Idamange a déclaré que le génocide contre les Tutsi ne devrait pas être l’objet d’un quelconque intérêt:Quel crime a-t-elle alors commis?

L’un des chefs d’accusations retenus contre Madame Yvonne Idamande Iryamugwiza est d’avoir déclaré que le pouvoir du FPR Inkotanyi abuse du Génocide contre les Tutsis pour des fins mercantiles. Et sans ambages, elle a déclaré cela. Et  plus clairement, elle a déclaré que les corps des victimes du Génocide exposés dans le mémorial de Gisozi devraient être inhumés en l’honneur comme les autres corps retrouvés ici et là à travers le pays.

En soi, c’est une tradition que nous avons d’enterrer nos proches pour leur repos en paix. Je demanderais à quiconque alors de m’expliquer exactement où de telles déclarations d’Idamange dénigrent ou nient le génocide.

Ce qu’Idamange a dit sur YouTube n’est pas pour moi  nouveau. Ce qui est plutôt nouveau est que la dame a eu la témérité de parler publiquement, assise à Kimironko, dans la Capitale du Rwanda, en fournissant son adresse et même le numéro de son téléphone portable.

Et dire que le Génocide contre les Tutsi est utilisé par le régime du FPR comme un prétexte politique est visible à tout le monde. Les arguments avancés lorsque le Président Kagame voulait rester au pouvoir après ses deux mandats constitutionnels, sont probants pour démontrer combien le Génocide contre les Tutsis est politisé.

On peut donner d’autres exemples pour montrer combien le Génocide est un outil pour les tenants du pouvoir. Considérez le Tribunal Pénal International d’Arusha qui a été créé pour juger les crimes de génocides et crimes contre l’humanité commis sur le territoire Rwandais en 1994 ; le Tribunal n’a pas voulu poursuivre ceux qui ont abattu l’avion qui transportait  Habyarimana ou d’autres crimes  commis par le FPR sous prétexte qu’ils ont stoppé le Génocide contre les Tutsi.

C’est dans ce contexte que le « mapping report »  accusant les forces du FPR de crimes graves (des crimes qui pourraient être qualifiés de génocide par un tribunal), lequel « mapping report » a été réalisé par des experts de l’ONU, vient de passer plus d’une décennie, confiné dans les tiroirs de l’ONU, à New York. L’unique raison est qu’il y a une volonté de protéger le président Kagame et son entourage sous prétexte d’éviter le renversement du gouvernement d’un pays qui est considéré comme un patient spécial en raison de l’horrible génocide qui a terrifié le monde.

Démontrer la tragédie qui a frappé le pays pour demander de l’aide n’est pas un problème en soi

C’est pourquoi le gouvernement rwandais essaie également de faire en sorte que la tragédie de 1994 soit visible pour tous ceux qui visitent le Rwanda. Le processus consistant à prendre les corps de certaines victimes et à les placer dans le mémorial trouve ici son origine. On rapporte que Bill Clinton, qui s’est rendu au Rwanda après le génocide, a déclaré qu’il n’avait pas suffisamment de temps pour visiter le mémorial du génocide de Gisozi, parce son programme était surchargé. Pour cette raison, les autorités auraient emmené quelques corps des victimes à l’aéroport de Kigali pour qu’il puisse les voir. L’objectif n’était autre que d’émouvoir  cet homme superpuissant en voyant les os et les crânes humains, et que par là, il soutienne le soi-disant régime qui a mis fin aux atrocités. Cela aussi, pour moi, n’est pas une mauvaise pratique parce que l’aide étrangère était nécessaire pour pouvoir reconstruire le pays et pour que les survivants du génocide puissent être pris en charge. Utiliser le génocide pour chercher le soutien de votre peuple n’est pas critiquable. Même l’utiliser politiquement pour lutter contre tout ce qui provoquerait à nouveau de telles atrocités est compréhensible et approprié.

Alors, où est le problème?

Le gros problème est d’utiliser le génocide pour cacher les atrocités que vous êtes en train de commettre ou que vous avez commises. Le jour où le FPR a tué des évêques et d’autres fidèles de l’Église catholique qu’il avait trouvés à Kabgayi, une déclaration fut publiée disant que c’était un jeune homme qui a trouvé que tous ses parents ont été tués par les Interahamwe chose qui l’a traumatisé pour se rendre enfin à Gakurazo et tuer les évêques. Plus tard, nous avons pu constater qu’il s’agissait d’un assassinat bien planifié. Et des meurtres similaires ont été commis ailleurs. Les défenseurs du FPR ont tenté d’expliquer que ces tueries ont été commises en arrêtant le génocide.

Ainsi, le massacre de Kibeho, qui a emporte plus de 8 000 personnes en une journée, viserait à détruire les camps intérieurs du pays, et que ces personnes tuées seraient les interahamwe qui se cachaient dans la population  pour perpétuer et terminer le génocide.

C’était l’utilisation du génocide contre les Tutsi pour commettre d’autres atrocités. L’histoire du génocide est devenue un prétexte pour tuer des civils innocents, un prétexte pour s’éterniser au pouvoir, un prétexte pour faire taire les gens, un prétexte pour asseoir une dictature, un prétexte pour tuer ceux qui veulent du changement. Une loi punissant la prétendue idéologie du génocide a été promulguée pour que ce prétexte de génocide serve aux tenants du pouvoir de s’y éterniser.

Je vous rappelle que la loi a été promulguée après les élections de 2003 quand il est devenu clair que Faustin Twagiramungu avait la majorité des voix qu’ils ont dû truquer. À l’époque, le FPR fut déterminé à faire tout son possible pour empêcher un Hutu de prendre le pouvoir par la voie des urnes. Personne n’a oublié ce qui est arrivé à Madame Victoire Ingabire Umuhoza qui tenta de faire campagne en 2010. 

Alors, Idamange aurait-elle menti ? Il est également intéressant de noter que c’est une survivante du génocide, qui a bénéficié de la bourse du FARG, qui le dit ! Le véritable apprentissage est l’acquisition de la sagesse, pour mieux scruter les horizons. Ce FARG qui a payé pour certains orphelins alors que d’autres croupissaient dans la misère est lui aussi problématique ! S’attaquer aux problèmes pareils qui pourraient conduire à d’autres atrocités dans le pays, ce n’est pas dénigrer le génocide.

Le génocide est notre histoire, pas un arbre interdit

Quelqu’un a dit que le génocide est un arbre interdit en voulant  signifier que personne n’est autorisé à critiquer ce que le gouvernement a fait dans la lutte contre le génocide ou pour la mémoire des victimes. Il insinuait bien évidemment le problème soulevé par Idamange concernant les corps non inhumés plutôt  exposés dans le site mémorial pour les montrer ou aux visiteurs du pays ou aux citoyens capables de visiter ce site.  Le problème est celui-ci : est-ce que quiconque  se sent malaisé par l’exposition des corps des victimes du génocide, et qu’il ne peut pas taire cela, n’a-t-il pas de droit d’exprimer son opinion?

Comment peut-on jauger la satisfaction de la population à l’encontre d’une décision de l’état, si on ne laisse pas cette dernière s’exprimer librement ?

Le génocide est notre histoire en tant que Rwandais, et même les non-Rwandais estiment que le génocide est quelque chose qui les préoccupe. Au lieu de dire que le génocide est un arbre interdit, je pense plutôt  que je demanderais que le génocide soit profondément analysé. Si c’était un arbre, ils le  grimperaient jusqu’à la cime, et sans laisser aucune partie, connaîtraient où sont ses graines et par là les balayer si possible;  ils iraient même dans ses racines pour le détruire, et le brûler. Le génocide n’est pas un poteau aux lignes électriques. De pareils poteaux portent les étiquettes  de mise en garde de «danger de mort».

Le génocide est notre histoire. C’est quelque chose  de grave qui nous est arrivé. Nous avons perdu des frères, nous avons perdu des professeurs, nous avons perdu des pairs, nous avons perdu des amis, nous avons perdu nos artistes préférés. Nous, les Rwandais, avons commis des atrocités horribles, tuant des nourrissons, tuant des vieux hommes et  femmes. Les mots de révoltes manquent !

Mais c’est aussi triste quand le génocide se transforme en plat pour engraisser les uns à l’oubli des autres qui sont paupérisés, nourris par la faim, sans logis, kidnappés, massacrés ou bannis pour l’étranger ! De telles tragédies devraient nous aider à regarder loin devant nous, tout en gardant à l’esprit que nous avons failli aux pièges de nos prédécesseurs, et à voir comment détruire ces pièges parce qu’ils sont toujours là. Permettez-moi de souhaiter à Idamange de rester forte dans la bataille qu’elle a engagée,  de se défendra bien avec l’arme la plus puissante qu’elle nous a montrée. 

Nous n’avons pas encore oublié le cas de Madame Adeline Mukangemanyi, l’épouse de Rwigara, et de sa fille Diane Ishimwe Rwigara, elles se sont défendues vaillamment, sans mâcher les mots, et elles ont eu gain de cause. Idamange a donné l’image d’une femme ferme et éclairée.  Nous espérons également qu’elle se défendra bien et fera honte à ceux qui l’ont entraînée devant la justice. Je n’ai pas commenté les autres charges retenues contre Idamange, y compris le fait qu’elle aurait répandu des rumeurs. Cela tient à ses déclarations sur la mort du président Kagame.

Pour ma part, je n’ai aucun doute qu’il existe. Dans tout cela, le problème c’est que ce que Idamange dit, perdure depuis déjà un an, sous forme d’une propagande. Le gouvernement n’a fait aucun effort pour la réfuter, alors que c’est une tâche facile. Il y a aussi ceux qui sont payés mensuellement. Je ne vois aucun problème chez les politiciens qui harcèlent le dirigeant d’un état qui les tyrannise. C’est donnant donnant !  L’adage souligne cette réciprocité malsaine : fais-moi des injures, je te rendrais autant ! Pourtant, il existe d’autres façons de faire pour le bien de tous et pour le bien du pays.

Cela constitue une autre question.

Bruxelles, le 26/02/2021

Jean Baptiste Nkuliyingoma