Déclaration sur les extraditions, les transferts et les déportations vers le Rwanda

Washington DC 9 janvier 2012.

Différentes juridictions ont, ces derniers temps, pris des décisions autorisant la déportation, le transfert ou l’extradition de génocidaires présumés vers le Rwanda. Le 25 octobre, une Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rejeté la requête de Sylvestre Ahorugeze qui demandait que ce dernier ne soit pas extradé vers le Rwanda, au motif qu’ « il ne risquait pas de faire face à un déni flagrant de justice ». En Novembre 2011, la Chambre d’Appel du TPIR a confirmé le transfert de l’affaire de Jean Bosco Uwinkindi aux tribunaux rwandais. Le 6 décembre 2011, les services canadiens de l’Immigration ont remis à Léon Mugesera, la notification de son arrêt d’expulsion du Canada, conformément à une sentence antérieure de la Cour suprême du Canada. Les Etats-Unis ont procédé à un certain nombre de déportations de personnes vers le Rwanda pour y faire face à des accusations relatives au génocide. Ces décisions récentes, qui ont permis le transfert ou l’extradition de prévenus vers le Rwanda, constituent un renversement d’une approche qui était établie depuis longtemps, mise er place par des décisions de plusieurs tribunaux de pays tels que la France, le Royaume-Uni, la Finlande, l’Allemagne et la Suisse, qui avaient refusé l’extradition ou l’expulsion de suspects vers le Rwanda, car ils avaient des préoccupations en rapport avec leur sécurité ou la jouissance des garanties prévues par la loi.
Nous comprenons le difficile dilemme auquel la communauté internationale est confrontée lorsqu’elle doit examiner les demandes du Rwanda pour obtenir l’extradition des personnes soupçonnées de crime de génocide. Les Etats ont l’obligation de poursuivre en justice ou d’extrader les personnes de crimes internationaux. Aucun Etat ne doit être un repaire des auteurs de crimes de génocide ou d’autres crimes internationaux. Au Rwanda, la réconciliation, la paix et la stabilité à long terme exigent que les personnes responsables d’atrocités rendent compte de leurs actes, sans discrimination.
Mais en même temps, les gouvernements et les cours et tribunaux ont l’obligation de veiller à ce que les Etats vers lesquels ils extradent, transfèrent ou expulsent des criminels présumés respectent les principes fondamentaux des droits de l’homme en général, et garantissent le droit à un procès respectant les droits de la défense et accordent protection contre la torture et les mauvais traitements en particulier.
Nous reconnaissons que chaque décision judiciaire est strictement basée sur les preuves fournies aux juges par les parties. Nous n’avons aucune raisons de douter de la bonne foi des décisions qui ont été prises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou par la Chambre d’Appel du TPIR. Nous sommes néanmoins profondément convaincus que ces décisions ne sont pas justes, car elles sont basées sur des évaluations extrêmement erronées de la situation des droits de l’homme au Rwanda.
Le gouvernement rwandais est contrôlé par une clique de criminels présumés qui a transformé le Rwanda en un Etat criminel. Le Rwanda exhibe la façade extérieure d’un Etat démocratique ; mais en réalité, il est dirigé par une dictature qui se fout de l’état de droit. Les institutions civiles de l’Etat rwandais, dont le système judiciaire, sont en théorie indépendantes ; mais dans la pratique elles obéissent à la direction absolue du parti au pouvoir, des services de sécurité et du Président de la République. Il en résulte que le système judiciaire rwandais ne peut pas garantir le respect des formes légales conformément aux normes internationales. Par ailleurs, les personnes transférées ou extradées vers le Rwanda risquent de subir la torture et un traitement inhumain.
Nous tenons à souligner que nous ne prenons pas position par rapport à la culpabilité ou l’innocence des personnes dont il est question dans la présente déclaration, ou d’autres personnes qui risquent d’être déportées ou expulsées vers le Rwanda. L’innocence ou la culpabilité de ces personnes doit être établie par des institutions judiciaires indépendantes et impartiales.
Nous réitérons notre condamnation au crime de génocide et nous soutenons indéfectiblement que les personnes qui en sont responsables ou qui ont commis d’autres crimes internationaux au Rwanda dans les années 1990, y compris celles qui dirigent actuellement le gouvernement en place dans le pays, doivent en répondre devant la justice.
Nous croyons cependant que même les personnes accusées de crimes de génocide, qui est le crime le plus odieux, ont droit à un procès respectant les droits de la défense. La situation au Rwanda ne permet pas aux suspects du génocide, aux opposants et à ceux qui critiquent le gouvernement en place, de bénéficier des garanties prévues par la loi.
Sur base des motifs ci-dessus, nous demandons à tous les gouvernements des pays auxquels le gouvernement rwandais a adressé des requêtes d’extradition :
a) De mettre fin à toutes les extraditions, transferts ou expulsions de ressortissants rwandais vers le Rwanda ;
b) D’examiner l’opportunité de poursuivre les Rwandais recherchés par le gouvernement rwandais dans leurs propres tribunaux ou dans d’autres pays dont les tribunaux exercent la compétence universelle sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide ;
c) De diligenter des évaluations indépendantes sur les pratiques en matière de droits de l’homme au Rwanda, et de revoir leurs politiques et procédures en matière d’immigration à la lumière de la situation des droits de l’homme dans le pays ;
d) D’exercer des pressions sur le gouvernement rwandais pour l’amener à mettre fin à la torture et à la persécution des personnes qui critiquent le gouvernement et des défenseurs des droits de l’homme, et à organiser un dialogue national ouvert, inclusif et global sur la transition du pays vers une gouvernance démocratique.
Nous espérons que les mécanismes d’’evaluation administrative et judiciaire des récentes décisions sur la question de savoir si le Rwanda est capable de garantir le respect des droits de la défense et de protéger les citoyens contre la torture et les traitements inhumains offriront des possibilités de recours contre les préjudices causés par les décisions dont il a été question dans la présente déclaration.

Dr Théogène Rudasingwa
Coordonateur, Comité Intérimaire du Congrès National Rwandais (CNR).
Washington DC (Etats-Unis d’Amérique).