Le dossier rwandais, pour les démocraties occidentales, s’avère de plus en plus un terrain miné. Les autorités canadiennes en savent quelque chose. Au cours des dernières années, rares furent, au regard du Rwanda, des initiatives prises par le Canada qui n’aient fait polémique: on se souviendra, entre autres, du tollé né de la décision des autorités canadiennes d’octroyer à Paul Kagame, le président rwandais, un visa d’entrée au Canada à l’été 2006. On se rappellera aussi de l’indignation suscitée par la visite à Kigali, au printemps 2010, de l’ancienne gouverneure générale Michaëlle Jean, alors que le régime rwandais cadenassait le processus électoral qui devait conférer un second septennat à Paul Kagame au terme d’une mascarade électorale sans nom.
La tradition canadienne en matière de politique extérieure s’est gardée des oeillères caritatives et est restée à l’écart du regard colonial et des leçons de morale à l’endroit de l’Afrique. Malgré cette prudence, la position du Canada dans le dossier des droits humains devient de plus en plus illisible. Sa croisade récente contre le Guide libyen , Muammar Kadhafi, a été largement appréciée. Mais son silence assourdissant face au rapport «Mapping» de l’ONU, rendu public le 1er octobre 2010 et qui montrait que l’armée rwandaise de M. Kagame avait perpétré des crimes contre l’humanité – d’aucuns ont même évoqué le terme de génocide – à l’encontre des réfugiés rwandais, majoritairement Hutu, en République démocratique du Congo, a froidement douché l’enthousiasme des défenseurs des droits de la personne. Nous assistons donc à un fléchissement de la politique extérieure canadienne qui nous fait passer à côté d’une relation historique liant le Canada et le Rwanda. Pourtant, des raisons ne manquent pas en faveur d’une implication plus vigoureuse du Canada à l’endroit de ce pauvre petit pays des Grands Lacs africains.
Des raisons liées à l’Histoire
L’année 2013 consacre le 50e anniversaire de la création de l’Université nationale du Rwanda (UNR), une oeuvre que l’on doit à l’action courageuse du regretté père Georges-Henri Lévesque, et qui ouvrit ses portes le 3 novembre 1963 à une poignée d’étudiants rwandais. Depuis lors, cette oeuvre tira bénéfice de la coopération bilatérale entre le Canada et le Rwanda.
Ce grand chantier que fut l’UNR a été réalisé avec l’appui moral, technique et financier du Québec et du Canada, fidèles en cela à une histoire commune, longue et fertile qu’ils partageaient avec le Rwanda. L’UNR fut aussi l’aboutissement de l’engagement du Québec et du Canada envers le Rwanda pour les liens d’entraide, de travail et d’amitié que l’Histoire a permis d’entretenir mais qui ont connu leur lot de soubresauts suite au drame rwandais. Ces liens s’étaient raffermis par le biais de l’Université du Québec, car les deux institutions – l’Université du Québec et l’UNR – partageaient des valeurs et des causes communes.
Pour bien mettre les choses dans leur contexte, il faut rappeler que l’Université du Québec a été créée en 1968, par une loi votée à l’Assemblée nationale, pour jouer un rôle social en favorisant l’accès aux études supérieures auprès des populations qui en étaient éloignées pour des raisons sociologiques ou géographiques. Cette noble vocation était, faut-il le souligner, très proche de celle qu’avait adoptée l’UNR, depuis sa création jusqu’à la fin des années 80, tout juste avant le « tsunami » socio-politique rwandais des années 90 qui allait tout emporter sur son passage. La collaboration entre l’Université du Québec et l’UNR a porté sur plusieurs fronts allant du développement institutionnel et administratif aux communications, en passant par la gestion et la recherche scientifique. Sans oublier le développement des ressources de la fonction publique rwandaise grâce à l’appui de l’École nationale d’administration publique, ainsi que l’action de nombreux professeurs québécois qui ont passé une bonne partie de leur carrière au service de l’UNR et le nombre de Rwandais qui ont été formés dans les murs des universités du Québec et du Canada. Ce projet inachevé – à cause notamment du génocide rwandais -, dans lequel nombre de personnalités québécoises ont laissé des marques indélébiles, reste une parfaite illustration de l’essence des valeurs d’éducation et de formation qui ont sous-tendu la coopération canadienne au Rwanda, dont le Québec assurait l’ossature principale.
Quel autre pays de l’Occident pourrait-il s’enorgueillir autant d’un si vaste héritage en faveur du Rwanda ? Fort de ce bagage que nous venons de passer en revue, le Canada devrait légitimement soutenir les efforts de démocratisation du Rwanda, lesquels efforts sont aujourd’hui dans l’impasse et se butent à une dictature sanguinaire qui réprime dans le sang toute velléité d’opposition. Fort de ce même bagage, le Canada devrait être en droit, à la faveur du jubilé d’or de l’UNR, de soulever avec les autorités rwandaises, – même si le dossier est potentiellement explosif et qu’il continue de remuer bien des passions -, des questions qui fâchent sur le terrain de la justice et du respect des droits humains.
Des raisons de paix et de sécurité
Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays scandinaves viennent de suspendre l’aide qu’ils destinaient au gouvernement de Paul Kagame. Les montants d’argent en cause sont peut-être trop peu importants pour ébranler le régime rwandais. Mais c’est un signal fort sur le plan de la symbolique diplomatique. Qu’attendrait le Canada pour emboîter le pas aux autres pays en vue de signifier son attachement à la paix dans cette région des Grands Lacs africains? Les autorités canadiennes ont été avares, ces dernières années, d’initiatives de dissuasion dans le dossier rwandais. Mais continueront-elles de fermer les yeux sur le soutien de Kigali aux forces rebelles du M23, qui mettent cette région de l’Afrique en coupe réglée ?
On pourrait partir des valeurs universelles, dont le Canada a éclairé le monde et qui devraient guider son action internationale. Ce sont, pour ne mentionner que quelques unes, des valeurs des droits de l’Homme, de la démocratie, et de la justice internationale. En défendant ces valeurs, le Canada fait montre d’une conception singulière des relations avec les peuples du monde et se fait le porte-voix des «sans-voix». Il ne devrait donc pas être question, pour le Canada, de se montrer frileux ou silencieux devant les horreurs que subissent les Rwandais, prisonniers d’un régime qui les terrorise.
Arrêtées et accusées «de négationnisme et d’idéologie génocidaire» – une charge fourre-tout du despotisme kagaméen -, des figures de l’opposition rwandaise sont depuis des années en prison, soumises à de dures conditions d’incarcération. Ainsi va le Rwanda du général Kagame et son DMI qui traitent les opposants rwandais comme jadis l’Union soviétique et son KGB le faisaient des dissidents!
Le Canada devrait constamment rappeler au régime rwandais que le respect de l’opposition, la liberté de la presse, la capacité pour les Rwandais de participer à la vie publique, quelles que soient leurs opinions politiques, sont des principes essentiels et non négociables. Les Premiers ministres Harper et Marois doivent se rendre à Kinshasa en République démocratique du Congo, en octobre prochain, pour participer au Sommet de la francophonie. Le Rwanda sera invité à ce Sommet. Le Québec et le Canada devraient dire haut et fort que la francophonie n’est pas qu’une affaire linguistique mais également une communauté de valeurs, de principes et d’idéaux politiques. Il faudra néanmoins déployer des trésors de diplomatie pour éviter d’embraser certains esprits tout en signifiant sans détour aux autorités rwandaises que l’intimidation des opposants politiques reste un sujet de préoccupation pour le Québec et le Canada.
Augustin Baziramwabo, président sortant
Communauté des immigrants rwandais de la région d’Ottawa-Gatineau (C.I.R.O.)