En débutant cet article, nous nous efforçons d’avaler notre amertume et notre écœurement. En effet, sa mouture finale sortait de nos méninges lorsque, subitement, nous avons appris la mort tragique du chanteur-organiste KIZITO MIHIGO, ce talent rwandais fauché dans sa fleur de l’âge par un pouvoir qui semble avoir juré de régner par la terreur et le sang, et qui veut, curieusement, s’immortaliser ! L’annonce de cette mort qui nous tient encore en émoi, survenue dans un cachot de la police, soulève effectivement trop d’émotions et suscite trop de déceptions. Chacun, sauf bien sûr les auteurs et les commanditaires de ce meurtre public, s’en trouve sérieusement outré et indigné !
Au même moment où l’émotion consécutive à la mort de KIZITO MIHIGO arrive à son comble, nombreuses autres voix éprises de paix et qui aspirent elles aussi à la liberté d’opinion et d’expression et au respect des droits fondamentaux de l’homme se trouvent révoltées à cause d’une avalanche de représailles contre nos compatriotes soucieux et désireux de sortir de l’embrigadement et de la terreur politico-militariste qui règne sans partage sur notre pays le Rwanda. Nos compatriotes Madame Victoire INGABIRE UMUHOZA, Me Bernard NTAGANDA ainsi que Monsieur BARAFINDA SEKIKUBO Fred, régulièrement objets d’une persécution agressive, ont été convoqués par l’organe national des poursuites. Ils sont actuellement dans l’œil du cyclone d’un pouvoir extrêmement autocratique et répressif qui ne tolère aucune contradiction ni aucune critique sur ses actions, même les plus imparfaites.
Dans une autre affaire qui nous touche aussi parce qu’elle ne s’éloigne pas des causes d’une telle commotion collective devenue un pain quotidien pour beaucoup, depuis près de deux semaines, le monde journalistique est ahuri par le « licenciement abusif » du journaliste Jacques Matand de la BBC pour avoir accueilli au plateau de cette chaîne internationale un auteur ayant disserté sur l’Opération Turquoise. Ce licenciement a suscité une forte indignation de tous ceux qui sont épris de paix et se battent pour la reconnaissance de leur liberté de conscience et d’opinion. Il a donné lieu à une pétition en faveur du rétablissement du journaliste qui, d’après les signataires de celle-ci, n’a fait qu’obéir à l’injonction de sa conscience professionnelle.
Ces trois sujets, distincts dans les faits et dans leur nature, se rencontrent néanmoins par leur dénominateur commun : ils relèvent tous d’un terrorisme d’Etat, devenu le mode de gouvernement du Rwanda incarné par le Front Patriotique Rwandais et son Président, ci-devant Paul Kagame.
Un terrorisme d’Etat.
Nous ne cesserons jamais de le dire ! Depuis l’annonce de sa capture, il n’était plus un mystère de deviner que le sort de KIZITO MIHIGO était définitivement scellé ! Il se trouvait déjà dans les mâchoires du griffon. Pour nous, il n’est guère permis de polémiquer autour du fait que KIZITO MIHIGO est la énième victime du régime tortionnaire et dictatorial qui a mis le Rwanda en coupe réglée en semant partout la terreur et le trépas. Il est oiseux d’allonger ici la liste des personnes ayant trouvé la mort sur des stations de police où l’on tente, maladroitement, de toujours maquiller leur mort en suicide ou en tentative d’évasion.
De même, ces compatriotes ci-haut cités, tout comme ceux et celles qui croupissent dans les purgatoires rwandaises, comme Déo MUSHAYIDI et Dr Théoneste NIYITEGEKA, les officiers comme Frank RUSAGARA et Tom BYABAGAMBA pour ne citer que ceux-là, ceux et celles qui sont en liberté conditionnelle comme notre sœur Diane RWIGARA ; toute cette frange importante de Rwandais de toute catégorie soumis à un exil forcé ; de même que ces pauvres paysans malmenés et molestés journellement par la brutalité des structures militaro-policières rwandaises ; sont tous victimes du terrorisme d’Etat. Tout ce monde souffre et subit la loi de la terreur parce que simplement, certains parmi eux ont daigné exprimer, chacun à sa manière, leur non-adhésion à la pensée unique et à la subjugation de leur peuple par leur semblable et prêchent une réconciliation effective de tous les Rwandais.
Ils, ou elles, sont accusés de diverses idéologies depuis le jour où ils, ou elles, ont décidé de dire non à l’inféodation de leurs opinions libres et généreuses. Ils, ou elles, continuent, malgré le glaive au cou et l’épée de Damoclès suspendu à leur tête, de résister à la gouvernance où prévaut la seule raison du plus fort ; de dire non au tripatouillage des lois et au trafic de l’histoire avec le vil dessein de perpétuer un pouvoir oligarchique qui, malheureusement, lui aussi, est comptable dans ce drame de génocide dont il excipe pour commettre tous les inimaginables crimes et divers abus. C’est, particulièrement, ce même pouvoir qui doit endosser seul la responsabilité de la misère indigne dans laquelle plusieurs de nos concitoyens continuent de croupir indûment depuis ces vingt-cinq dernières années.
C’est ce pouvoir à l’origine de la paupérisation abjecte des milieux ruraux. Par des prétendues réformes agraires imaginées ex-abrupto, le pouvoir a causé une insécurité alimentaire chronique. C’est ce même pouvoir qui, par des manœuvres cupides et un népotisme rampant, a accentué des disparités flagrantes entre les riches et les pauvres, et constitué une oligarchie mercantile qui se destine tous les privilèges et toute la puissance économique, en soumettant le reste de la collectivité, par sa fiscalité agressive, à des privations et une austérité humiliante, conduisant parfois à l’indigence. Les efforts collectifs de tout un peuple s’étiolent ainsi aux fins de nourrir une nébuleuse au sommet. C’est ce même pouvoir qui ne trouve meilleure matière à exportation qu’une criminalité transfrontalière, maintes fois contre ses propres ressortissants. Les exemples sont nombreux et patents.
Le génocide, une arme à usage multiple pour confisquer nos libertés et camoufler un mensonge d’Etat !
Anjan Sundaram, journaliste indien, auteur de Bad News où il peint de manière honnête et éclatante cette terreur du régime rwandais, dénonçait récemment dans un entretien sur France 24, une dictature qui s’impose grâce à « la peur [qui] fait oublier la vérité ». C’est ainsi que le pouvoir du Rwanda fait tout pour maquiller l’histoire et veut contraindre au silence toute personne qui tenterait de restituer certaines vérités camouflées dans les abysses de la manipulation et de l’oubli, ou de démystifier l’image grandiloquente de ce Rwanda propre et prospère, sorti du gouffre de la perdition par le génie d’un seul homme, Paul Kagame. La liste des victimes de la censure est si longue et la gamme des menaces contre tous ceux qui sortent de l’ombre de la manipulation est inépuisable.
En effet, ce que subit Jacques Matand viendrait du fait que le gouvernement qui a pris les Rwandais en étau aurait protesté et trouvé offensant le fait d’accueillir Charles ONANA, journaliste d’investigation et politologue qui essaie de présenter une autre face de ce prisme penché et déformé relatif à l’histoire du génocide contre les Tutsi commis au Rwanda. Ses déboires peuvent être assimilés à ce que subissent des millions de Rwandais privés du droit à l’information depuis que Jane Corbin a, dans The Untold Story, démoli un tissu du mensonge d’Etat qui fait le lit du pouvoir actuel. A la première protestation de Kigali, n’a-t-on pas vu la BBC s’incliner devant les voix tonitruantes et menaçantes d’un régime aux abois ? La chaîne internationale a obtempéré dans ce qui ressemble, estimons-nous, à la raison qui cède à l’émotion ! Un programme qui intéressait des millions de Rwandais a été censuré sans autre forme de procès. Jacques Matand n’est pas le premier à être victime de la censure et de la terreur exercés par Paul Kagame via ses réseaux mafieux, mais nous aurions souhaité qu’il puisse être le dernier.
Ils sont nombreux, voire des millions, au Rwanda comme ailleurs, livrés à la vindicte et accusés de diverses idéologies et de négationnisme, simplement pour avoir osé dire ceci ou cela, de donner un témoignage tel contraire à l’orthodoxie officielle. L’on a imposé un Silence sur un attentat, lequel constituait véritablement un élément clé indissociable et impossible de passer sous silence si l’on veut faire une lecture non biaisée et globale du génocide survenu au Rwanda. L’on a mis sous embargo les résultats d’une enquête internationale pour faire plaisir à un régime tortionnaire et qui semble avoir carte blanche pour tuer sans vergogne. L’on passe ainsi l’éponge sur des millions de morts, impunément. Et pire encore, c’est de voir, en cette époque lumineuse, prospérer un pouvoir totalitaire qui ne fait que manipuler l’histoire afin d’imposer une lecture orientée sur les événements ayant émaillé notre histoire commune, et qui continue de bénéficier des soutiens dans une ignorance totale de ses victimes. Une telle complicité et une telle consécration de l’impunité heurtent toute la conscience universelle, de surcroît lorsque cette complicité et cette impunité sont l’œuvre des puissants et des nations éclairées !
Tout cet acharnement du pouvoir monocratique rwandais se passe, d’un côté, parce que le monde dit libre cautionne ce piétinement des valeurs et des libertés universelles afin de préserver ses propres intérêts illégitimes. C’est pourquoi il considère les comptes macabres du régime FPR ainsi que ces morts en cascade qui continuent en dehors de toute belligérance, en pertes et profits. D’un autre côté, c’est encore parce que nous, les Rwandais, nous peinons à unir nos forces et nos voix pour récuser et nous désolidariser du pouvoir tortionnaire qui a mis sous le joug de la terreur nos concitoyens. Le génocide est devenu une arme fatale, une munition compatible avec tous les calibres, que le pouvoir use dans ses manœuvres terroristes, et dont il excipe chaque fois qu’il est pris en flagrant-délit ou rattrapé par les effets pervers de ses propres forfaits et ses turpitudes. Même le rescapé qu’il marchande et qui, à un moment donné s’est faussement senti à l’abri du cyclone macabre que ce pouvoir a déclenché bien même avant son installation, a définitivement déchanté. Si la longue liste de rescapés du génocide victimes de ce régime qui, pourtant, se targue de les avoir secourus, n’a pas suffi pour étayer la preuve de sa nocivité,la mort de KIZITO MIHIGO, lui aussi rescapé du génocide de 1994, est là pour convaincre tous les sceptiques.
Faut-il cautionner une tyrannie parce qu’elle s’affuble de quelques réussites ?
IPAD-Umuhuza, nous ne sommes pas de ceux qui, par aigreur parfois, peignent tout négativement. Nous reconnaissons avec cette fierté patriotique certaines réalisations dont le leadership de Paul Kagame peut valablement se targuer. Lui-même et son gouvernement ont su en faire un cheval de bataille et en raison de cette façade visible, ils bénéficient d’une onction de certaines puissances. Mais, contrairement à ceux qui se laissent éblouir et étourdir par cette magnificence du dehors, tel un visiteur d’un jour, nous ne nous arrêtons pas, simplement contemplatif, devant cette imagerie factice. Nous ne nous laissons pas fasciner et berner par cette image cosmétique que le pouvoir s’enduit et ses opérations de charme qu’il multiplie ici et là, à travers la construction d’hôtels de luxe et le financement des clubs sportifs déjà multimilliardaires, alors que le grenier du paysan et le panier de la ménagère sont entièrement vides. Il prétend le faire pour attirer des investisseurs, les mêmes investisseurs qui viendront certes, non pas pour injecter leurs fonds dans des projets agricoles profitables à la majorité des démunis, plutôt pour ériger encore d’autres infrastructures analogues ou investir dans le domaine bancaire et la téléphonie mobile, secteurs non profitables au citoyen lambda. Il ne fait que dilapider les maigres ressources du pays, en hypothéquant l’avenir de toute une nation par des aides mal usées et des dettes insolvables.
Or, bâtir une nation ne se limite pas à ériger des infrastructures ultramodernes et des voiries propres. Il faut aussi le bien-être. Il faut des valeurs qui s’inculquent à travers une bonne éducation et un enseignement de qualité. A titre d’illustration, la Côte d’Ivoire sous feu Président Houphouët-Boigny était en son temps un modèle africain. Le Nigéria, puissance pétrolière, même s’il s’est réveillé, a mis plusieurs décades en somnolence. L’immense République Démocratique du Congo, malgré son sous-sol immensément riche, somnole encore ! Une seule raison à tout cela : lorsqu’il manque la pierre angulaire qu’est l’unité et le vivre ensemble harmonieux, l’on ne tarde pas à assister, regrettablement, à l’écroulement et à l’effondrement des plus fortes citadelles et des gratte-ciel, et des villes jouissant d’un statut de mégapoles devenir un amas de ruines. Ceci n’est pas une prophétie des malheurs et des tribulations. Mais c’est du moins ce qu’ont su éviter les leaders historiques du Sénégal et de la Tanzanie. IPAD-Umuhuza souhaite éviter au Rwanda de vivre un tel scénario. Il œuvre, plutôt, comme une force unificatrice, en vue de bâtir un Rwanda uni et réconcilié. Un Rwanda doté d’institutions fortes et indépendantes, au service de tous les citoyens. C’est cela notre vision. C’est cela notre profonde ambition. Et nous nous sentons capables de la réaliser.
Le régime du Président Paul Kagame ne promet aucun avenir de paix ! Il n’a jamais médité des projets de paix et de concorde nationale. Tout au contraire. Le masque qu’il a longtemps porté est tombé. On voit maintenant son vrai visage. Ce ne sont pas nous, IPAD-Umuhuza, qui le qualifions de tyrannique. Mais nous aussi, nous osons le dire sans nuance. Il ne fait que ressusciter les rivalités et les rixes anciennes en leur faisant une cure de jouvence. Le Président Kagame et sa machine répressive du Front Patriotique Rwandais règnent sur le Rwanda par la terreur et l’épée, en imposant partout les arguments de la force et non la force des arguments. C’est un proverbe très ancien : qui vit par l’épée périra par l’épée ! Ici nous ne prêchons point le revanchisme rancunier à l’instar de ce que le FPR a instauré au Rwanda au lendemain de sa victoire militaire. Nous constatons simplement que le pouvoir actuel qui n’a pas pu ramener la paix ne saura partir dans la paix. Il est fort écœurant de constater que le monde dit libre semble avoir cautionné la terreur et a soutenu, pour s’exonérer de ses failles dans la survenance du drame de génocide, une justice des vainqueurs. Nombreux parmi nos compatriotes ou ceux d’ailleurs, ont dénoncé un mandat inachevé du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Nombreux encore se lamentent de voir la communauté internationale considérer comme effets collatéraux les nombreuses victimes de la répression sanglante post-génocide, celle-là même qui exerce un pouvoir d’omerta et impose un silence absolu sur des crimes incommensurables commis partout ailleurs sous la couverture du génocide.
Sommes-nous en train de nous apitoyer sur nos malheurs pour susciter de la pitié ? Pas le moins du monde ! Nous demandons simplement à toutes ces nations puissantes qui rechignèrent à nous secourir pendant que machettes et kalachnikovs fauchaient partout et que la sauvagerie submergeait la rationalité, de ne pas continuer à assister gaiement au drame qui fait mourir à petit feu notre pays, œuvre d’un pouvoir qui bénéficie de tous les soutiens et de toutes les oreilles attentives en prétendant assurer la défense du rescapé. Objection ! Ce pouvoir n’est pas digne de soutiens ! C’est un fossoyeur de la démocratie et un frein à l’avènement d’une ère nouvelle qui verrait éclore l’exercice des libertés et promettrait une réelle espérance à tous les naufragés de son système oppressif.
De la même manière que cette communauté internationale s’est senti des remords après avoir assisté, bras ballants, à une hécatombe inimaginable, à plus forte raison ne doit-elle pas demeurer aphone et autiste lorsqu’une nation se meurt par le fait d’un régime de terreur. Elle ne doit pas se voir accusée de récidive, en restant sur ses lauriers et en refusant toute assistance à peuple en danger ! Nous eussions souhaité qu’elle écoute et comprenne ce cri de cœur que nous lançons en faveur de tous les Rwandais écrasés par un régime qui n’a cure de leur bien-être ni de leur avenir.
La voix des Rwandais victimes de la terreur clame sur le toit du monde et en appelle à l’unité de tous ses fils et filles, ainsi qu’à toutes les opinions généreuses de tous les points cardinaux jusqu’aux confins de la terre, afin de conjuguer nos efforts dans ce combat pacifique pour l’avènement d’une paix réelle, durable et inclusive, gage d’un Rwanda véritablement démocratique et prospère !
Charles MUSABYIMANA, Secrétaire Général
1 Ouvrage coécrit avec Charles ONANA, paru en 2005 aux Editions Duboiris.
2 Le Rapport du Projet Mapping d’août 2010
3 On citerait pour mémoire, par exemple, Christine Iribagiza, Jean Paul Mwiseneza, Vénuste Rwabukamba, Assiel Kabera, Gustave Makonene, Assinapol Rwigara et plusieurs autres.