LE DROIT CONSTITUTIONNEL SUR LA VOIE DE GARAGE AU BURUNDI ?

Celui qui a conclu un jour que les choses ne sont pas faciles ne croyait pas si bien dire. C’est curieux que l’inébranlable Professeur Reyntjens abandonne sur le terrain burundais la voie de l’école classique de vérité qui a fait de lui une grande figure du Droit Constitutionnel des temps modernes pour proposer une voie spéculative bâtie dans le cosmos où l’imaginaire ne rencontrera jamais le réel. Dès lors, point n’est besoin de démontrer autrement que par la demande d’ouvrir les yeux au bon endroit pour voir que la démarche Reyntjens lui fait passer à côté de la porte fermée dont on croyait qu’il possédait la clé.

En effet, il propose des scenarios connaissant les dangers de cette démarche sur les esprits qui cherchent leur propre voie politique et en panne d’‘idées nouvelles’ et sur les conséquences qu’un tel exercice mental aussi obscurantiste que dépourvu de mémoire risque d’avoir sur des étudiants qui trouvent encore le plaisir à jouer le rôle du ‘Loup’ dans la Fabre qui l’oppose à l’Agneau au grand regret de son auteur, alors que ces étudiants sans lendemain certain attendaient du Professeur invétéré des propositions de solutions motivées aux équations complexes qui leur barrent la vue à l’horizon.

Regardez bien, le Professeur Reyntjens sort du domaine réel du Droit qui est le sien pour spéculer sur celui de l’économique irrationnel en se donnant des modèles baptisés «scenarios» qui ont pourtant produit des résultats connus dans la région mais qu’il qualifie ici d’hypothèses pour ne pas démasquer l’authentique source de son imagination.

Ceux à qui le Professeur Reyntjens avait habitué la rigueur scientifique dans ses analyses ne le reconnaissent plus dans le document publié ici où il juxtapose deux voies dans une analyse dont l’objectif ne pouvait qu’être la voie de réponse à la crise actuelle au Burundi.

Au peuple en péril, Filipe Reyntjens propose deux voies asymétriques par essence et sans aucune issue par rapport à l’objectif de départ et aux attentes de la population qui espéraient en sa grande fertilité d’imagination devenue légendaire.

A la question capitale de l’éventuelle candidature du président Nkurunziza qui déchire le tissu social à peine soudé, le Professeur Reyntjens ne fait que relever les dispositions de la Constitution qui en parlent choisissant de les laisser parquer au garage sans commentaire juridique digne de son nom  alors que la crise réside dans le « flou » qui entoure les textes constitutionnels. D’un autre côté, il passe tout son temps à s’imaginer des scenarios qui ne sont précédés d’aucune analyse sociologique du terrain tenant compte des acteurs réels ou virtuels en présence, des antécédents dans un pays qui est passé de crises en crises pendant plusieurs années, des possibles implications d’acteurs étrangers et d’enjeux géopolitiques dans la région où se trouve le Burundi qui redevient aussi soudainement l’enfant chéri des médias que rejoindront très bientôt des experts internationaux.

Du point de vue du Droit, nous avons dit que le professeur Reyntjens l’a souligné, la source du mal est à rechercher dans les dispositions de la Constitution relatives au mandat du président du Burundi. À ce sujet, nous apprenons du document du Professeur Reyntjens deux faits très importants :

De manière générale, le législateur burundais a prévu deux niveaux et deux temps que tous les burundais ne devraient pas ignorer sans porter préjudice à cette même constitution : Les présidents burundais seraient régis par l’article 96 en ce qui concerne l’élection et le nombre de mandats légaux. “Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvellement une fois” (art.96).

A côté de ces dispositions générales que prévoit l’article 96, le législateur burundais a aussi prévu des dispositions particulières dans l’article 302 qui ne regardent que les modalités d’élection du premier président post-transitoire.

En effet, l’article 302 des « Dispositions particulières pour la première période post-transition » est ainsi libellé : « A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres ». De ce que dessus, le seul président qui sort du contexte de l’article 96 et pour la seule période post-transitoire est celui qui est désigné « A titre exceptionnel » dès l’entrée en vigueur de la présente Constitution.  On ne peut donc pas lier les deux articles 96 et 302 ni dans le fond ni dans leurs effets et aucun des deux ne s’oppose à ce que Pierre Nkurunziza brigue un autre mandat au suffrage universel direct comme il l’a fait pour la première fois en 2010.

Si le Professeur Reyntjens n’a pas voulu s’étendre sur les deux articles de la Constitution c’est qu’il aurait fermé le marché des spéculateurs alors que son intérêt est de se positionner en témoin  expert de tous les dangers.

Quant aux points spéculatifs énumérés par le Professeur Reyntjens, aux vues de leur nombre très élevé, on peut être tenté de croire que son exercice couvre tous les scénarios possibles ne laissant rien au hasard mais l’histoire récente dans ce pays du sud du Rwanda montre clairement que si l’auteur avait tenu compte de l’écrasement dans l’œuf des inclusions armées dans le nord du Burundi sans le moindre grincement de dents de ceux qui les armaient et télécommandaient à grande vitesse, il aurait compris que tous ces autres scenarios ne sont que des exercices intellectualistes qui ne collent pas avec la réalité du terrain miné par les mêmes démons qui sillonnent la Région des Grands Lacs Africains, car si Nkurunziza a pu maitriser en très peu de temps les bruits de bottes de ces inclusions fortement armées, les spéculations conséquentes devraient aller au-delà de simples jeux de mots.

On a bon préparer des voies –spéculatives, il ne faut pas en perdre de vue –  mais tant qu’elles sont lancées en l’air, il ne sert à rien de leur accorder un moindre crédit quel que soit la qualité de leur auteur. Ce qui risque d’arriver, si l’on n’en prend pas garde, cet effort spéculatif ne peut avoir d’effets que de canaliser les agneaux vers la réserve des loups affamés.  Ce sera-là le risque de l’école de J.J.Rousseau, me direz-vous ! Oui, c’en est un, mais c’est aussi la fin du Droit !

Zephanie Semahoro