La famille de Félicien Kabuga proteste contre la vente aux enchères de ses biens se trouvant au Rwanda

Joséphine Mukazitoni Kabuga                                          Bruxelles, le 30 octobre 2013

 

 

 

 

 

                                                                                                                Monsieur Johnston Busingye

                                                                                                                Ministre de la Justice

                                                                                                                P.O. Box 160 Kigali-Rwanda

 

Objet : Observations sur les jugements n°35 du comité des conciliateurs de Muhima

et n° 45 du Tribunal de Première Instance de Kaniga

 

Monsieur le Ministre,

Je suis mariée à Félicien Kabuga sous le régime de la communauté de biens et suis, par conséquent, copropriétaire du patrimoine de mon époux. Par un courrier anonyme, je viens d’apprendre que le  comité des conciliateurs de Muhima, dans son jugement n°35, a condamné mon mari à verser 800 millions de FRW à la famille Karinijabo Victor  et  que le Tribunal de Première Instance de Kaniga, dans son jugement n° 45, a, pour ce faire, ordonné,  la vente aux enchères, le 11 novembre 2013, des biens suivants :

1/ Une maison construite dans la cellule de Nyange, localité de Gatenga, secteur Mukarange district de Gicumbi, Province du Nord ;

2/ Deux immenses plantations de thé totalisant une superficie de  350 hectares dont l’une est située dans les secteurs de Mukarange et Shangasha et relie les localités de Gatenga, Rusambya et Mutarama et dont l’autre s’étend sur les cellules de Nyange et Kagunga et unit les localités de Rusambya et Gatenga.

L’accusation de Karinijabo Gilbert, fils de Karinijabo Victor,  mandataire de la famille, se fonde sur huit témoignages et quatre documents.

Trois témoins, Kagiraneza Michel, Habarugira Théoneste et Gasigwa Jean-Pierre, jurent avoir vu, en 1994, F. Kabuga piller et charger sur ses camions les pièces de quincaillerie qui se trouvaient  dans le magasin et le dépôt de Karinijabo Victor, sis à Kabasengerezi.

Cinq autres témoins, Bataribwenda Tharcisse, Mazimpaka Ruremesha Jean de Dieu, Ibambazi Fausta, Kayumba Gérard et Havugimana Emmanuel attestent que Karinijabo Victor possédait, en 1994, une quincaillerie dans la cellule de Kabasengerezi, secteur Muhima. Leurs témoignages, sous l’hypothèse de leur fiabilité,  prouvent que cette personne était propriétaire d’une quincaillerie à l’endroit indiqué et rien d’autre.

Concernant les preuves matérielles, elles consistent en quatre écrits: une patente, une déclaration d’impôt du 30/03/1994, des fiches de stock ramassées on ne sait où et un inventaire du 30/12/1993. Trois de ces documents ont été établis par la famille Karinijabo Victor. Il est, par conséquent, difficile de savoir s’ils datent d’avant avril 1994 et s’ils correspondent à la réalité. Il aurait fallu exiger un extrait de paiement d’impôt et une copie conforme d’une licence d’importation délivrée par la Banque Nationale du Rwanda car il est impensable qu’un commerçant disposant d’un stock de 800 millions de FRW en 1994 ne soit pas un importateur. La patente ne concernait que les petits commerçants.

L’existence d’un magasin et d’un entrepôt de quincaillerie à Kabasengerezi appartenant à Karinijabo Victor et l’exactitude de la valeur des marchandises au 06/04/1994 n’impliquent pas que l’accusation de pillage portée contre mon mari est fondée. Tant s’en faut.

Les trois témoins sur lesquels repose toute l’accusation ne fournissent aucun indice  susceptible de juger de la crédibilité de leur affirmation. Ils ne précisent ni la date du prétendu pillage ni dans combien de camions il a chargé les marchandises. Ils n’expliquent pas non plus pour quelles raisons ils ont mis 16 ans pour révéler à la famille Karinijabo l’auteur du vol de leur magasin.  Gilbert Karinijabo, représentant de la famille, prétend en avoir été informé en janvier 2011 par un certain Kagiraneza Michel. Où étaient ce témoin et les autres qui certifient avoir assisté à l’acte de pillage auquel se serait livré Félicien Kabuga en personne chez Karinijabo Victor ? Pourquoi ne lui ont-ils rien dit pendant tout ce temps ?

Une autre question essentielle reste sans réponse. Pourquoi  Félicien Kabuga, un grand importateur classé à l’époque parmi les personnes les plus riches du pays, aurait pensé aller cambrioler un détaillant au lieu de s’occuper de sauver ses propres marchandises qui valaient plusieurs fois celles qu’il se serait appropriées indûment.

Enfin sur le plan de la compétence, suivant les articles 8 et 9 de la loi organique n°02/2010 /OL du 09/06/2010 portant organisation, ressort, compétence et fonctionnement des comités des conciliateurs, les comités des conciliateurs tant au niveau de la cellule que du secteur, ne sont pas habilités à examiner les affaires d’une valeur supérieure à 3 millions de FRW à moins que lesdites dispositions n’aient été changées entretemps. D’ailleurs le comité des conciliateurs  de la cellule de Kabasengerezi avait estimé qu’il n’était pas compétent pour connaitre de l’affaire. Le comité des conciliateurs  au niveau du secteur n’est pas plus compétent puisqu’il est supposé, selon l’article 26 alinéa 4,  connaitre seulement de l’appel relatif aux affaires civiles et pénales prévues aux articles 8 et 9 suscités.  Le même article 26, dans son alinéa 5, précise qu’il  ne doit examiner que les points de la décision qui n’ont pas été acceptés par la partie demanderesse.

Quant à la décision de vente aux enchères de la maison et des plantations de thé susmentionnées, elle pose aussi un problème. En effet, même dans le cas où une quelconque dette serait établie, ce qui est improbable, il n’y a aucune raison de vendre ses biens et particulièrement ses plantations de thé avant d’utiliser les revenus que ces plantations de thé et ses autres biens immobiliers ont générés depuis 1994 à moins que quelqu’un cherche à se  cacher derrière ce procès pour s’approprier définitivement ces plantations de thé. Remarquons, en passant, que, par peur, personne n’a osé m’avertir, avant le jugement, de l’accusation que la famille Karinijabo a formulée contre mon mari alors que les convocations de comparution étaient apparemment affichées en plusieurs endroits.

Par ailleurs, bien des incohérences dans ces jugements portent à se poser des questions sur leur pertinence. Ainsi le jugement n°45 du Tribunal de 1ère Instance de Kaniga est daté du 09/12/2013 !! Soit, une date du futur !! De plus, alors que le jugement n°35 du Comité des Conciliateurs de Muhima enjoignant  Félicien Kabuga à payer est tombé le 11/07/2013, le jugement n°45 précise que l’injonction de payer a été transmis à un parent de Félicien Kabuga le 03/07/2013, soit 8 jours avant le jugement !! De plus, on peut se poser la question s’il suffit d’être parent avec une personne pour la représenter.

Eu égard à toutes ces considérations et dans la mesure où les avocats ne sont pas admis dans les comités des conciliateurs, qui sont en fait des tribunaux Gacaca déguisés, je ne peux que vous faire part de mon avis. L’accusation portée contre mon époux n’a aucun fondement. Elle est montée de toute pièce et est infamante. En conséquence, rien ne justifie la mise aux enchères des biens immobiliers susmentionnés.

Les revenus qu’ont rapportés, depuis 1994, tous les biens de la famille Kabuga devraient s’élever  à des millions de dollars. Malheureusement ses droits élémentaires de propriété sont continuellement violés par les autorités actuelles mais je suis convaincue que, un jour, justice lui sera rendue et que le véritable voleur sera découvert car la vérité finit par éclater.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma considération respectueuse.

Joséphine Mukazitoni Kabuga.

 

Copie pour information : 

-Monsieur le Président de la République du Rwanda

-Monsieur le  Premier Ministre

-Monsieur le Secrétaire général de l’ONU

-Monsieur le Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda

-Monsieur le Ministre du Gouvernement Local

-Rwanda Governance Board

-Monsieur le président du comité des conciliateurs

du secteur de Muhima

-Messieurs les juges du Tribunal de Première Instance de Kaniga

-Le Centre de Lutte contre l’Injustice et l’Impunité (CLIIR)

-Divers