FRANCE-RWANDA : Quand la politique hypothèque l’Histoire!

Par RUGEMINTWAZA Erasme.

L’engouement avec lequel se manifeste le réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda montre bien que quand les intérêts politiques des Etats sont en jeu l’Histoire s’éclipse. Quels intérêts majeurs sont à sauver pour que les deux pays qui viennent de passer 27 ans dans une guerre froide, effacent-ils d’un revers de la main le contentieux du génocide et autres crimes contre l’humanité? Que veut réellement la France au Rwanda et que veut le Rwanda à la France? Une question que tout  un chacun se poserait à voir la polémique diplomatique  souvent truffée d’attaques entre ces deux pays qui perdura plus d’un quart de siècle! Nous nous proposons de faire une petite analyse des relations diplomatiques qui à un certain moment furent traitées d’amitiés franco-rwandaises pour péricliter un jour et transformer nos deux pays « amis-frères» en chiens de faïence. Qu’est-ce qui se cache derrière cette volte-face qui d’un coup enterre la hache de la haine?

UN PACT DE SANG QUI DECRETA LE DESTIN D’UN PEUPLE

Les amitiés entre la France et le Rwanda datent des premières années de l’indépendance du Rwanda. Ancienne colonie belge, le Rwanda est considéré par la France comme un pays avec lequel il convient de tisser des liens pour des fins géopolitiques: le rapprocher de sa zone d’influence francophone où il constitue un point-clef oriental, et ainsi l’éloigner des pays anglophones frontaliers, la Tanzanie et l’Ouganda. Des accords de coopération civile sont signés en 1962. Un accord d’assistance militaire quant à lui, est signé en 1975 entre la France et le Rwanda pour organiser et instruire la Gendarmerie rwandaise. La politique de la France au Rwanda est alors la même que celle qu’elle mène dans de nombreux pays d’Afrique : coopération au développement, contribution à la sécurité et à la stabilité du pays, soutien au régime en place. En 1983, l’accord d’assistance militaire est amendé : les coopérants militaires français au Rwanda portent désormais l’uniforme rwandais, avec un badge spécifique de leur mission. L’interdiction de participer à des opérations de guerre ou de maintien de l’ordre est également supprimée. Puis, en 1992, alors que le gouvernement rwandais est en guerre civile depuis deux ans contre le Front Patriotique Rwandais (FPR), l’accord d’assistance militaire s’étend de la Gendarmerie à l’ensemble des Forces armées rwandaises (FAR). Cela ouvre alors à la France la possibilité d’agir militairement aux côtés des militaires rwandais sans que le parlement français en soit nécessairement informé, et bien qu’aucun accord de défense ne soit explicitement signé entre les deux États. Voici le hic!

Mais ces amitiés franco-rwandaises ne sont pas seulement militaires. On remarque qu’un esprit francophone et francophile qui fut  cultivé  au départ par le colon belge par l’éducation va continuer après l’indépendance. Cette francophonie et francophilie souvent excessives vont marquer des générations durant presque tout un siècle (1916-1994). La civilisation française va se filtrer dans toutes les strates de la vie tant sociale, politique et économique.  Dans les écoles primaires, l’éducation va se faire en français ; dans la politique et l’administration l’intelligence se mesure à la maîtrise du français seule langue étrangère officielle à côté du Kinyarwanda. Le paysan  lui aussi se targuait de parler la langue de ses maîtres. Ces amitiés vont s’appuyer sur une coopération culturelle qui va disséminer la culture francophone par des centres culturels dans des villes importantes du pays. Aux affaires de l’Etat se mêlent souvent amitiés privées des familles présidentielles. Habyarimana et Mitterrand vont constituer un tandem parfait d’«ami- frères ». Ainsi les relations diplomatiques seront toujours sous l’influence de cette amitié personnelle entre Habyarimana et Mitterrand. 

À travers sa présence militaire, sa coopération technique, ses services diplomatiques et culturels, la France est en prise directe avec le point de vue et l’action des élites au pouvoir, et avec la réalité du pays en général. En 1990, une centaine de coopérants interviennent au Rwanda dans le cadre de l’enseignement, de la santé, du développement rural. La France finance l’équipement de l’aéroport de Kigali et fournit un Falcon 50 au Président du Rwanda, ainsi que la prise en charge de son équipage.

Le 1er octobre 1990, le FPR, sous la direction de Paul Kagamé, lance une offensive depuis l’Ouganda contre le gouvernement de Kigali et déclenche ainsi la guerre civile rwandaise visant la conquête du pouvoir par des Tutsis rwandais exilés dans les pays voisins depuis les avatars de 1959. Estimant que le FPR n’a le soutien que d’une minorité de la population rwandaise et est soutenu par une puissance étrangère, la France intervient en appui du gouvernement rwandais, estimant que son inaction compromettrait la sécurité de l’ensemble des pays liés à la France et discréditerait sa garantie, le président François Mitterrand voyant dans le conflit « une lutte d’influence entre francophonie et anglophonie et entre la France et les États-Unis »

Voici le Rwanda, francisé jusqu’à la moelle, contre lequel Paul Kagame va attaquer! La France alors ne devrait pas laisser son lit douillet aux anglo-saxons. Et Paul Kagamé savait très bien la hardiesse de son entreprise, mais il avait derrière lui l’Ouganda, protectorat des anglo-saxons. L’attitude de la France au Rwanda, sa présence au front contre le FRP-Inkotanyi n’était que légale et légitime. Sans trop de fanatisme, la présence de la France au Rwanda dans cette période de 1990-1994 devrait être analysée en tenant compte de tous ces éléments. Et sans nul doute ni sentimentalisme, Paul Kagamé a attaqué la France, le sachant, le voulant!

Cet engagement de la France au Rwanda passe totalement inaperçu de l’opinion publique française, en une période où elle est principalement préoccupée de la guerre due à la dislocation de la Yougoslavie, de la fin de l’Union soviétique ou de la réunification de l’Allemagne. A cote de l’appui militaire, la France pousse le Président Habyarimana à négocier un compromis avec le FPR, ce qui conduira aux accords d’Arusha. Mais, parallèlement aux négociations auxquelles il se plie. En 1994, après avoir constaté que les FAR, sont en débandade et que l’exode de la population paysanne risquait de générer à un catastrophe humanitaire, la France demande l’autorisation aux Nations unies de lancer une opération humanitaire qui vise à sécuriser une partie du territoire rwandais. Le 22 juin, trois mois après l’assassinat de Habyarimana qui déclencha les massacres, la France lance l’opération Turquoise grâce à la résolution 929 du Conseil de sécurité. Une mission qui, elle  aussi sera au centre de discussions.

Ce sont tous ces faits qui font que le rôle de la France dans le génocide de 1994, soit une source de controverses interminables

 APRES LES CANONS, LA PLUME

Après  la conquête du pouvoir à Kigali, le FPR portait toutes fraîches les blessures de la guerre, et par là de la France qui lui a lancé des obus des mortiers jusque là  à la pointe! La rancune et la rancœur contre la France étaient à son comble. Et toujours, quand l’occasion se présentait, Paul Kagamé déversait une haine fielleuse contre la France. Aucune commémoration du Génocide ne pouvait passer sans clamer publiquement la France comme complice dans le génocide. La tension était à son comble, l’éclatement latent, il suffisait d’une simple étincelle pour allumer la mèche!

L’escalade politique entre la France et le  Rwanda au sujet du Génocide de 1994, va connaitre son paroxysme avec la mise en cause du régime de Kigali. En fait chargé d’enquête sur l’attentat contre l’avion  du président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, le 06 avril 1994 -attentant qu’on le veuille ou non a entrainé le déclenchement du génocide –  le juge antiterroriste  Jean-Louis Bruguière  a émis les mandats d’arrêts internationaux contre les neufs proches de Kagamé. Le juge Bruguière accusait Kagamé d’avoir éliminé le Président Habyarimana pour parvenir à ses fins politiques. Les mandats vont être émis le 22/11/2006, contre neufs personnes, sans Kagamé qui était protégé par l’immunité. Toute la procédure judiciaire était  cautionnée par le gouvernement français et validée par le Parquet de Paris. Les neufs personnes sont presque toutes des militaires qui occupaient des hautes fonctions dans les le Forces rwandaises de Défense. 

Les mandats vont provoquer un vif tollé dans la classe politique du Rwanda. L’affaire Bruguière fut considérée comme une injure, et va créer l’effet boomerang car dans seulement quelques jours Kigali ferma son ambassade à Paris et chassa l’ambassade de France à Kigali, dans une effervescence de manifestations populaires organisées par le gouvernement! La ligne rouge était dépassée, Paul Kagamé écuma de colère et la réplique ne va pas tarder. Ce fut le « rapport Mucyo ».

Le rapport qui portait le nom de Mucyo, alors Procureur Général de la République du Rwanda, est fait dans l’esprit de faire le match nul avec la France.  PUBLIE LE 5 Aout 2008, ce rapport est une réplique plus virulente que jamais de l’attaque du juge Bruguière. La commission qui était chargée de faire ce rapport portait d’ailleurs un nom révélateur qui bel et bien démontre la mission lui assignée. Il s’agissait de « La Commission nationale indépendante chargée de rassembler les éléments de preuves montrant l’implication de l’Etat français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994 ». Remarquons en passant qu’ici le syntagme nominal de « génocide contre les Tutsi » n’existait pas encore! La conclusion du rapport Mucyo impliquait beaucoup dignitaires français, au nombre de 13, tant civiles que militaires dans la préparation et l’exécution du génocide. Le rapport Mucyo était une offense politique contre la France comme en fut le rapport Bruguière contre le Rwanda. Le rapport provoqua une vive indignation dans les milieux français qui le traitait de diffamatoire avec des falsifications de l’histoire et faux témoignages, fait avec le dessein d’annulation de mandats contre Kigali. Le rapport Mucyo ouvrait par-dessus toute possibilité de poursuite judiciaire contre la France. Ce que Mucyo laissa entendre un jour, semblait être une sorte de chantage contre la France. Il déclara publiquement que si la France savait « faire un geste », il s’agit bien évidemment de « demander pardon », l’ensemble du dossier pourrait retourner à l’histoire et les relations diplomatiques franco-rwandaises, reprendre. On assistera a une relation diplomatique Le glacée oscillant entre un guerre froide et de timides et intermittents rapprochements ! Mais  toujours est-il  vrai que « il faut laisser le temps au temps ».

LES HORIZONS RADIANTS

Du 26 mars 2016 au 19 Avril 2021, une période de moins d’un mois a démontré que « Vouloir, c’est pouvoir ». Deux rapports commandés par les chefs d’Etats français Emmanuel MACRON et rwandais Paul KAGAME en disent beaucoup. Tout commence en hexagone quand un jeune président veut en finir avec le passé sombre de son pays, et déterrer la hache de la haine; c’est Emmanuel Macron avec sa République en  Marche! En fait à son élection en 2017, Emmanuel Macron  se penche sur le contentieux Franco-rwandais et veut en finir avec ce sombre spectre du génocide. Cette impulsion « macronienne »  inspire Kagamé qui va, à son tour se pencher à nouveau sur le dossier de la France. Et tous les deux presque simultanément font les commandes similaires.  Macron veut interroger l’Histoire par la « Commission Duclert », mais Kagame lui veut interroger le Loi par les avocats Américains de la Muse,  car il sait très bien que les conclusions de la Commision Mucyo étaient une dissuasion ou diversion bien techiniquées. 

  • La France s’excuse mais ne s’accuse pas!

Dans son rapport du 26 mars 2021, la commission historienne dénommée « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide de Tutsi (1990-1994) »  créée par Macron pour étudier le rôle de la France et conduite par Vincent Duclert, conclut à « un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » au sein de l’Etat français, tout en écartant l’idée de complicité de génocide. Cette conclusion a révolté certaines anciennes autorités de la France. Edouard Balladur, qui fut premier ministre (1993-1995), défend  avec acharnement que la France a fait quelque chose même si ce n’est assez et rapide. Que la responsabilité dans le génocide  doit être demandée aux autres pays comme les Etats-Unis, la Belgique et même l’ONU, et non à la France. Malgré sa révolte aux conclusions qui accusent la France, il admet que la majorité de la classe politique, dont le président François Mitterrand lui-même, était obnubilée par une vision coloniale et animée par une  volonté de soutenir un régime ami. Mais si les faits établis par la Commission Duclert  sont avérées, elles peuvent constituer de graves préjudices contre la France. L’historien a établi les faits, aux juristes d’en extraire les crimes!

  • Mais Kigali caresse la bête au sens des poils!

« Le rapport rwandais sur le rôle de la   France dans le génocide de Tutsi de 1994 en 1994 »  rédigé par le cabinet d’avocats Lévy, Firestone et Muse, désormais Muse,  documente l’implication de la France tout en s’efforçant de ne pas jeter de l’huile sur le feu, dans ce contexte d’apaisement entre les deux pays. Il évite de raviver les plaies anciennes de ce contentieux qui dure 27 ans! Dans ce rapport jamais de mot de « responsabilités » ni de « complicité ». Kigali semble ménage Paris qui semble faire un mea culpa, et qui a montré la volonté de tourner cette page sombre et de normaliser les relations depuis que Macron est entré à l’Elysée en 2017. Le rapport Muse réfute, toutefois, certaines conclusions Duclert qui laissent entendre que l’Etat français était aveugle et inconscient au sujet du génocide. L’arrogance coloniale du président Mitterrand est criante, remarque Muse. Et pour conclure Kigali n’exige pas d’excuses à Paris.

LE COUT DU REMARIAGE 

Que veut la France au Rwanda et que veut le Rwanda à la France? Tout simplement derrière cet engouement politique se profile des combines politiciennes. Le Rwanda constitue, pour la France, une position géopolitique pour avoir une présence dans les pays de grands lacs, pour des intérêts tant économiques que culturels. D’où elle doit  se culpabiliser s’il le faut, au lieu d’être culpabilisée. Un simple mot d’excuse, de la part de la France, tant attendu à Kigali, peut balayer d’un revers de la main tout le contentieux comme l’a bien dit  feu Jean de Dieu Mucyo. Kigali quant à elle ne veut ni argent, ni autre dédommagement matériel ; elle veut le soutient politique de la France, membre influent de deux grandes communautés politiques, l’ONU et l’UE. 

Tout le monde attend avec peu de patience l’aboutissement de ce roucoulement entre Kagamé et Macron qui sont comme des jeunes mariés dans la lune de miel ! On se demande comment un Kagamé qui hier jetait tout son courroux sur la France, peut faire une telle volte-face sans garantie et se permettre d’aller se balader à l’Elysée sous l’accolade de Macron, et aller proposer à Paris d’envoyer un ambassadeur à Kigali ! Et surtout comment un vrai président de la France peut se passer des injures publiques de Kigali  et se culpabiliser sans être complice ! Kagamé vient d’une visite officielle, où il a été reçu en dîner par Macron. Il a été aussi reçu en héro car on lui a même dédié un centre de recherche, Macron est  à son tour attendu à Kigali. Va-t-il briser l’orgueil de la France et demander pardon comme l’a exigé sa fiancée Kagamé. Un coût très cher pour Paris afin d’obtenir la main de Kigali. Le 27/05/2021, va être une date que l’Histoire retiendra ! Car elle va écrire une nouvelle ère de cette même Histoire qui s’efface devant les intérêts des Etats. Une ère d’une entente bâtie sur le silence de deux parties : le silence  de Kigali sur le rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi  dans lequel elle a accepté des «  responsabilités lourdes et accablantes » sans être « complice » ; et le silence de la France  sur les massacres  des hutus à commencer par les deux présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira et mêmes de ses concitoyens français qui composaient l’équipage du Falcon 50 offert à Habyarimana. Qui  dira si une telle alliance construite sur le sang des innocents  résistera!