Par The Rwandan Lawyer
En détention depuis bientôt deux mois, le youtubeur Karasira Aimable ancien professeur à l’université du Rwanda chassé pour ses opinions contre le régime de Kigali s’est vu condamné à trente jours de détention provisoire pour une série de charges retenues contre lui par le ministère public rwandais. A travers les lignes ci- après, nous allons analyser l’étape où en est ce procès visiblement politique.
Sur sa chaîne YouTube aux 62 000 abonnés, Aimable Karasira critique le gouvernement rwandais depuis des mois et tient des propos très controversés. Il parle régulièrement du génocide des Tutsis et de crimes du Front patriotique rwandais, aujourd’hui au pouvoir.
Dans sa dernière vidéo publiée le 20 mai, il compare le Rwanda de Paul Kagame à la Corée du Nord. Il se présente comme un rescapé du génocide et accuse des soldats du FPR d’avoir tué ses parents.
« Aimable Karasira fait des commentaires réguliers sur le génocide des Tutsis, en disant qu’il n’a pas été planifié », a indiqué le parquet devant le juge penal.Il est par ailleurs charge de l’enrichissement illicite après que les enquêteurs ont détecté des grosses sommes sur son compte bancaire, sur son portable et chez lui.
En février dernier, Yvonne Idamange, une youtubeuse qui critiquait les mesures prises par le gouvernement contre le coronavirus et qui assurait, à tort, que le président Paul Kagame était mort avait, elle aussi, été arrêtée.
Alors que de plus en plus de rwandais utilisent les réseaux sociaux pour s’exprimer, au moins six journalistes ou commentateurs sur internet ont été détenus, arrêtés ou poursuivis en justice ces deux dernières années.
Un procès purement politique
Le fait pour Karasira de dénoncer les crimes commis par le FPR sur les media est un sacrilège passible de la peine capitale car cette médiatisation discrédite ce parti et ternit son image à l’égard de la population dont il commençait a gagner en grand nombre et au niveau international où il avait réussi à museler les procureurs du tribunal international pour le Rwanda. L’on se rappelle de triste mémoire les intrigues du Rwanda face à Carla Del Ponte qui avait commencé à instruire les dossiers des officiers de l’APR qui ont trempé dans les crimes de guerre et qui lui ont valu l’exclusion de ce tribunal où elle fut remplacée par le gambien Abu Bakr Djallow acquis déjà à la position rwandaise. C’est ainsi que les criminels de guerre rwandais furent épargnés des poursuites internationales et continuent de bénéficier de cette impunité politiquement acquise.
C’est vrai que c’est le FPR qui a tué les parents de Karasira mais il ne veut pas que cela se sache de la part du public car cela le discrédite et fausse ses politiques mensongères qu’il ne cesse de brandir au niveau interne et international.
Idéologie du génocide
Ce crime a été souvent perçu comme une infraction conçue par les extrémistes tutsi contre la population hutue dans le but de l’intimider et d’indirectement inhiber son droit d’expression car aussitôt qu’un politicien hutu exprime des idées contre le régime, il est automatiquement taxé de divisionnisme et d’idéologie du génocide et cela contribute a le museler.Ce fut le cas de Mme Ingabire Umuhoza Victoire présidente de Dalfa Umurinzi; Me Ntaganda Bernard; Dr Niyitegeka Théoneste et bien d’autres. Pour le régime, les hutus ont été vaincus et doivent se taire et s’ils osent parler l’idéologie du génocide et l’accusation de génocide les attendent d’autant plus que ces crimes sont imprescriptibles. Karasira Aimable bien qu’il soit tutsi et rescapé du génocide est assimilable aux hutus car à considerer ses déclarations il ne diffère pas d’eux. C’est un tutsi par l’origine et l’apparence mais ses pensées et convictions sont purement hutues; c’est d’ailleurs ce qui a poussé le meme pouvoir a assassiner feu Kizito Mihigo qui préconisait la vraie reconciliation et semblait soulever la question des crimes commis par le FPR avec sa fameuse chanson”igisobanuro cy’urupfu”qui évoquait ces crimes frisant ainsi le double genocide.
Le problème de la santé mentale du suspect
L’expertise médicale atteste que Karasira souffre depuis des années des problèmes psychiques mais que cela ne lui empêcherait de penser comme toute personne normale. Les avocats de Karasira et ce dernier en personne s’appuient sur cette maladie pour démontrer que la plupart de ses déclarations médiatisées n’étaient pas bien raisonnées car il était sous l’emprise de l’instabilité mentale. Même si le tribunal n’a pas pris en compte ce moyen de défense, il y a lieu de se discuter les limites de l’instabilité mentale et jusqu’où elle peut mener son patient.
Enrichissement illicite
Selon la loi n° 54/2018 du 13/08/2018 relative à la lutte contre la corruption en son article 9, toute personne qui ne peut pas justifier la source de son patrimoine comparativement à son revenu légitime commet une infraction.La charge de l’enrichissement illicite semble indûment imputée à Karasira car il a mentionné les sources des sommes d’argent qu’il a reçues à savoir les dons émanant de ses amis, son patrimoine familial et les rémunérations de Youtube.Il reste la question cuisante de savoir si la position politique du bailleur de fonds est à prendre en considération et la loi est muette à ce sujet.
Conclusion
Même si le dossier Karasira Aimable est au niveau préjuridictionnel, la position du juge est déjà perceptible car il rejette toutes les exceptions soulevées par les avocats de la défence notamment le fait que le suspect n’est pas mentalement stable et le fait que la prévention d’enrichissement illicite est sans fondement car les provenances de l’argent sont connues. Il y a lieu de présager le pire car comme l’a redouté Karasira lui-même, “ceux” qui ont ordonné son arrestation sont toujours maîtres de son dossier et décideront comme bon leur semble sur son sort dans cette justice sans indépendance.