Par Erasme Rugemintwaza
C’est une phrase mille fois entendue, mille fois répétée par Kigali. La persistance de la question sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus n’est pas diabolique plutôt cette phrase semble plus que diabolique : « Le Rwanda n’as pas de capacité d’utiliser la technologie de Pegasus », une phrase lancée par Paul Kagame en 2019 pour devenir ainsi un refrain de tout le gouvernement, partout et n’importe quand ! Et deux ans après, avec les révélations scandaleuses du Projet Pegasus, le syntagme ne change pas. Le Ministre de la justice du Rwanda, Johnston BUSINGYE, sur CNN, a cette fois-ci, sa bonne leçon de répétition pour bien reproduire la parole de son Chef ? Pourquoi cette double persistance et de question et de la réponse? Mais on ne peut pas parler de Pegasus sans déboucher sur Rusesabagina. L’interview se termine en une discussion acharnée sur le procès Rusesabagina.
- Les Faits sont têtus
Paul Kagame aimait bien l’axiome « Les faits sont têtus » pour harceler la France de son rôle présumé dans le génocide contre les Tutsi, mais cette fois-ci, c’est bien lui qui doit entendre partout les allégations sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus et l’arrestation de Paul Rusesabagina. Aucune interview ne peut se faire sans toucher sur ces faits têtus. Kagame a bien se targuer d’être un bon espion, mais sur Pegasus, il s’est contenté d’une phrase qui doit être retenue en chœur par tout le Gouvernement. Kagame a beau chasser l’image de Rusesabagina mais il revient au galop! Voici ce que le Ministre de la Justice et porte parole du Gouvernement Johnston BUSINGYE, livre dans une interview de neufs minutes et quelques secondes à la CNN, dans l’émission « THE EXCHANGE », aux microns d’Hellen.
CNN : Ministre Busingye, merci de nous rejoindre et d’être disponible, je voudrais commencer par le problème du logiciel espion Pegasus. Le Gouvernement rwandais a délivré un message niant l’utilisation du logiciel et vous dites que vous n’avez pas la capacité d’utiliser le logiciel. N’avez-vous jamais acheté et utilisé ce logiciel?
Ministre Busingye : Merci Hellen de m’avoir invité, le Rwanda n’a jamais acheté ni déployé ce logiciel. Et c’est cela le contenu du message que nous avons livré dans ces derniers jours
CNN : L’une des parties essentielles de l’affaire du logiciel espion est contenue dans les révélations de l’investigation de d’Amnesty International selon lesquelles le Gouvernement rwandais a spécifiquement ciblé Carine, la fille de Rusesabagina. Et beaucoup de révélations reviennent sur cela. N’avez-vous jamais espionné ou traqué ou écouté aucune conversation de Carine ?
M.B : Nous n’avons pas fait cela. On ne le fait pas. Et je ne sais pas pour quelle raison plausible on pourrait faire cela. Et encore une fois je sais que le numéro de Carine n’est pas parmi les 50 mille numéros rapportés être entre les mains de ceux qui les traquent.
CNN : L’Amnesty International nous a révélé pourquoi le numéro de Carine n’est pas sur la liste disant que « il est vrai que le numéro de Carine n’est pas sur la liste car les données concernent la période d’avant l’arrestation de son père par les autorités rwandaises. Mais les preuves du légiste montrent que son téléphone a été a plusieurs reprises ciblé avec le logiciel espion Pegasus de NSO. La liste n’est pas importante sur le cas de Carine comme le légiste nous fournit la preuve de compromission ». Alors, Ministre pourquoi vous refusez d’avoir acheté ou utilisé ce logiciel espion, cette investigation de l’Amnesty International a été passée en revue. Allez-vous faire le recours contre Amnesty et les autres pour avoir mis à jour ces informations que vous déniez ?
M.B.: Laissez-moi d’abord apporter quelques clarifications sur ce point. Si quelqu’un doute sur le fait que nous n’avons pas utilisé le logiciel Pegasus, le NSO existe ; une vérification de NSO peut alors se faire pour confirmer ou infirmer que nous n’avons pas utilisé le logiciel espion. Nous n’avons ni acheté ni utilisé le logiciel.
CNN : Parlons maintenant de l’arrestation de Rusesabagina. Beaucoup d’interrogations ont été soulevées. Pourquoi le Rwanda n’a pas suivi la voie formelle d’extradition?
M.B. : L’arrestation de Rusesabagina n’a violé aucune simple loi ni règlement international. Il est ici légalement et est en train d’avoir son procès légalement. Il y a plusieurs voies… [Interruption de Hellen]
CNN : Pourquoi n’avez-vous pas suivi la procédure formelle d’extradition internationale au lieu de le leurrer pour l’amener dans le pays, comme vous l’avez vous-même dit, par le biais d’un ami impliqué dans l’investigation, pour qui vous avez payé l’avion même afin de l’amener au Rwanda ? Cette forme de procédure [légale ndlr], vous aurez épargné des questions qui se posent sur votre option de le truquer pour l’amener à Kigali.
M.B. : Tromper un criminel que vous poursuivez n’est pas un crime, Hellen. Je ne comprends pas comment on serait interrogé pour quoi on n’a pas fait ceci ou pourquoi on a fait cela. Ce que nous avons fait est parfaitement légal et n’est pas en violation d’aucune loi internationale.
CNN : La raison qui me pousse à demander cela, Monsieur le Ministre, est que Human Right Watch, suivie d’autres organisations disent que le fait que les autorités de Kigali se sont passées de la procédure légale d’extradition met en question et mine ainsi la foi en une bonne procédure pour lui.
M.B. : Non, cela ne fait rien, non cela ne fait rien! Les faits dont Rusesabagina fait face dans le tribunal sont des charges spécifiques liées aux activités et attaques terroristes dans le sud-ouest du pays où neufs personnes dont deux enfants ont été tuées, 7 par fusillade et deux par armes blanches. L’évidence présentée au tribunal est impeccable, et nous laissons le tribunal d’en tirer des conclusions conséquentes.
CNN : Si vous avez ces évidences étanches, pourquoi n’avez-vous pas travaillé avec les autorités pour l’extrader?
M.B. Comme je vous l’ai dit, Hellen, leurrer un criminel que vous cherchez ne constitue aucune violation, dans Droit international aucun crime.
CNN : Parlons de l’autre personne que vous avez indiquée, dans votre intervention sur une autre chaîne, comme étant l’ami de Rusesabagina qui était sous l’investigation, avec qui vous avez travaillé et payé l’avion. Quelle est la relation exacte du gouvernement rwandais avec cet homme qui est aussi évêque? La question importante est alors de savoir pourquoi cet homme n’a pas témoigné sous serment? Qu’est ce qui lui donne l’immunité de tromper Rusesabagina jusqu’à Kigali ?
M.B. : Je pense que cet homme avait le contact avec notre Bureau d’Investigation, et ce qui se passe dans le tribunal est bien l’affaire du tribunal. Pourquoi il n’a pas témoigné sous serment, pourquoi personne n’a pas demandé qu’il a fait ceci, pourquoi le tribunal a pris son témoignage sans prêter serment ; tout cela est l’affaire du tribunal. Et j’espère que je ne peux pas m’y engager ici.
CNN : Pourquoi on lui [Rusesabagina, Ndlr] a refusé ses juristes internationaux ?
M.B. : Je ne suis en position de m’y engager ici, et dire pourquoi on lui a refusé. Mais le problème des juristes et celui qu’ils représentent et dans quel pays, dépendent des protocoles des associations dans différents pays. Je crois que là où il s’est établi dans San Antonio, Texas, je crois qu’un juriste de San Antonio ne puisse aller dans un autre Etat en Amérique, le représenter ou représenter quelqu’un d’autre. Donc, il y a des règles dans les associations des barons, des professionnels de la loi… [Interruption par Hellen Ndlr]
CNN : Vous lui avez refusé de prendre son juriste personnel, et pour votre entendement, vous lui avez donné la liste des juristes locaux pour en faire le choix. Mais il n’était pas forcement obligé de choisir parmi les juristes locaux, il avait droit de se choisir le juriste de n’importe quelle juridiction.
M.B. : Ça ne fonctionne pas comme ça. Il semble que vous vous trompez et que vous pensez que le Rwanda peut dire à n’importe quelle association de barons que ce soit aux Etats-Unis ou en Belgique, s’il vous plait, envoyez quelqu’un… (Une autre interruption de Hellen)
CNN : Mais ce sont des juristes internationaux, ils ont demandé de le représenter, ils ont été stoppés et ils étaient capables de faire, donc se sont des juristes internationaux, ils l’ont dit, ils ont demandé le droit de le faire.
M.B. : Il y a des règles. Ce n’est pas le Rwanda qui leur donne le droit.
CNN : Se référant au déroulement du procès, il y a les résolutions du Parlement Européen, qui trouve qu’à l’heure actuelle, le procès n’est pas équitable et demande l’accès au procès par public. Quelle assurance pouvez-vous donner que c’est un procès équitable. Et que les documents privés et légaux se seront plus interceptés pour être utilisés contre lui?
M.B : Ce procès, pour moi comme je l’ai suivi et observé à tout moment, est le procès plus équitable jamais vu en terme d’observation de la loi à l’échelle internationale.
En un mot, il semble que cette fois-ci Pegasus s’envole au secours de Rusesabagina et Kagame risque de tout perdre, son argent et son butin. Car qu’il le veuille ou non, « les faits sont têtus ».