*Sur les épaules de mes ancêtres*

Imaginez que vous apparteniez à une minorité raciale de l’Asie du Sud-Est, un peuple amené d’Afrique de l’Est il y a de cela plusieurs siècles déjà. Imaginez que les vôtres étaient jadis acceptés et intégrés mais qu’au fil des ans, ils aient été progressivement marginalisés et complètement exclus de toutes fonctions publiques. Imaginez que vous décidez de dédier votre vie à faire la différence, à faire redonner à votre communauté cette dignité leur déniée depuis trop longtemps. Serez-vous entendue?

Aujourd’hui je suis inspiré par Tanzeela Umme Habiba Qambrani née en 1979 dans le district de Badin au Pakistan. Badin se trouve dans le Sind, la troisième plus grande province du Pakistan, située dans la partie sud-est du pays.
Tanzeela appartient à la communauté des Sidis, également connus sous le nom de Sheedis, une minorité raciale d’ascendance africaine vivant en Inde et au Pakistan. Bien que l’origine exacte des Sidis ait été oubliée au fil des ans, ils seraient des descendants de marchands, de marins et de soldats de l’Afrique de l’Est.

Beaucoup ont été amenés en Asie comme esclaves dès le 1er siècle par des esclavagistes arabes et ottomans, puis par la suite, par des esclavagistes Portugais, Hollandais, Français et Britanniques. Les historiens estiment qu’environ 4 millions d’Africains ont été emmenés d’Afrique orientale en Asie du Sud-Est pendant le commerce des esclaves trans-océan Indien.

Au cours de l’empire moghol, fondé au XVIe siècle, les Sidis ont occupé des postes de haut niveau tels que des soldats ou des gardes. L’un des Sidis les plus célèbres est Malik Ambar, un esclave éthiopien amené en Inde enfant et qui devint général et même premier ministre du Gujarat Indien.

Les choses tournèrent mal pour les Sidis sous la colonisation britannique, où ils furent activement discriminés par le colon. Cette discrimination a continué après la création du Pakistan en 1947. Depuis, les Sidis ont complètement été ignorés des cercles politiques pakistanais.

Aujourd’hui, seule une petite communauté de près de 50 000 personnes est identifiée comme Sidis au Pakistan. Elle est essentiellement concentrée dans le Sind. La communauté Sidi fait souvent l’objet de moqueries à cause de son apparence physique et fait face à la discrimination raciale dans tous les domaines de la vie, tant en Inde qu’au Pakistan.

Les Sidis ont récemment fait des efforts pour renouer des liens avec d’autres Sidis du sous-continent de l’Asie du Sud-Est, mais ils ont pratiquement perdu tout lien direct avec l’Afrique de leurs ancêtres. Les Sidis ont également oublié depuis longtemps leurs langues d’origine. Cependant, leur musique et leurs chansons sont indéniablement africaines, un mélange de swahili et de langues locales.

Tanzeela trace ses origines en Tanzanie. Ses arrière-grands-parents ont été amenés au Pakistan il y a un siècle et sa famille a retrouvé ses liens avec l’Afrique grâce aux efforts de ses parents. Une de ses sœurs a même épousé un Tanzanien et a suivi son mari dans son pays de naissance. Une autre de ses sœurs est mariée à un Ghanéen.

« Quand ma sœur a épousé un Ghanéen, des jeunes de la région et des invités ghanéens ont organisé un spectacle traditionnel dans notre quartier. Ils ont dansé les pas typiques de Sidi au rythme des tambour de Mogo, qu’on dit originaire du Ghana, mais que nous avons traditionnellement joués chez nous depuis les temps. On ne pouvait faire aucune distinction entre les danseurs Sidis et les Africains ! « 

Ses parents avaient tous deux fait des études poussées. Son père, Abdul Bari, était avocat, et sa mère une directrice d’école. Parallèlement à leurs fonctions respectives, ses parents ont œuvré toute leur vie pour essayer de changer la façon dont leur communauté est perçue dans le pays.

Dès leur jeune âge, les parents de Tanzeela ont poussé leurs filles à toujours croire en elles-mêmes et à aspirer à occuper une place égale à celle de leurs homologues masculins dans la société. La jeune femme était passionnée par les sciences et elle a décidé de poursuivre des études en informatique à l’Université du Sind où elle a obtenu une maîtrise en informatique.

Avec l’éducation familiale qu’elle a reçue et les convictions de ses parents, il n’est guère surprenant que Tanzeela ai suivi leurs traces, s’engageant dans le militantisme communautaire dès qu’elle a terminé ses études universitaires.

Son principal cheval de bataille était de l’indépendance économique des femmes. Pour elle, seule des femmes fortes et autonomes peuvent jouer un rôle actif dans le processus de prise de décision du pays. Dans son travail communautaire, elle a inlassablement sensibilisé les familles, en particulier les mères, à mettre leurs filles à l’école.

« Il n’y a pas de progrès sans éducation et autonomisation des femmes du Sind et des femmes Sidis. »

En 2010, elle a rejoint le parti Benazir Bhutto, la première femme Premier ministre du Pakistan, et est devenue conseillère municipale dans son Badin natal.

Elle n’a pas tardé à se faire remarquer dans les hautes sphères du parti et, en 2018, Bilawal Bhutto Zardari, fils de feue Benazir Bhutto, l’a nommée à un siège réservé aux femmes au parlement provincial du Sind, siège qu’elle a gagné haut la main.

Tanzeela Qambrani a prêté serment le 13 août 2018, devenant ainsi la première femme de la tribu Sheedi à devenir membre de l’Assemblée du Sind.

Ce fut un moment très émouvant pour cette activiste de 39 ans, mère de trois enfants.

«En arrivant à la cérémonie de prestation de serment, j’étais submergé par les émotions. Je me sentais comme une sorte de Nelson Mandela. En descendant l’escalier de l’Assemblée du Sind, j’avais envie d’embrasser le sol, le sol même qui m’a bénie avec tant de respect, d’amour et d’acceptation », a-t-elle confiée à la presse ce jour-là.

Aujourd’hui, le nom Tanzeela Qambrani a voyagé à travers le monde, jusqu’à l’Afrique de ses ancêtres et au-delà, faisant d’elle le visage de cette petite tribu dont beaucoup n’avaient jamais entendu parler avant son élection.

«En tant que petite minorité perdue au milieu des populations locales, nous nous sommes efforcés de préserver nos racines africaines et notre expression culturelle, mais j’attends avec impatience le jour où le nom de Sidi évoquera le respect, pas le mépris. »

Elle est la première femme parlementaire Afro-Pakistanaise mais elle a bien l’intention de se battre pour ne pas être la dernière. Il faut plus de Sidi dans les cercles politiques souvent élitises de son pays. Et dans tous les domaines de la vie d’ailleurs.

« Je peux déjà sentir le poids. Je suis une Sidi, et tous les Sidis, qu’ils soient de la classe moyenne, de la classe moyenne inférieure et de la classe ouvrière savent que je suis une des leurs. Cela signifie qu’il y aura des attentes. »

Ne vous inquiétez pas, Tanzeela, vos ancêtres veillent sur vous.

Merci pour votre contribution à l’héritage de la Grande Afrique, Tanzeela! Nous sommes fiers de vous!

Contributeur

Um’Khonde Habamenshi