Réponse à l’article de M. Faustin KABANZA intitulé « Le concept politique « Ndi Umunyarwanda » : une analyse linguistique et discursive », paru le 13/03/2016 dans la Rubrique « Analyse » de The Rwandan

Chers lecteurs,

Après avoir lu l’article de M. Faustin KABANZA, que je remercie de son analyse, de sa profondeur et de sa clarté, j’aimerais partager quelques réflexions qui me semblent nécessaires à tout Rwandais qui voudrait le bien, la justice et la paix pour le peuple rwandais.

1. Lorsque ce programme a été lancé par le gouvernement rwandais, j’étais inquiet à cause de la teneur des manifestations publiques qu’il entrainait, notamment les discours politiques des dirigeants rwandais qui terminaient soit en demandant publiquement pardon aux « Tutsi » au nom des « Hutu » et en leurs noms propres, soit en appelant les « Hutu » à demander pardon aux « Tutsi ». Ceci me semblait inconséquent pour deux raisons, l’une morale et l’autre logique. La raison morale : il n’est pas moralement juste qu’une personne innocente demande pardon alors qu’elle ne porte aucune responsabilité personnelle dans l’acte délictueux. « Icyaha ni gatozi », comme on dit en kinyarwanda. La raison logique : catégoriser un peuple entre ceux qui doivent demander pardon et ceux à qui on doit demander pardon est antilogique par rapport à l’objectif affiché du programme « Ndi Umunyarwanda » à savoir construire un peuple rwandais uni par la seule « rwandité ».

2. Le 5 mars 2016, un colloque sur ce programme a été organisé par l’ambassade du Rwanda en France à Paris. J’y ai participé afin de voir si l’argumentaire et les objectifs ont évolué ou non, et en vue de discuter mon avis sur les retombées plausibles de la manière dont ce programme est mené. Effectivement j’ai été satisfait par le fait la catégorisation entre les « demandeurs du pardon » et les « octroyeurs du pardon » a été abandonnée. Par contre je n’ai pas été satisfait par une certaine lecture de l’histoire du Rwanda qui tend à ne voir que du négatif dans toutes les politiques datant de 1900 – 1994, tout en n’exposant que du positif pour la période précoloniale et la période après génocide (1994 – 2016). Je considère que la scientificité de l’histoire se reconnait à une fidèle exposition des faits et à une critique impartiale (sur toutes les périodes et sur tous les sujets considérés). Toute histoire partialement orientée est nécessairement “idéologique” et doit être prise pour telle.

3. Voici les points sur lesquels je ne suis pas d’accord avec l’article de M. Faustin KABANZA :

a) « Le « Ndi Umunyarwanda » sous-entend que le gouvernement rwandais s’adresse à une population bien ciblée qui refuse l’identité rwandaise ou qui est simplement en concurrence. » Cette affirmation n’est pas vraie, parce que rien dans l’énonciation n’indique que l’énoncée s’adresse en soi à un public qui « refuse » ou qui « concurrence » l’identité rwandaise. Cette énoncée s’entend au contraire comme l’affirmation d’une identité. Par conséquent, cette énoncée peut :
Répondre à quelqu’un (n’importe qui) qui poserait une question du genre : « Qui es-tu? » ou « Quelle est ta nationalité ? ».
Inviter tout Rwandais à se définir politiquement et « citoyennement » en tant que « Rwandais » et non sous une autre identité (ethnie, religion, région, etc.). Ceci sous-entendrait que certains Rwandais se définissent encore politiquement sous l’angle d’une appartenance ethnique, religieuse ou régionale; ce qui à mon avis est un problème de Constitution politique.

b) « Le « je» met en évidence d’autres identités tout en affirmant sa supériorité. » Cette affirmation n’est pas vraie non plus. Le « Je » n’implique pas nécessairement une logique de comparaison. Le ‘Je » peut être purement autoréférentiel sans inclure un jugement de valeur. Dire par exemple « Je suis content », cela n’implique pas que je sous-entends que les autres ne le sont pas.

4. Enfin, concernant la question de fond, à savoir celle des rapports entre l’ethnie et l’identité citoyenne :

a) Je pense qu’il faut distinguer entre la dimension proprement sociale et la dimension proprement politique de la question. Politiquement, il serait absolument illogique et inconséquent de définir l’identité citoyenne par une appartenance parcellaire d’un peuple. La citoyenneté dans une République est par définition « universelle », c’est-à-dire que l’identité citoyenne ainsi que les droits et les devoirs y afférents ne tiennent uniquement qu’au fait d’être déclaré de telle nationalité suivant la loi. Dans le cas rwandais, il ne saurait y avoir par exemple des droits constitutionnellement liés à l' »être-tutsi » ou « hutu » ou « catholique » ou « musulman » ou « nordiste », etc. C’est pour cette raison que le programme « Ndi Umunyarwanda », s’il vise à la formation de cette conscience politique fondée sur le droit, alors il n’y a aucune raison de ne pas le soutenir. Parce que quiconque voudrait fonder les droits citoyens sur une autre identité parcellaire conduirait le peuple droit dans des divisions. L’exemple historique rwandais est justement le fait de fonder vouloir fonder des droits civiques sur des considérations du genre « Tutsi-Hutu-Twa » ou bien « Rubanda nyamwinshi- Rubanda nyamuke », ou bien encore mener des politiques régionalistes ou élitistes. Dans d’autres pays, c’est l’exemple de la nation Kurde en Iran, celui de la Convention des accords d’Arusha au Burundi, etc. (Sur ce dernier cas, celui du Burundi, si les dispositions de partage du pouvoir sont transitoires avant de créer une Constitution républicaine, ça va. Mais une fois une Constitution républicaine mise en place, alors la référence à l’ethnie devrait disparaitre de la Constitution car si elles dont gardées, alors c’est la guerre civile assurée car le contrat social serait fondé sur une conscience politique des appartenances conflictuelles et non unitaires.)

b) La référence ethnique est un fait historique au Rwanda. Il me semble qu’il ne devrait y avoir aucun problème de s’y référer en tant qu’identité mais seulement dans la dimension sociale. Que quelqu’un se définisse socialement comme hutu ou tutsi ou twa, personnellement je n’y vois aucun inconvénient comme nous n’en trouvons aucun lorsque nous nous référons identitairement à nos familles de naissance ou à nos origines noires, blanches ou jaunes. La seule question que je me poserais dans cette dimension est la suivante : « L’appartenance ethnique, ou religieuse ou régionale, est-elle une valeur sur laquelle je devrais construire la coexistence? En raison de quoi je devrais baser mes rapports avec d’autres à partir de mon appartenance à telle ou telle ethnie? » Personnellement je préfère socialement être en compagnie des personnes bons, fiables, véridiques, justes, etc. et je doute fort que ces qualités soient déterminées a priori par l’appartenance à telle ou telle ethnie, telle ou telle nationalité, telle ou telle religion, etc. La personnalité a sans doute quelque chose à voir avec de multiples identités qui nous collent (volontairement ou par hasard d’ailleurs), mais il n’y a aucun déterminisme reliant nécessairement notre personnalité à nos appartenances multiples.

c) Que la référence ethnique et même régionale ait été un fait au Rwanda, continuer à s’y référer « POLITIQUEMENT » serait à mon avis une erreur grave au vu de la coexistence pacifique des Rwandais, pour des raisons que j’ai évoquées dans le point 4.a). S’il doit y avoir une identité citoyenne pour un peuple, il faut que cette identité soit politiquement une et une seule. La « rwandité ». Tout autre fondement serait politiquement et moralement condamnable parce qu’il créerait ou conforterait une conscience de division au sens politique du terme, et ceci est mortifère à moyen terme et long terme.

Par contre, ceci ne veut pas dire qu’on doive se taire au nom de l’unité du peuple s’il y a parmi le peuple un groupe social qui s’estime lésé dans ses droits civiques. Par exemple ce groupe peut être celui dit « des femmes », « des pauvres », « des ba mwalimu », etc. bref des groupes sociaux identifiables par une communauté d’intérêts. Mais dans ce cas, c’est la justice sociale qui est en jeu et la revendication se réfère alors non pas à la référence exclusive du groupe lésé, mais au nom de l’égalité de tous en droits en tant que citoyens, laquelle est l’une des piliers politiques d’une république (les autres étant la liberté de chaque membre d’une communauté politique en tant qu’être humain et la dépendance de tous à une même législation en tant que sujets de la loi).

En conclusion : premièrement, le programme « Ndi Umunyarwanda » devrait être soutenu et promu par quiconque se soucie de la conscientisation en vue d’un Rwanda où les droits civiques seront uniquement déterminés par le simple fait d’être un citoyen rwandais. Deuxièmement, tout programme politique visant l’accession au pouvoir ainsi que toute défense des droits d’un groupe qui s’estime lésé en droits devraient se légitimer uniquement au nom de la liberté et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi mais jamais au nom de l’avantage politique exclusif de tel ou tel groupe. Je rêve d’un Rwanda où les hommes politiques légitimeront leurs visions par des vues plus hautes que les accidents de la nature.

Un lecteur anonyme