Lettre du Col. Luc Marchal adressée à Alexander de Croo, Premier ministre, concernant le cas de Paul Rusesabagina

L’opposant politique Paul Rusesabagina assiste à une audience au tribunal à Kigali, au Rwanda, le 26 février 2021. La Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour du Rwanda a décidé qu’elle était compétente pour le juger.

Le 28 avril 2021

Monsieur le Premier ministre,

Je suis bien conscient de la profusion des sujets de préoccupation qui sont les vôtres, depuis votre entrée en fonction. Néanmoins, en tant que citoyen belge, je tiens à vous faire part de ma préoccupation pour le sort de mon compatriote Paul Rusesabagina. Il ne s’agit pas d’un sentiment de convenance mais bien de l’expression de l’incompréhension qui est la mienne face à ce que je considère comme une passivité dans le chef de notre pays.

Je ne peux oublier que la Belgique n’a pas fait preuve d’un grand courage, en avril 1994, en abandonnant la population rwandaise en pleine tourmente. Je sais qu’il ne faut pas refaire l’histoire, encore faudrait-il tenir compte des expériences du passé.

Depuis des années, l’actuel régime rwandais démontre de façon récurrente son total mépris pour les droits les plus élémentaires de la personne humaine et des peuples. C’est bien pour marquer sa totale réprobation à l’égard des autorités rwandaises et plus particulièrement de son président Paul Kagame que, dans un passé récent, le Parlement européen a voté quatre résolutions particulièrement critiques.

La première mettait en évidence, en 2012, le soutien direct fourni par le Rwanda au mouvement rebelle du M23 et fustigeait, entre autres, les actes de violence sexuelle massivement perpétrés en République démocratique du Congo.

La seconde et la troisième, prisent en 2013 et 2016, concernaient le cas de Victoire Ingabire Umuhoza qui avait eu l’outrecuidance de se présenter à l’élection présidentielle de 2010. Pour ce crime de lèse-majesté, elle avait écopé d’une peine de 8 ans de prison alourdie à 15 ans en appel. Déjà à l’époque, comme Paul Rusesabagina vient de le faire dans son propre procès, elle avait refusé de participer à la comédie burlesque organisée par la justice de son pays.

Finalement, il y a quelques semaines à peine, les eurodéputés ont traité spécifiquement de la situation de Paul Rusesabagina. En des termes sans la moindre ambiguïté ils ont dénoncé les circonstances illégales de son enlèvement, les conditions de son incarcération et les multiples obstacles dressés par les autorités rwandaises aux droits de la défense.

Monsieur le Premier ministre,

Quand notre pays va-t-il enfin tenir compte de la véritable nature de l’actuel régime rwandais?

Quand notre pays va-t-il enfin prendre des mesures appropriées à cette absence totale de volonté du Rwanda de se conformer aux règles les plus élémentaires de la Convention universelle des droits de l’homme et des peuples?

Quand notre pays va-t-il enfin exiger que Paul Rusesabagina, de nationalité belge, soit libéré séance tenante, plutôt que de supplier un Etat voyou aux méthodes mafieuses de bien vouloir lui réserver un procès équitable?

Ce n’est pas la première fois qu’un citoyen belge se trouve dans une situation semblable à celle de Paul Rusesabagina. En 2005, le Père Guy Theunis, arrêté alors qu’il se trouvait en zone de transit à l’aéroport international de Kigali, a été incarcéré durant 75 jours avant d’être restitué aux autorités belges. De nombreux citoyens belges s’étaient déjà, à l’époque, interrogés sur la passivité des autorités politiques face à l’arbitraire d’un pays qui n’avait certainement pas à donner des leçons aux autres en matière de justice et de démocratie.

A cet égard, le cas du Professeur Peter Erlinder, de nationalité américaine, est tout aussi significatif. Alors qu’il assurait la défense de Victoire Ingabire Umuhoza lors de son premier procès, il fut arrêté, incarcéré et jugé comme s’il s’agissait d’un vulgaire repris de justice. Sa photo en tenue rose de prisonnier, comme celle du Père Theunis, assistant à une audience de son procès avec un rouleau de papier WC en main, en a choqué plus d’un et reste dans la mémoire de ceux qui ont suivi son procès, comme l’illustration du caractère abject de ce régime.

Si certains s’arrogent le droit de décréter urbi et orbi ce qui est bien et ce qui est mal, alors que tout démontre objectivement leur potentiel de nuisance, il nous revient de nous y opposer avec détermination. Voilà pratiquement 8 mois que Paul Rusesabagina a été enlevé et incarcéré illégalement. Ce sont 8 mois de trop. Cet acte criminel est inadmissible. Lui et sa famille attendent de la Belgique un appui franc et sans équivoque. Que notre pays réponde sans retard à leur attente légitime conformément aux principes universels qui constituent le socle de notre démocratie.

En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien réserver à la présente, je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.

(sé)

Luc Marchal
ancien commandant
Secteur Kigali Minuar