RWANDA : la guerre des archives ou la guéguerre des services?

Par MICHEL ROBARDEY

A l’approche du XXV° anniversaire du génocide rwandais, deux clans animent toujours et encore le lamentable débat manichéen – ou devrais-je dire les deux monologues en absence de tout débat contradictoire – franco-français traitant du drame rwandais. Ils se lancent à la figure des documents récemment ou non encore déclassifiés mais toujours fort opportunément découverts.

Il est frappant d’observer que les documents visant à exonérer Kagame de toute responsabilité dans le génocide rwandais ressuscitent depuis  les archives françaises alors que les textes qui apportent des preuves irréfragables de la culpabilité dudit Kagamé proviennent d’archives étrangères et principalement du TPIR. Comparer ces différents écrits mène à une conclusion assez cruelle pour les rédacteurs français et pour tous ceux qui ont accordé foi à leurs écrits.

Ainsi, France Inter et MEDIAPART ont publié récemment le commentaire d’une note de la DGSE déclassifiée depuis 2015. Bien qu’elle soit désormais dans le domaine public, les deux commentateurs ont soigneusement évité de publier le texte intégral de la-dite note. Cette précaution a aiguisé ma curiosité, d’autant que ces deux « journalistes et militants » ne sont pas totalement nouveaux sur le sujet.

J’ai donc plongé dans mes archives et, après des « recherches archéologiques » selon l’expression consacrée, j’ai exhumé la chose. Je l’ai lue. Puis, stupéfait, je l’ai relue et relue encore, en me frottant les yeux. L’impression première, et même seconde, a été que le type qui a rédigé cela en 1994 n’avait pas mis les pieds au Rwanda, ou si peu qu’on se demande ce qu’il a bien pu y faire. Un séjour au Pays de l’Eternel Printemps est toujours agréable pour le touriste, les filles sont jolies et les hirondelles gracieuses même quand l’automne revient ….

Dans un sursaut d’honnêteté intellectuelle le rédacteur de la DGSE, a cité ses principales – ou uniques – sources : la FIDH et le trop fameux rapport sur « les violences au Rwanda depuis le 1° octobre 1990[1] »

Or, rédigé rapidement après le très bref séjour de quelques militants européano-américains au Rwanda, ce  rapport en forme de pamphlet visant à déstabiliser le président rwandais Juvenal HABYARIMANA a été publié en mars 1993 par un aéropage d’ONG à partir, essentiellement ,des dires d’un certain Janvier AFRIKA. J’avais personnellement alerté, après enquête sur le terrain et auprès de l’individu en question, sur le fait que le dit Janvier AFRIKA[2] n’avait jamais assisté aux réunions qu’il dénonçait et qu’il racontait des fables. Mais cela n’avait pas empêché la FIDH, citée dans le document de la DGSE comme étant sa principale source, de continuer à faire référence aux mensonges du sieur AFRIKA[3]. On sait que, bien plus tard Alison DESFORGES, la principale auteure de ce pamphlet avait pris ses distances avec cet écrit avant de disparaitre à son tour dans un accident d’avion.

Mais en attendant, comme si on n’avait rien appris en deux ans et demi, toutes les grandes lignes du rapport des ONG de mars 1993 se retrouvent dans la note de la DGSE signée en septembre 1994. Il n’ y a aucune évolution : le réseau Zéro inventé dans une manœuvre purement politicienne par Christophe MFIZI et qui ne signifie nullement « zéro tutsi », comme il l’a expliqué très clairement lui-même[4] ; les commandos de la mort dont on ne savait pas trop en 1993 à qui ces soi-disant commandos avaient bien pu donner la mort ; les réunions bidons de Janvier AFRIKA (qu’on prend bien soin de ne pas nommer dans le rapport de la DGSE, comme si on se doutait un peu quand même que tout cela n’est pas très solide) etc.

En revanche, on ne trouve pas un mot des cinquante attentats qui ont ensanglanté le Rwanda de 1991 à 1994, ni des assassinats, bien réels ceux –là de Gatabazi, Gapyisi et des maires appartenant au MRND, parti d’Habyarimana et élus en 1994 dans la bande dite démilitarisée ». Tous ces crimes commis par le FPR par des agents infiltrés en zone gouvernementale et qui ont constitué autant de prolégomènes à l’attentat du 6 avril 1994, sont ignorés par la DGSE, comme ils avaient . été occultée deux ans auparavant par les ONG, et comme ils  le sont encore aujourd’hui par Kagame et ses campagnes médiatiques.

Mais apparemment la DGSE ne lisait pas les rapports et télégramme diplomatiques envoyés par la mission d’assistance militaire et l’attaché de défense. Souci de croiser les sources ? Querelles d’ego ? Guerre des services comme l’a décrite CONESA (Cf. mon blog[5]). La DGSE aurait quand même pu apprendre ce que les autres services, et en particulier la DRM, savaient depuis deux ans au sujet de Janvier AFRIKA et de ses pseudo-escadrons de la mort.

C’est probablement pour faire vrai et bien personnalisé, que la DGSE a instillé ici ou là quelques erreurs énormes comme celle qui lui fait placer l’assassinat du Colonel MAYUYA en 1991. N’importe lequel de ces vendeurs à la sauvette qui ne sillonaient les rues de Kigali, n’importe quelle épouse de coopérants bronzant au bord de la piscine de l’Hôtel des Mille Collines, lui aurait dit que ce crime avait été commis en 1988. Mais il est vrai qu’à Paris, même au cœur de la Piscine du Boulevard Mortier, c’était moins connu.

Déclassifié depuis 2015, ce papier n’a été pris en considération par personne : ni les juges d’instruction, ni les avocats des parties civiles, ni le Parquet n’y ont accordé l’importance démesurée que veut leur donner aujourd’hui cette dernière opération de communication en date. Ni le réquisitoire définitif aux fins de non-lieu, ni l’ordonnance de non-lieu n’y font référence. Et, bien mieux, les avocats de la défense, chargés des intérêts des proches de Kagame, ont jugés prudent de ne pas en faire état.

Tous, à commencer par l’échelon hiérarchique immédiatement supérieur au rédacteur, ont concédé à ce papier l’importance réelle qui est la sienne : nulle, car totalement obsolète et puissant ses sources dans une précédente manœuvre de communication elle-même obsolète en 1994 car reposant sur des mensonges proférés par un individu infiltré. C’est assez peu flatteur pour la DGSE, certes, mais aussi pour ceux qui, on ne sait trop pourquoi, y trouvent leur miel vingt-cinq ans plus tard.

[1] https://www.fidh.org/IMG/pdf/comintmars93_full.pdf

[2] On a appris ensuite que janvier AFRIKA avait agi sur ordre du FPR dans une de ces manœuvres d’infiltration dont il avait et a encore l’habitude.

[3] On continue d’ailleurs jusque dans les prétoires de la République pour mieux faire condamner ceux que la nièce du général Kabarebe , numéro deux du régime rwandais et bourreau du Congo, désigne à la justice française.

[4] https://fr.calameo.com/read/00000636551b86935ecd0 : Le réseau Zéro comme ZIGIRANYIRAZO et non comme zéro tutsi comme on veut le faire croire !

[5] https://blogs.mediapart.fr/michel-robardey/blog/060418/rwanda-comment-le-fpr-tente-de-peser