Ce n’est pas le titre d’un autre épisode de la série qui voit le légendaire Jack Bauer sauver le monde en vingt-quatre heures, mais bel et bien du souvenir des moments les plus angoissants que beaucoup de Rwandais ont vécu le 7 avril 1994. Rappel des faits : l’avion du président Habyarimana vient d’être descendu dans une ambiance de grande tension consécutive aux difficultés à mettre en place un gouvernement de transition tel que préconisé par les accords d’Arusha. Signés entre le gouvernement de l’époque et le Front patriotique de Kagame, ces accords sont apparus après coup comme un vrai marché des dupes. A Mulindi, quartier général du Fpr, les troupes avaient en effet été placées en alerte maximale (standby class one) après que leur commandant suprême leur eût dit que seule la kalachnikov dénouera le conflit en cours. La suite, on la connaît : un génocide dont les effets sous-tendront encore longtemps les différents secteurs de la vie du Rwanda et une grosse supercherie qui mérite d’être dénoncée en ce mois.
7 avril donc, pendant que le souffle de tout un pays est retenu et que la haine est sur le point de faire la loi en lieu et place des institutions qui viennent d’être anéanties, on voit dans les rues et sur les collines une armée gouvernementale qui a perdu la tête (au propre comme au figuré). Quelques opérations de sauvetage ainsi que quelques positions défendues resteront ses seuls faits d’armes connus. Avant la très périlleuse et coûteuse (en vies humaines) « opération champagne » qui aidera à évacuer la capitale via Nzove et accompagner ainsi plus d’un million de paysans en exil. Battues par la coalition de leurs adversaires (l’on sait aujourd’hui qu’Ethiopiens, Soudanais, Erythréens et Ougandais se sont battus pour Kagame), les ex-Far n’en ont pas fini de porter le chapeau du drame rwandais malgré certains arrêts favorables d’un tribunal international créé pour ne juger que les seuls vaincus.
Quelques semaines avant l’attentat sur le Falcon présidentiel, les cadres du Fpr qui opéraient à partir du Cnd où ils étaient cantonnés ou de l’hôtel Méridien où ils avaient leurs habitudes, exhortaient ceux de leurs sympathisants qui ne pouvaient temporairement quitter le pays, d’identifier des lieux où ils devaient pouvoir se regrouper le jour J. Les témoignages sont aujourd’hui aussi nombreux que le sont les expressions d’indignation face à la « trahison » qui a suivi. Le collège Saint-André, l’église Sainte-Famille, la paroisse Saint-Paul, l’hôtel des Mille collines, tous ces endroits avaient été conseillés aux personnes (qui y furent assassinées) par les cadres susmentionnés, sous la coordination des officiers Karenzi Karake et Sarto Bahenda. Pourquoi ? Parce que, disaient-ils, c’est la seule façon pratique de vous sauver car nos troupes et celles de la Minuar ne sauront aller de famille en famille. Dans la soirée même du 6 avril, juste après le crash, la convergence vers ces lieux était telle que certains faubourgs de Kigali avaient perdu une partie importante de ses habitants. Ils croyaient tous en l’évangile selon les chantres du Fpr.
La « bonne nouvelle » du Fpr sortira cruellement de la bouche du général Kagame lui-même lorsqu’en ce 7 avril justement, il donna un ultimatum aux forces onusiennes de quitter le pays. Un ex diplomate belge se souvient : « Je vous donne 24 ou 48 heures pour que vos troupes disparaissent, sans quoi nous n’hésiterons pas de tirer aussi sur les militaires belges ». Dans son livre « Guns over Kigali », le général ghanéen Anyidoho (commandant en second de la Minuar) se rappelle de l’ultimatum we receiveid from RPF High Command to withdraw our troops from the DMZ. De 5500 hommes, il n’en resta que quelques centaines et malgré toute leur bonne volonté, ils ne pouvaient pas secourir tout le monde. Les personnes qui ont suivi les consignes du Fpr furent ainsi abandonnées à leur sort après 24 heures d’apocalyptique expectative (viendront, viendront pas?). Voilà comment un major de l’armée ougandaise, devenu commandant d’une guérilla et, plus tard, général de l’armée rwandaise et président d’Afandie est devenu roi des Grands lacs… En livrant aux Interahamwe ceux qu’il appellera le « sacrifice » (Lire Roméo Dallaire).
Les rescapés auront pu pardonner cette duplicité kagaméenne, mais très vite ils se sont rendus à l’évidence : mushyire sentiments mu cupboard. « Gardez votre tristesse dans des tiroirs » leur assénera définitivement le nouveau maître de Kigali, « stoppeur attitré du génocide et sauveur des masses »… Il est vrai qu’il n’en était pas à sa première leçon de cynisme. Des années avant, il avait été interpellé, lors d’une levée de fonds à Bujumbura, par des mamans inquiètes des nouvelles qui leur parvenaient du front en faisant état du mauvais traitement subi par leurs enfants francophones. Très froidement et très sèchement, sans humanité ni considération, le commandant Paul Kagame répliqua : « m’avez-vous vu venir chercher ces enfants ? Ce sont eux qui viennent à moi, pas l’inverse ; ils doivent donc savoir à quoi s’attendre ». L’entendre donc aujourd’hui vociférer comme il le fait à l’occasion de ce 19è anniversaire du génocide est tout simplement insupportable et révoltant, mais ainsi est fait le monde. Molière ne disait-il pas dans Dom Juan que « L’hypocrisie est un vice privilégié, qui jouit en repos d’une impunité souveraine » ?
Dans une des chroniques qu’il publie régulièrement sur le net, Noble Marara, un militaire qui fut (très) proche de Kagame rapporte l’infortune d’une fillette de 3 ans qu’ils ont « ramassé » en plein génocide à Musha. Kagame le prendra sous sa protection jusqu’à la prise de Kigali. L’enfant, nommée entre-temps Kavutse, grandira au sein même de la famille présidentielle jusqu’à l’âge de cinq ans et là, elle fut mise à la porte… On la « recommanda » auprès d’un orphelinat alors qu’elle avait déjà un cadre d’épanouissement idéal : la famille de son bienfaiteur, le président lui-même. Parlant toujours d’hypocrisie, celle-ci fait penser à de Paule Saint-Onge qui disait que « L’hypocrisie peut être une forme presque héroïque de charité ! » Toute la supercherie du Fpr est donc là et, en cette période de deuil, ça aussi, il faut s’en souvenir. Plus jamais ça !
Cecil Kami