Sanctions américaines contre les responsables de la CENI ou comment tirer Félix Tshisekedi des griffes de la Kabilie

Patrick Mbeko

Par Patrick Mbeko

Après avoir salué la fausse alternance démocratique — fruit d’un processus électoral chaotique et contesté — qui vient de se produire en RD Congo, les États-Unis créent la surprise en sanctionnant cinq responsables de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le président de la Cour constitutionnelle et le président de l’Assemblée nationale, qu’ils accusent de corruption, d’enrichissement personnel et de saper le processus démocratique. Dans un communiqué diffusé ce vendredi 22 février, le secrétariat d’État annonce donc leur interdiction ainsi que celle des membres de leurs familles du territoire américain. Il affirme également, sans citer des noms, que certains «fonctionnaires électoraux, ainsi que des responsables militaires et gouvernementaux soupçonnés d’être responsables, complices ou auteurs de violations des droits humains ou d’atteintes au processus démocratique en RDC» sont également sanctionnés.

Comment interpréter ces sanctions ? Pourquoi sanctionner les hauts responsables de la CENI et le président de la Cour constitutionnelle alors qu’on a salué l’élection présidentielle pilotée par eux ?

En analysant le communiqué du Département d’État, qui est tombé quelques heures après que la présidence de la république congolaise ait diffusé des images de Félix Tshisekedi recevant, tout sourire, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands Lacs, Peter Pham, l’on réalise très rapidement que ces sanctions visent à tirer Félix Tshisekedi des griffes de la Kabilie. En effet, les Américains savent pertinemment bien les dernières élections ont consacré une forme de changement dans la continuité; ils savent que Félix Tshisekedi n’est pas le vrai gagnant de ce processus électoral vicié; il savent aussi qu’il a négocié son accès à la présidence avec le président sortant, Joseph Kabila, qui lui a cédé un semblant de pouvoir tout en conservant l’effectivité du pouvoir. Bref, les Américains sont bien conscients que Tshisekedi fils est au pouvoir sans avoir le pouvoir. 

Cela est connu de tout le monde. Aussi bien des dirigeants africains que des Américains et de leurs alliés européens qui, selon une source digne de foi, auraient eu accès à une copie de «l’entente» négociée entre la Kabilie et CACH en vue de partager le pouvoir dans une sorte d’« alliance gouvernementale » contrôlée à bas bruit par Joseph Kabila himself.

Les sanctions américaines, qui interviennent au moment même où Kinshasa semble renouer avec l’Union européenne, visent à mon avis deux objectifs : dans un premier temps, desserrer l’étau de la Kabilie autour de Félix Tshisekedi. Raison pour laquelle le communiqué du Département d’État prend soin de préciser qu’elles ne visent pas le « nouveau gouvernement élu ». Dans un second temps, ces sanctions visent à encourager le président nommé à se retourner contre celui-là même qui l’a fait roi, Joseph Kabila. En gros, jouer Tshisekedi contre Kabila.

La question à un million de dollars est donc savoir si Félix Tshisekedi a les moyens de se défaire de la Kabilie ? 

À court et à moyen terme, la réponse est NON. Le système est verrouillé de sorte à ne laisser au président nommé aucune marge de manœuvre. L’armée et les services de sécurité sont totalement contrôlés par les hommes d’un Joseph Kabila qui est bien conscient que Félix ne l’aiment pas. Dans ce poker menteur, Joseph semble avoir une longueur d’avance sur son allié de circonstance, puisqu’il contrôle, via le FCC, le parlement, les assemblées provinciales et bientôt le Sénat. La transformation de cette plateforme électorale (FCC) en un groupement politique sous l’autorité de Joseph Kabila est un signe qui ne trompe pas. Si les responsables et autres représentants des regroupements politiques du FCC ont renouvelé — sous la contrainte pour certains — leur loyauté à Joseph Kabila, c’est parce qu’ils savent que celui-ci est en réalité le véritable patron du pays; le vrai maître du jeu politique congolais. Sinon comment comprendre la peur bleue et la crainte qu’inspire cet homme pourtant présenté comme un ex-président, donc ne disposant plus des pouvoirs qui étaient les siens lorsqu’il était aux affaires ?

Si une image vaut mille mots, celle des FCCistes faisant allégeance au «roi» Joseph en vaut un million. 

Joseph Kabila reste le vrai détenteur du pouvoir en RDC. Les Américains veulent mettre un terme à cette inavouable réalité, et pour cela ils misent sur Félix Tshisekedi. Mais ce dernier a une marge de manœuvre très réduite. Il est dans la fosse aux Acanthophis antarcticus, aussi appelés «vipères de la mort». Tout mouvement jugé menaçant de sa part par la Kabilie pourrait lui être fatal. 

Ceux qui pensent que Joseph Kabila va attendre 2023 pour revenir aux affaires se trompent. En fait, la durée du mandat de Félix Tshisekedi va dépendre de son degré de docilité envers la Kabilie. Petit détail non sans intérêt : Joseph a revêtu sa fameuse tenue de rebelle, histoire de passer un message subliminal à ses ennemis; de faire comprendre autant à ces derniers qu’à Félix Tshisekedi qu’il est sur le pied de guerre. Si le président nommé s’aventure à bousculer l’ordre cannibale établi, il sera rapidement neutralisé. Le raïs de Kingakati, qui a réussi à l’isoler de la grande majorité des Congolais, sait que cela n’entraînera pas de conséquences fâcheuses à l’interne. En tout cas ce ne sont pas les Congolais, qui considèrent Tshisekedi fils comme le Pétain de l’histoire congolaise, qui s’en émouvront. Quelques haussements d’épaules suffiront. C’est plutôt du côté occidental que pourrait venir la grogne, mais avec les Occidentaux, rien n’est garanti. Le président élu Martin Fayulu en sait quelque chose…