Ainsi que d’aucuns l’auront remarqué il règne une atmosphère de fin de règne au pays des mille collines. En effet, les récentes déclarations de Paul Kagame le 14 Novembre 2019 devant le parlement rwandais lors d’une cérémonie d’investiture de nouveaux hauts cadres de l’état pointent dans ce sens et laissent clairement penser à un régime à bout de souffle. L’on connaît, en effet, l’état des lieux catastrophiques du régime de Kigali : brouille avec tous les voisins etquelques régionaux, actes d’assassinats et disparitions incessants d’opposants, perte de confiance croissante de la population, y compris parmi les rescapés du génocide des Tutsi, etc…
La déclaration ci-haut citée de Paul Kagame a laissé dans l’opinion beaucoup plus de questions que de réponses :
– Premièrement le cadre choisi étonne. Il n y a, en effet, que dans le pays de Paul Kagame qu’un chef d’état peut oser tenir des propos menaçants envers ses concitoyens dans le temple même symbole de la représentation du peuple. Ceci témoigne, en réalité, du peu de respect qu’accorde ce président atypique aux grandes institutions de l’état. La grande question est de savoir si Paul Kagame est conscient des dégâts qu’il cause à la destruction permanente de l’image des grands symboles de l’état. A-t-il encore des conseillers autour de lui pour le lui faire voir ?
– Deuxièmement, il est étonnant de continuer à voir un chef de l’état qui se livre, avec une régularité terrifiante, à des exercices de délation publique et d’injonction de l’exécutif inacceptables aux corps de la justice. Il y a, en effet lieu, de s’interroger sur les buts et les intentions d’un chef d’état qui se plaît à donner des orientations que devraient prendre la justice sur tel ou tel cas. En l’occurrence, dans sa fameuse déclaration du 14/11/2019 ci-haut citée, tout le monde aura compris que la principale visée par ces menaces était bel et bien madame Victoire Ingabire Umuhoza. Il n’est, d’ailleurs pas à son premier essai en ce qui concerne ses injonctions malicieuses à la justice en ce qui concerne le cas de Victoire Ingabire. L’on se rappellera, en effet, des déclarations qu’avait faites Kagame au journal Ougandais « Daily Monitor » le 23 Mai 2010 juste avant l’arrestation de madame Ingabire: “Cette femme sera certainement où elle mérite. Elle a été inculpée par le tribunal. Elle est maintenant en liberté sous caution, mais les questions sont sérieuses et le sont en fait. Comment puis-je expliquer moi-même ou pour ce pays au-delà? Maintenant, les outsiders qui veulent tellement que Ingabire soit un leader del’opposition ici ou après être notre président, eh bien, ils risquent d’attendre longtemps.” Pourtant, par son l’arrêt prononcé le 24 novembre 2017 dans l’Affaire n°003/2014 Victoire Ingabire contre la République du Rwanda, la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples a jugé qu’elle avait été injustement emprisonnée et a même demandé au gouvernement rwandais de payer des dommages et intérêts.
Or que dit et demande madame Victoire Ingabire Umuhoza depuis des années ? Elle demande qu’il y ait une ouverture démocratique ; Que le peuple ne soit plus dirigé sous la terreur et la contrainte ; Que cessent toutes les disparitions et assassinats jamais élucidés ; Que l’on arrête de dilater à l’infini les richesses d’une poignée de gens alors que la majorité de la population croupit dans la misère. Etc…
Il se fait que ces demandes répétées de madame Victoire Ingabire Umuhoza sont celles de tous les autres démocrates et de la majorité du peuple qui aspirent à un souffle après tant d’années d’oppression et de mensonges.
Bizarrement, au lieu d’écouter ces voix de la raison et de l’avenir, Paul Kagame, à la manière d’un enfant terrible, se cramponne toujours à la même recette, tirée très probablement des longues années de brousse et jamais recyclée ou reliftée au contact du monde civilisé. Au lieu de continuer à se braquer, chaque fois le peuple demande l’ouverture démocratique et un meilleur partage du gâteau national, Paul Kagame ferait mieux de suivre les conseils de madame Victoire Ingabire Umuhoza, s’il veut vraiment amortir le choc de la chute de son système qui ne doit plus tarder. En écoutant les demandes de madame Victoire Ingabire Umuhoza, Paul Kagame pourrait amorcer une trajectoire de changement qui pourrait permettre aux rwandais d’obtenir ce à quoi ils aspirent et à Kagame d’avoir des possibilités de négocier des conditions d’une fin apaisée malgré la lourdeur des actes qui pèsent sur lui.
De quelle sécurité parle Paul Kagame ? Pense-t-il à sa propre sécurité ou pense- t- il réellement que le Rwanda c’est lui ?
Au lieu de se perdre dans des formules, des solutions, de plus en plus chères, ainsi qu’il le signale dans sa déclaration, Paul Kagame serait mieux avisé d’investir les moyens qu’il entend augmenter, non dans la surenchère sécuritaire au bénéfice de sa propre personne et sa clique, mais dans la mise en place des conditions et mécanismes de dialogue avec ses opposants. Ça coutera largement moins cher ; je rappelle en passant que le coût que Kagame signale devoir faire augmenter est supporté, in fine, par le peuple et non point par lui-même !
Qu’entend-il par hausse du prix pour la sécurité ? Ce qui est clair aujourd’hui c’est que le coût des méthodes Kagame, depuis les années 1990 à nos jours, est déjà excessif pour les rwandais. Toutes les personnes de bonne volonté doivent œuvrer pour arrêter cette course folle. Ensuite, en observant les comportements de Paul Kagame dans les enceintes du parlement, l’on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur le sens qu’il donne à ce qui devrait être un de ses principaux rôles qui est de rassurer le peuple dans les moments difficiles.
Serait-ce un signe que Paul Kagame, n’est, lui-même pas rassuré ? Aurait-il lui-même pris conscience et compris qu’avec les innombrables bêtises accumulées, tant au niveau national que régional, son système est, actuellement, proche de l’impasse et serait-il en train de paniquer ? L’Histoire ne va pas tarder à nous l’indiquer.
En tous les cas beaucoup de grands indices pointent dans le sens de l’écroulement prochain du système de terreur et de mensonges érigé par Kagame en système de gouvernement. L’on aura d’ailleurs remarqué ces derniers temps que certains des grands partenaires mondiaux du Rwanda ne s’y trompent pas. Les immenses dépenses en relations publiques vont certainement permettre au régime rwandais de pouvoir prolonger son agonie, mais pas encore pour très longtemps. Mêmement les indices à l’intérieur du pays montrent un mécontentement croissant d’une population qui en a assez d’être enfermée dans la grande prison appelée Rwanda, où le gâteau de la croissance acquise essentiellement sur le dos du peuple est accaparé par une clique minoritaire. Ces mêmes indices montrent une détermination, de plus en plus marquée, de la population à vouloir exiger ses droits fondamentaux de liberté et d’équité sociale.
En conclusion, sous divers prétextes fallacieux, les rwandais ne peuvent pas continuer à laisser un président narcissique, devenu dangereux pour la viabilité du tissu social et l’image des symboles forts de l’état, poursuivre sa chevauchée excentrique sans réagir. Il en va de la survie de la Nation et de la dignité du peuple rwandais. Des mesures doivent être pensées, n’importe lesquelles, pour stopper cette descente aux enfers.
Deux scenarii majeurs s’offrent à Paul Kagame :
1) Soit poursuivre la fuite en avant dans les violences, la terreur et les mensonges. Ceciest un scénario qui risque de couler assez rapidement et brutalement le régime sanslaisser des voies de sortie à Paul Kagame ;
2) Soit, en ce qui concerne Kagame, accepter et oser ouvrir un parachute c.à.d. un espacepolitique réellement ouvert et crédible. Scenario qui se ferait dans la douceur etpacifiquement et qui aura l’avantage d’épargner le pays d’une autre tragédie.
C’est cette dernière option que prône, depuis longtemps, madame Victoire Ingabire, et c’est celle qui, aux yeux de beaucoup de rwandais, est à l’évidence la meilleure. D’où le titre de notre dossier : « Et si Paul Kagame avait besoin de Victoire Ingabire pour sauver la fin de son régime ? »
Autrement dit : Et si Paul Kagame permettait à ce que lui et ses opposants véritables prennent leurs responsabilités, pour empêcher le pays de replonger dans l’abime, au lieu de surenchérir sur le coût des mesures à relever ?
Ce qui est sûr, les rwandais ont déjà assez chèrement payé pour assez peu de bonnes choses récoltées. Ils ne veulent nullement de ces surenchères de coûts et sacrifices que les petits malins leur imposent depuis un quart de siècle et qui ne profitent qu’à augmenter l’opulence de quelques-uns. Ils veulent des dirigeants qui rassurent et sécurisent tout un chacun, qui respectent les institutions et symboles de la Nation, qui ne se croient pas en permanence au- dessus de la loi et qui écoutent les désirs et doléances du peuple, au lieu de réprimer ses légitimes aspirations à la liberté et à la justice.
Clémentine Mutimukeye,
Kigali, Rwanda