Par Erasme Rugemintwaza
Depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir en RDC à la faveur d’un « deal » génialement négocié avec Joseph Kabila, les choses vont bon train du jour au lendemain. Ce novice dans la politique, au départ décrié comme fraudeur par les siens et même contesté par l’Union Africaine, ne cesse de soulever l’admiration de tout le monde. Sécurité de ses concitoyens, diplomatie de bon voisinage, infrastructures, tout cela donne l’image d’un Congo renaissant. Tenant humblement la main sale d’un Paul Kagame qui ne voulait pas de lui, Félix Tshisekedi veut d’abord calmer ce voisin aux élans turbulents et donner la paix à son pays. Son rapprochement avec Kagame, sa séduction des voisins et amis font de cet homme au calme charismatique, un fin politique. Que cachent-ils les accords qu’il a passés?
Longtemps brouillés, Kigali et Kinshasa ont, depuis l’élection de Félix Tshisekedi en 2019, amorcé un rapprochement tant diplomatique que sécuritaire. Ce rapprochement qui au départ a valu au président Felix Tshisekedi, le mépris des ses concitoyens car son homologue Paul Kagame ne manquait pas d’étaler son arrogance et mépris envers le peuple congolais, a grandi, à menus pas jusqu’au 25 et 26 juin 2021, dates immémoriales pour l’inauguration officielle, de cet édifice au frontispice duquel est inscrit en marbre, le mot PAIX. Gisenyi et Goma, deux villes siamoises ont été le théâtre de cet engouement diplomatique, les témoins d’une population en liesse, fatiguée par des tensions qui les séparaient et qui n’en finissaient pas alors que normalement ils partagent les vicissitudes de la vie, avec leur langue le Kiswahili.
Ce rapprochement diplomatique, inattendu, a d’abord, comme je l’ai souligné ici-haut, provoqué de nombreuses crispations en RDC, où personne n’a oublié l’histoire tumultueuse qui lie les deux pays depuis plus de vingt sept ans. On se souvient avec effroi le terme « balkanisation » en vogue à la fin des années 90 et au début de 2000 où des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda opéraient sur le sol congolais ; terme qui resurgit dans la bouche de Congolais chaque fois qu’on parle de Kigali. Thèse qui suppose que l’insécurité dans l’Est de la RDC est le complot dont le maitre d’ouvre est Kagame et ses sbires. Les congolais ont toujours dans la tête les propos récents de Paul Kagame à l’endroit du Rapport Mapping et de leur héros international le Dr. Denis Mukwege, des propos d’arrogance et de mépris à la fois. Comment un prétendu ami ne peut-il pas respecte l’histoire de son ami et de faire deuil, s’il le faut ?
Mais malgré ce contexte facilement inflammable, Kinshasa et Kigali restent droits dans leurs bottes, considérant que le passé, certes rempli de pages sombres, est facilement instrumentalisé par des fins politiques. Soulignons qu’on ne peut pas oublier que ces crispations sont toujours entretenues par le flou persistant des motivations et des contours de cette réconciliation. Comment Kagame qui avait renié, en tant que président de l’Union Africaine, l’élection de Félix Tshisekedi en vient-il à flirter avec celui à qui il barrait la route vers la présidence du pays qui regorge les ressources naturelles presque inépuisables! Ici l’on pointe du doigt des intérêts personnels mafieux des deux présidents Tshisekedi et Kagame! Toutefois avec la validation de l’élection de Tshisekedi, que Kigali ne voulait, Kagame a vite compris que son arrivée au pouvoir lui offrait une bien réelle opportunité diplomatique à l’heure où ses relations avec ses voisins Ougandais et Burundais se détérioraient lamentablement. Il fallait alors se rattraper et battre le fer quand il est chaud en cherchant un ami se substitution dans la région. Dès lors, on active les batteries et volonté de rapprochement entre Kigali et Kinshasa fut soutenue et facilitée par les chancelleries kényanes et angolaises. On multiplia des tête-à-tête, des rencontres à travers mêmes des situations familiales comme les obsèques de Tshisekedi père dans lesquelles Kagame fut applaudi par la foule dans le stade de Martyrs à Kinshasa.
Ainsi ce rapprochement fut marqué par une volonté de sécurisation mutuelle et la coopération de deux armés respectivement Forces Armées de la RDC (FARDC) et Rwanda Defense Force (RDF), dont les prémisses furent notamment l’élimination et extradition des chefs de la FDLR. On mit en place un mécanisme appelé « Equipe Conjointe de Renseignement » (ECR), qui rassemble les données civiles et militaires collectées par les deux pays pour fournir aux unités des FARDC spécialisées dans les opérations contre les groupes rebelles. Voici qu’après deux années d’activités intenses on abouti à l’inauguration officielle de la relance diplomatique avec la signature de trois accords commerciaux. Qui sont ces accords ? Qui en est le perdant, le gagnant ?
- L’accord sur l’exploitation de l’or
Ici l’on est au cœur même de ce rapprochement qui semble mettre dans les oubliettes les velléités judiciaires des congolais contre Kagame qui était devenu une persona non grata! On est sans ignorer que Kagame et ses sbires ont été souvent pointés du doigt par maints rapports sur l’exploitation illégale ou le pillage des richesses de la RDC. Et, ce qui surprend le monde entier, est que Rwanda, sans sous sol aurifère a construit la première raffinerie de l’or en Afrique, dont il produirait des quantités ! Selon l’accord, « Il y aura complémentarité entre les deux sociétés qui vont doc contrôler la chaine des valeurs à partir de l’extraction [ en RDC, Ndlr] par la société congolaise Sakima et le raffinage par la firme rwandaise Dither SA [au Rwanda ndlr]. Cet accord vise la traçabilité de l’or de la RDC. Il vise en plein cœur les milices de Kagame avec la clause suivante : « Les groupes armes qui tirent des revenus pour financer la guerre avec de l’or ne pourront plus se permettre d’exploiter ou de revendre auprès des acheteurs sur les marches internationaux »
Sur ce point Kagame est largement perdant car les mines de la RDC et autres richesses qu’il avait squattées reviennent ipso facto aux leurs. Et ainsi les bénéfices exorbitants de Kigali dus au pillage de ces ressources vont tarir car l’accord met en place les voies légales et contrôlables. Et de surcroit cet accord semble être protégé par la présence des militaires kényans et ougandais qui sécurisent la région sous les accords bilatéraux de leurs pays. Ainsi les groupes armés qui pullulent dans la partie orientale de la RDC, dont ceux créés par le Rwanda pour entretenir l’insécurité, propice au pillage, n’auront plus la marge de manœuvre pour piller. Une question qui laisse tout un chacun éberlué : comment les militaires de Kagame, qui exploitaient les mines et autres ressources, vont quitter la RDC, tant que Tshisekedi se garde de tout coopération militaire ouverte avec le Rwanda? La seule façon de revenir au bercail en dignité, et ceci est la risée du sort, est de se déguiser en militaires de la FDLR qui veulent rentrer ! N’oublions pas de signaler en guise de conclusion sur ce point qu’il y a une pression internationale contre le Rwanda suite aux rapports des organismes et ONGs internationaux qui, sans cesse accusaient le Rwanda de piller les minerais de la RDC. Les rapports du Rwanda « techniqués » montraient le Rwanda comme grand producteur de pierres précieuses dans la région des Grands lacs africains! Malgré les dépôts presque naturels créés dans le Bugesera et l’Umutara, la quantité va diminuer!
- Les deux accords pour la prévention de l’évasion fiscale
Le deuxième accord porte sur « La promotion des investissements » alors que le troisième est une « Convention pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts et de revenu »
En effet les commerçants congolais, dans des voies obscures payaient deux fois l’impôt, et ceci sous les auspices de l’Offices rwandais des Impôts (Rwanda Revenue Authority : RRA) et les Agents de douanes de RDC, complices. Ces pratiques doivent cesser et le Rwanda est perdant!
- Kinshasa rêve d’entrer dans l’EAC
Le prochain somment de la Communauté d’Afrique de l’Ouest (EAC),qui se tiendra en Février 2022, sera l’occasion d’enclencher le processus d’’examen de la demande d’adhésion de Kinshasa a l’organisation. En effet, le 8 juin 2019, la RDC a sollicité, dans une lettre adressée à Paul Kagame son intégration à l’EAC. Alors la rencontre de Février 2022 doit permettre d’établir le calendrier nécessaire à l’examen de cette demande dont les visites en RDC des délégations de l’EAC. Même si le processus puisse être quelques fois long, soulignons que Kigali s’est d’ores et déjà déclarée favorable à l’adhésion de son voisin mais les blocages pourraient survenir en interne. En filigrane, deux volontés d’intégration régionales risquent de s’affronter en RDC. D’un côté Félix Tshisekedi veut concrétiser son rapprochement avec les pays de la zone EAC avec lesquels il a plusieurs fois affiché sa proximité depuis son investiture en janvier 2019. De l’autre le camp Kabila -et notamment certains généraux restes fidèles à l’ancien président- semble davantage regarder en direction de la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC)
- Un peu de géopolitique
Comme, encore une fois, je l’ai annoncé, ici-haut, l’élection de Félix Tshisekedi est le résultat d’un « deal » génialement conclu avec le président sortant Joseph Kabila. Son élection a été controversée, et contestée par les siens et par son actuel idylle Paul Kagame, alors Président en exercice de l’Union Africaine. Nous savons combien Joseph Kabila a volé a son secours en envoyant des émissaires à Kagame pour lui demander de cesser la contestation de son élection. Comment Félix Tshisekedi va-t-il alors travailler avec ses deux hommes très proches de lui et surtout comment il va se libérer de leurs griffes pour se positionner en homme fort ?
En politique, il y a un sacro-saint principe stipulant qu’il y a des alliances pour une cause et non pour l’éternité. Pour se tenir solidement debout Tshisekedi avait besoins d’alliances mais en certain moment ces alliances risquer de phagocyter sa propre formation politique ; il fallait alors se séparer ou se débarrasser de ses tutelles malgré tout, et apprendre à marcher de ses propres jambes. Il se libéra d’abord de son parrain Joseph Kabila et de son conseiller Kamerhe, très proche de Kigali. Mais il va aussi à l’extérieur et va mettre son voisin le plus proche, Paul Kagame dans une position de faiblesse et embarrassante. En fait en appelant au secours les Ougandais et les Kényans sans officialiser la présence des militaires rwandais opérant en RDC comme des mercenaires, Tshisekedi de détache de Kagame. Ainsi Kagame qui se prenait pour le héros candide de la région qui doit voler au secours des autres, va être emmené dans des accords commerciaux, qui limitent eux aussi son vol plutôt que dans un accord militaire. Les Congolais en ont marre de lui ! Avec des voisins, Tshisekedi va lancer des coopérations tant économiques que militaires avec l’Ouganda, ennemi jure du Rwanda et les Kenyans sous la houlette des Etats Unis qui va proposer le Kenya comme capable de travailler avec la MONUSCO pour stabiliser le Congo. Ainsi la présence de l’Ouganda et du Kenya dans des collaborations militaires officielles rabaisse Kagame dont les soldats ne sont que des manants mercenaires qui sortiront de la RDC par une formule magique pour ne pas être interceptés par ces Ougandais ou Kényans. Tshisekedi ouvre son pays aux voisins en écartant génialement Kagame. Les accords de constructions de la route de plus de 450 kms avec l’Ouganda, les échanges commerciaux avec le Kenya, la France dans le fuel d’Ituri et surtout la venue officielle des Etats Unis pour reprendre quelques chantiers chinois mal conclus par son prédécesseur. Voila Tshisekedi qui, humblement, caresse l’animal dans le sens des poils enfin de l’abattre!
Comme c’est écrit dans la Bible, ecclésiaste 3 : « il y a une saison pour toute chose : un temps pour tout sous nos cieux…, Un temps pour la guerre. Et un temps pour la paix ». Et « Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi. Et cet ennemi devient votre associé », dira le Père de la nation arc-en-ciel, Nelson Mandela. Comment peut-on penser que Kagame puisse faire l’accolade, diplomatique soit-elle, avec Tshisekedi qu’il a au départ contesté la légitimité ? Comment peut-on s’imaginer un Kagame qui baisse le ton et fait une repentance à peine camouflée ? Les dates du 25 et 26 juin 2021, dates immémoriales pour les peuples Rwandais et Congolais ont montré que l’homme est capable de tant de rebondissements. Car l’engagement des chefs d’Etats fut solide. « Nous avons perdu tant d’années en se regardant sans agir. Nous ne sommes qu’au commencement, nous allons continuer à élargir nos actions », dit Felix Tshisekedi. Et Kagame de répondre en chœur « Le Rwanda s’engage à consentir des efforts, en collaboration avec la RDC dans le respect de la souveraineté ».