motivations montrent que ces Etats retirent leur déclaration de compétence de la Cour Africaine par défiance et en guise de représailles.

5.Des décisions non exécutées

Cette « immixtion » de la Cour des droits de l’homme sur le terrain politique pourrait-elle porter le coup de grâce à cette institution qui se bat pour exister ? Si les États africains lui tournent aujourd’hui le dos, ce sont pourtant eux qui ont acté le principe de sa création, dès 1998.

6.Il faut reformer la Cour

Il faut analyser à froid pour repenser le système africain des droits humains qui contient des incongruités. Par exemple, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement africains qui est censée veiller à l’application des décisions de la Cour Africaine comprend tous les pays membres de l’Union africaine, y compris ceux qui ne la reconnaissent pas. La prise de sanctions est dévolue aux Etats qui sont pourtant les auteurs de violations. Tout Etat membre de l’Union africaine devrait reconnaître la Cour Africaine et le Protocole de Ouagadougou l’instituant. Puisque l’individu est au centre des droits humains, il faut faciliter la saisine de la Cour africaine et retirer sa clause facultative. Pour moi, un débat sur le rôle de la Cour Africaine doit intervenir assez rapidement entre la Cour, l’Union africaine, les Etats et les sociétés civiles africaines.

Conclusion 

Des Etats reprochent à la Cour de sortir de son domaine de compétence. Malgré le délai d’un an avant l’entrée en vigueur du retrait, il sera très difficile pour la Cour Africaine de faire respecter ses décisions par les Etats qui se sentent lésés par ses décisions. Même si cela est regrettable et ne grandit pas notre système, ces retraits remettent en cause la capacité de la Cour Africaine dont la crédibilité est engagée et un nouveau désaveu pour une juridiction qui peine à faire respecter ses prérogatives. Visiblement, il y a un hiatus entre les voeux des Etats et la pratique.une reforme visant surtout la saisine individuelle de la cour, l’execution de ses arrêts et des sanctions coercitives est de grand besoin pour réhabiliter cette juridiction dont la mission est pourtant noble.