UNE INSULTE QUE MR. NGULINZIRA BONIFACE AURAIT EU DIFFICILE A SUPPORTER!

Par Seburanga J. Leonard*

Durant la première moitié des années 1990s, au moins cinq leaders du Mouvement Démocratique Républicain (MDR) avaient été accusés de trahison pour avoir accepté de collaborer avec le FPR (Front Patriotique Rwandais) et de lui faire des concessions controversées alors qu’ils tentaient de trouver une solution pacifique à une guerre qui gangrenait le pays depuis plus de trois ans.

Mr. NGULINZIRA BONIFACE, ministre des affaires étrangères et de la coopération entre Avril 1992 et Juillet 1993, et son supérieur Mr. NSENGIYAREMYE DISMAS, premier ministre entre Avril 1992 et Juillet 1993, furent accusés d’« avoir vendu le pays » aux rebelles du FPR. Le premier notamment pour avoir, concernant le partage du pouvoir, fait au FPR des concessions jugées de mal intentionnées par ses accusateurs; le deuxième, en particulier, pour avoir consenti au retrait du Rwanda des troupes françaises. Mr. TWAGIRAMUNGU FAUSTIN, alors président du MDR, déjà sujet à des ennuis liés à son commentaire sur la bataille de Byumba interprété comme une sorte de moquerie et de manque de compassion à l’égard de populations victimes des attaques du FPR, fut ensuite, avec Mme UWILINGIYIMANA AGATHE, premier ministre entre Juillet 1993 et Avril 1994, accusé de complicité avec les rebelles du FPR dans un plan d’accaparement du pouvoir; selon leurs accusateurs, les deux complotaient avec le FPR pour lui faciliter le contrôle du Gouvernement de Transition à Base Elargie issu des accords de paix d’Arusha. Mr. GASANA ANASTASE, ministre des affaires étrangères et de la coopération entre Juillet 1993 et Avril 1994 fut accusé d’avoir introduit les rebelles en pleine capitale en acceptant d’apposer sa signature d’accord sur la présence d’un contingent de 600 soldats du FPR, prétendument destinés à assurer la protection de ses politiciens qui devaient prendre part aux institutions de transition.

Les cinq personnes ci-haut nommées vécurent avec des menaces de mort pour plusieurs mois. Un d’entre eux (Mr. NSENGIYAREMYE DISMAS), sentant sa vie en danger imminent, fut d’ailleurs obligé d’effectuer un cours séjour en Europe entre Juillet 1993 et Novembre 1993. Cependant, le pire est venu en Avril 1994 quand deux d’entre eux furent assassinés (Mr. NGULINZIRA BONIFACE  et Mme UWILINGIYIMANA AGATHE). A l’exception de Mr. GASANA ANASTASE qui était en Tanzanie quand leur calvaire commença, les deux autres échappèrent miraculeusement à cette mort certaine et prirent le chemin de l’exil (Mr. TWAGIRAMUNGU FAUSTIN et Mr. NSENGIYAREMYE DISMAS).

Mr. NSENGIYAREMYE DISMAS, peut-être ne voulant pas commettre l’erreur de retourner pour une fois de plus dans un pays pas en paix comme il l’avait fait en Novembre 1993, est resté en exil depuis. Mr. TWAGIRAMUNGU FAUSTIN accepta de retourner pour former un gouvernement dès la fin des hostilités. Il ne comprit la sagesse durement acquise de son collègue Mr. NSENGIYAREMYE DISMAS qu’une année plus tard quand il fut lui-même obligé de reprendre le chemin de l’exil. Plus tard, Mr. GASANA ANASTASE lui aussi s’exilant alors qu’il était ambassadeur du Rwanda à l’ONU.

Aujourd’hui, la question est de savoir quelle est la raison qui poussa le FPR à s’en prendre à ses alliés. Que s’était-il vraiment passé? Le problème est à rechercher du côté du FPR lui-même. En effet, durant les premières années de son règne, c’est-à-dire de Juillet 1994 (mois de la proclamation de son premier gouvernement) à Mars 1997 (mois ou les deux Ministères de l’Information et de l’Enseignement Primaire et Secondaire que le MDR tenait depuis Avril 1992 furent échangés contre le Ministère des Travaux Publics et un Secrétariat d’État auprès du Ministère de l’Éducation), le FPR a seulement fait semblant d’avoir un certain respect pour les accords de paix d’Arusha.

En Février 1999, le MDR a perdu le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération que Mr. NGULINZIRA BONIFACE occupait entre Avril 1992 et Juillet 1993. En Mars 2000, le MDR ne tenait plus qu’un ministère (Ministère des Travaux publics, des Transports et des Communications), un secrétariat d’Etat (Secrétaire d’Etat chargé de la planification économique) et le poste de premier ministre (le seul qui lui restait des quatre postes lui réservés par les accords d’Arusha mais désormais occupé par un allié inconditionnel du FPR, Mr. MAKUZA BERNARD). Le parti lui-même sera dissous en 2003 (peu de temps avant le vote référendaire sur la constitution de la république suivi par les élections présidentielles et parlementaires), cédant ainsi la place au FPR.

Sur 11 personnes nommées ministres ou secrétaires d’état sur ticket du MDR entre Juillet 1994 et Mars 2000, six vivent en exil (Mr. GASANA ANASTASE, Mr. KABANDA CÉLESTIN, Mr. TWAGIRAMUNGU FAUSTIN, Mr. NKULIYINGOMA JEAN-BAPTISTE, Mr. NDAGIJIMANA JEAN-MARIE VIANNEY et Mr. BIZIMANA JEAN-PIERRE); deux furent mis en retraite forcée (Feu NTIRUHUNGWA JEAN DE DIEU et Mr. NGIRABANZI LAURIEN); un (Mr. NKUBITO ALPHONSE-MARIE) mourut dans des circonstances largement suspicieuses, seulement une année et demi après avoir quitté le gouvernement dans une ambiance particulièrement tendue en même temps que beaucoup d’autres ministres dissidents; et un (Mr. RWIGEMA CELESTIN) fut nommé député à la Communauté Est Africaine après avoir lui-même séjourné en exil pour une dizaine d’années, un poste qu’il détient jusqu’aujourd’hui. Une seule personne (Mr. MAKUZA BERNARD, l’actuel président du sénat) semble avoir servi la clique du FPR sans trop s’inquiéter, peut-être à cause de sa relation de cousin avec le dictateur lui-même.

Sur huit anciens ministres ou secrétaires d’état issus du Parti Démocrate Social (PSD) pour la même période de Juillet 1994 à Mars 2000, plus de la moitié (6) sont toujours actifs, dans le service public (Mr. BIRUTA VINCENT, Mr. NTAWUKULILYAYO JEAN-DAMASCÈNE, Mr. IYAMUREMYE AUGUSTIN, Mr. LYAMBABAJE ALEXANDRE et Mr. MAKUBA AARON) ou dans le secteur privé (Mr. RUGENERA MARC). Un mourut naturellement (Mr. NYANDWI DÉSIRÉ). Un fut mis en retraite forcée, précédée par un emprisonnement de 10 ans (Mr. NTAKIRUTINKA CHARLES). Personne ne vit en exil.

Tous les 7 anciens ministres ou secrétaires d’état du Parti Libéral (PL) nommés dans la même période de Juillet 1994 à Mars 2000 vivent encore dans le pays où ils contribuent toujours à la vie du pays, dans le secteur privé, dans la société civile ou dans le service public (Mr. NIYIBIZI BONAVENTURE, Mr. NSENGIMANA JOSEPH, Mr. NDAHIMANA EMMANUEL, Mr. MUGABO PIE, Mr. HIGIRO PROSPER et Mme NYIRAMILIMO ODETTE). Aucun en exil, aucun sans emploi.

Pourquoi ces trois partis (MDR, PSD et PL) ont pu recevoir un traitement si différent de la part de leur commun allié? La popularité du MDR parmi les électeurs Rwandais a dû en être la cause. Le FPR est une organisation « anti-démocratique ». Il n’y avait aucune possibilité d’organiser les élections nationales sans que le FPR se soit au préalable assuré de se débarrasser d’un concurrent de taille qu’était le MDR; en effet, bien qu’affaibli depuis plusieurs années par des pratiques « démocraticidaires » du parti au pouvoir (le FPR), le MDR a toujours été le principal parti d’opposition jusqu’au jour de sa disparition de la scène politique rwandaise.

Suite à cette manœuvre « démocraticidaire » de leur ancien allié, la majorité des anciens ministres issus du MDR ont dû prendre le chemin de l’exil. Au moins eux ils restent en vie. Que diraient leurs anciens collègues assassinés en 1994 comme Mr. NGULINZIRA BONIFACE qui eux aussi semblaient avoir cru « en toute naïveté » aux promesses vides du FPR et collaborèrent avec lui durant les années de sa rébellion? Comment auraient-ils réagi à la destruction du MDR ? Pour tenter d’y répondre, rappelons qu’en date du 28 Janvier 1993 au stade de Gitarama, Mr. NGULINZIRA BONIFACE a adressé à l’assemblée de membres et supporteurs du MDR le message suivant: « …mwumvise bavuga kuri radiyo ngo ikosa nakoze ngo ni iryo gusinya; nzazire gusinya, nzazire gusinya…MDR igomba gukomera ku nshingano yayo kuko iki gihugu [cy’u Rwanda] kidashobora kugera ku mahoro, kidashobora kugera kuri demokarasi…bitazanywe na MDR… », qui pourrait se traduire en français comme suit: « …vous les avez entendus dire à la radio que ma faute est d’avoir signé [les accords de PAIX d’Arusha]; je m’en fous si je meurs pour avoir signé, je m’en fous si je meurs pour avoir signé…le MDR doit s’accrocher à sa responsabilité car ce pays [le Rwanda]  ne peut pas accéder à la paix… ne peut pas accéder à la démocratie…sans que celles-là soient apportées par le MDR… ». Voilà des mots servant d’indice de comment Mr. NGULINZIRA BONIFACE aurait pu réagir quand le FPR orchestra la dissolution de ce parti qu’il considérait comme la clé de la paix et de la démocratie au Rwanda. La nouvelle concernant la dissolution du MDR aurait sans doute été une insulte qu’il aurait eu difficile à supporter. Par ailleurs, rien ne semble indiquer que les autres, notamment Mme UWILINGIYIMANA AGATHE, auraient réagi autrement.

Concernant la fidélité de Mr. NGULINZIRA BONIFACE aux principes démocratiques, il faut aussi rappeler que, contrairement à ce qu’aurait fait la majorité de politiciens Rwandais d’alors et d’aujourd’hui dont le but principal est d’avoir un poste dans le gouvernement (office seekers), il refusa d’entrer dans le gouvernement de Mme UWILINGIYIMANA AGATHE de Juillet 1993. Cela fut un signe irréfutable qu’il était de la catégorie des politiciens fidèles au principe de la primauté du « projet de société » sur des « objectifs matériels » personnels (policy seekers).

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*Seburanga J. Leonard est un enseignant devenu défenseur des droits de l’homme, citoyen devenu exilé, paysan devenu politicien. Nombre de ses travaux de recherche ont été publiés dans les journaux de portée internationale, y compris chez Elsevier, Springer, Taylor & Francis et autres. Il était professeur assistant et candidat docteur à l’Université du Rwanda jusqu’en Novembre 2015, quand il a pris le chemin de l’exil. Actuellement, il vit en Belgique.