Une analyse critique de l’interview de James Kabarebe

L’homme parle beaucoup autant qu’il n’est pas établi que tout ce qu’il dit soit nécessairement vrai. Il faut lui reconnaître néanmoins un raffinement sophistique indéniable qui semble séduire…même Colette Braeckman ! Son seul défaut c’est de se persuader qu’il peut mentir tout le monde et tout le temps sans se trahir…Malheureusement dans la présente interview, commandée en duplex de la plaidoirie de sa compatriote devant le Conseil de sécurité, le seul fait nouveau étant le scoop de la présence officielle de 300 militaires rwandais au Kivu, il accrédite inconsciemment plus les thèses congolaises qu’il ne défend son pays, le Rwanda. Dans la multitude de paroles, la transgression ne manque jamais… il y a dans le flot de ses paroles de la matière pour la CPI !

Une maitrise suspecte de la situation militaire du Kivu

Voici comment James Kabarebe étale de mémoire et spontanément devant la journaliste belge le rapport parfait, précis et journalier de ce qui se passe d’heure en heure dans la case du voisin…révélant ainsi au monde qu’il ne peut pas ne pas être mêlé à ce qui se passe au Kivu :

« Comme je connais très bien la situation du Kivu, que je connais tout le monde là bas… Lorsque le colonel Zimurinda arriva à Goma, il fut désarmé, mais le même soir, il rejoignit Bosco Ntaganda. Le jour suivant, le colonel Baudouin Ngaruye fut lui aussi désarmé et lorsque le soir on lui rendit ses armes…il rejoignit Bosco. Le même jour, à Rutshuru le général Amisi donna l’ordre de désarmer tous les soldats de l’ex CNDP. Ensuite, à Fizi des officiers de l’ex-Pareco, Saddam et Nsabimana furent désarmés…Le commandant de la région, Delphin Kahimbi, déploya des forces pour les battre à Uvira et Bernard Nyamungu tenta de protéger les fuyards, avant de fuir lui-même vers Bukavu où il fut arrêté…Lorsque le président Kabila arriva à Goma, Makenga était supposé y revenir pour assister à une réunion, et sur la route de Bukavu à Goma, il y eut une embuscade, montée par Delphin Kahimbi. Makenga y échappa…et après quelques jours il a appelé Jean-Claude Yav disant qu’il ne pouvait rentrer à Bukavu aussi longtemps que Kahimbi s’y trouverait et il resta à Goma.. Le voyant arriver, Makenga quitta Goma à son tour et se rendit à Runyionyi…Les ex CNDP, dans le Masisi, étaient pratiquement vaincus…Même Delphin Kahimbi remonta de Bukavu jusque Goma. Le voyant arriver, Makenga quitta Goma à son tour et se rendit à Runyionyi…lorsque Makenga arriva à Runyonyi, il avait 200 soldats. Dans les jours qui suivirent, ils étaient des milliers : des soldats, des officiers firent alors défection et convergèrent pour rejoindre Makenga, il ne s’agissait pas seulement de rwandophones. D’après nos informations, 80% des forces du M23 sont des Hutus, anciens combattants du Pareco. Bashi, Bahutu, Nande, Barega, beaucoup d’autres groupes rejoignirent le M23. Même des membres de la garde rapprochée du président Kabila, des Katangais, des Kasaïens…Comment pouvez vous envoyer des troupes en opération en leur donnant seulement une poignée de haricots secs … sans eau, sans sel, sans riz, sans casserole ni bois de feu… ! »

On peut voir à travers ces indications précises (noms des acteurs, lieux, heures, nombre, composition, origines, rations des troupes, déplacements, destinations, motifs, ordres du jour des réunions…!) que James Kabarebe reçoit quotidiennement des rapports détaillés de différentes factions de l’armée rwandaise opérant en RDC en sa qualité de leur commandant en chef. Si tel n’est pas le cas à quel titre fait-il en parallèle le travail du Chef d’Etat Major congolais ? Si James Kabarebe n’a rien à voir avec les recrutements au sein du M23, comment procède-t-il pour accéder aux données aussi sensibles d’une armée « étrangère », le M23 : les effectifs, la composition, l’origine des recrues etc. Si toutes les frontières de la RDC étaient si poreuses et constituaient de ce fait une menace pour tous ses voisins pourquoi dans la Sous-région cet intérêt particulier pour la chose militaire en RDC est-il le fait d’un seul voisin (le Congo en a 9 en tous) et curieusement le Rwanda celui-là même qui à deux reprises a tenté de prendre le contrôle de Kinshasa situé à plus de 2000 km de sa frontière

A titre exceptionnel, voici une analyse critique de l’interview du Ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe.
James Kabarebe témoigne des efforts inlassables de la RDC pour la paix entre les deux pays

A son arrivée au pouvoir, le Président Kabila s’était engagé devant son Peuple à aller partout et à rencontrerait tout le monde si tel était le prix de la paix à l’Est du pays. Dans cette interview, croyant se donner de l’importance ou infantiliser le pouvoir congolais quand il ne s’en moque pas, James Kabarebe révèle au monde les nombreux actes de bonne foi posés par la RDC en direction du Rwanda au nom de la concorde entre nos deux pays et dans la Sous-région :

« En décembre, au lendemain de son élection, le président Kabila dépêcha un envoyé spécial à Kigali…le président Kabila souhaitait obtenir le soutien du Rwanda pour transférer vers d’autres provinces les soldats d’expression rwandaise qui se trouvaient dans l’Est du Congo…Fin mars, le président Kabila renvoya une autre délégation à Kigali, dirigée par le chef des services de sécurité, Kalev…ils souhaitaient toujours notre assistance car ils ne voulaient pas résoudre les problèmes de l’Est sans notre appui…Des le 1er mai, nous avons eu des contacts au niveau de l’état major…Ils nous ont demandé de les aider et nous allons le faire…Le 3 mai nous avons eu une autre rencontre à Kigali, avec le ministre de la défense congolais et lui aussi nous a demandé d’intervenir….Le 18 mai, autre réunion à Kigali…le 26 mai nouvelle rencontre, toujours à Kigali, incluant le ministre congolais des affaires étrangères, etc. »

Les autorités congolaises sont même allées trop loin espérant enlever au Rwanda tout prétexte d’interférence en RDC au motif de vouloir sécuriser ses frontières, en tolérant en 2009 la présence des militaires rwandais aux côtés des FARDC pour une traque conjointe des FDLR. Mais quand une frange de l’armée congolaise se rebelle contre sa hiérarchie, James Kabarebe s’en fait le porte-parole :

«Quant aux trois officiers rwandophones ils ont expliqué, rapporte James Kabarebe : ‘Nous avons été intégrés, certes, mais nous sommes toujours frustrés. Nous étions prêts à contribuer à la paix au Kivu, mais on ne nous aide pas : nous manquons de transport, de communications, de véhicules, d’argent. Rien. Comment pourrions-nous ainsi mener des opérations contre les FDLR et d’autres groupes armés ? Et même lorsque nous entamons ces opérations, les FDLR en sont informés d’avance par des gens qui, depuis les rangs gouvernementaux, leur passent l’information.»

Comme tout lecteur attentif peut le constater, les officiers rwandophones du M23, intégrés dans l’armée congolaise, viennent faire rapport à un Ministre étranger sur les difficultés qu’ils rencontrent dans la traque des FDLR (leur mission principale en RDC ?) du fait surtout que le gouvernement congolais (supposé être le leur) ne collabore pas. Curieux n’est-ce pas ! Et le lendemain, c’est ce même M23 qui vient d’être présenté ici comme étant démuni et manquant de tout qui le lendemain est capable de l’exploit vanté en ces termes par James Kabarebe :

« …cela n’expliquerait pas comment toute une armée (FARDC) a pu être battue par quelques centaines d’éléments…Vingt deux mille éléments, équipés de tanks, d’hélicoptères ont été mis en échec par quelques centaines de mutins. »

Voici un autre fait curieux rapporté par James Kabarebe :

« Ils (la délégation congolaise à Kigali) assuraient que Bosco Ntaganda bloquait le transfert de soldats rwandophones dans le reste du pays. Nous avons alors proposé d’organiser une réunion, à laquelle Bosco Ntaganda participerait et où nous tenterions de le convaincre de laisser ces officiers être déployés ailleurs qu’au Kivu. La réunion ayant été fixée au 8 avril, le jour dit, nous avons attendu ces gentlemen, mais ils arrivèrent sans Ntaganda car la rumeur avait couru selon laquelle les gouvernements du Rwanda et du Congo se préparaient à l’arrêter. Effrayé, il avait refusé de venir… Il a disparu la nuit dernière avec 200 de ses hommes hors de Goma…».

Puisque James Kabarebe n’était pas d’accord avec la méthode forte préconisée par l’autorité congolaise contre Ntaganda, d’où est partie la « rumeur » qui l’a fait fuir ?

«Les problèmes sont nés là, c’est là qu’ils doivent être résolus »

Ces paroles sont celles de James Kabarebe. Au long de cette interview, chacun a compris que les 300 hommes de faction à Rutshuru et le M23 ont un même combat dans le Kivu : les FDLR. Ils répondent de Kigali. « L’armée rwandaise est solide, bien organisés, bien commandée, bien disciplinée, des éléments incontrôlés en son sein ne peuvent pas exister…», ajoute James Kabarebe. Mais quand les messagers congolais vont expliquer à Kigali que le refus d’être déployé ailleurs qu’au Kivu de la part des éléments rwandophones intégrés dans l’armée congolaise était à la fois un acte d’indiscipline intolérable et un réel danger pour le Congo autant que l’était la présence des FDLR à la frontière du Rwanda, écoutons ce que James Kabarebe conseille à ses hôtes :

« Je leur ai alors conseillé de réunifier l’armée, de stopper les transferts, car la situation devenait dangereuse, de se pencher sur l’administration de l’armée, car il y avait beaucoup trop d’irrégularités, de problèmes de commandement, le mécontentement était général…J’ai proposé de mener ensemble une nouvelle opération contre les FDLR, de la planifier, de la mener à bien. Quant aux commandants qui avaient refusé de se déplacer, à Kinshasa ou ailleurs, je leur ai conseillé de ne pas être trop durs avec eux, car cela allait créer du chaos »

Et comme prédit par James, le chao il y en a eu effectivement et on y est encore !

INTOX

James Kabarebe connait bien les Congolais et sait où ça peut faire mal. Il est anglophone, le choix de Colette Braeckman n’est donc pas fortuit, le message est destiné avant tout à l’opinion interne congolaise. C’est souvent une erreur que d’écouter James Kabarebe sans garder présent à l’esprit la trame de fond de son discours. Quoi qu’il dise, il chutera par : « …Cela montre qu’au Congo il n’y a ni gouvernement ni armée, seulement un grand vide » On ne peut mieux pour rappeler au monde la nécessité de la partition de la RDC ! ».

Au sujet du jet américain intercepté à Goma, le journaliste Alain Vicky, qui a mené des profondes investigations sur ce dossier jusqu’à situer l’origine de de la cargaison de l’or saisi dans les mines contrôlées par Bosco Ntaganda dans l’Ituri, écrit exactement ceci quant au contexte de cette interception :

« Le 5 février 2011, la garde présidentielle en poste sur l’aéroport de Goma…intervient à bord d’un Gulfstream V. Ce jet a été loué par la société de Houston Camac Energya…après avoir molesté et menacé de mort ses occupants qui s’apprêtaient à redécoller, la sécurité congolaise découvre à bord du jet une cargaison de 480 kilogrammes d’or…Depuis l’automne 2010, les deux provinces du Kivu ainsi que celle de Maniema sont en effet soumises à une interdiction d’exploitation minière, pour casser les reins, selon le président Joseph Kabila, à une «espèce de mafia impliquant des hommes d’affaires véreux, des officiers militaires et des fonctionnaires ».

C’est vraiment ce Président là qui ferait du business avec Bosco Ntaganda ? Rappelons-nous que c’est James Kabarebe qui a emmené Bosco Ntaganda au Congo. Qui est donc ami à qui ? Pourquoi la garde de corps personnelle de Joseph Kabila molesterait-elle les invités de leur patron ? James Kabarebe n’a-t-il pas perdu de l’argent dans cette affaire ?
Quand est-il de la présence officielle de 300 militaires rwandais à Rutshuru ? Quand on connait l’homme, on sait d’avance qu’annoncé en grande pompe, le « retrait » de ces trois cents hommes ne se fera pas devant témoins et cameras de télévision. Certainement que le Rwanda, à l’insu du pouvoir congolais, n’avait jamais retiré toutes ses troupes venues dans le cadre des accords de 2009 (il y a une partie de la frontière entre les deux pays qui est sous le contrôle exclusif des éléments rwandophones depuis 1998). C’est facile aujourd’hui d’insinuer qu’elles étaient là avec le consentement du Congo. Si tel est le cas puisque le M23 n’est pas moins une force négative pour le Congo que ne l’est les FDLR pour le Rwanda, de quel côté ces hommes se sont-ils trouvés lors des affrontements entre les FARDC et le M23 ? Encore une fois, il ne s’agir que de l’expression d’une longue culture du mensonge vénéneux destiné en l’occurrence à décrédibiliser le pouvoir congolais auprès de son opinion interne et surtout désorienter les troupes au front face au M23. C’est une drôle de façon de la part du Rwanda de réfuter l’accusation de son soutien à Bosco Ntaganda en disant : «Oui, on est bel et bien présent au Congo, mais pas en soutien à Ntaganda mais plutôt à Kabila » !

Frédéric Kabasele
Réviseur Comptable

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Le carnet de Colette Braeckman