Par Ben Barugahare
Le 25 mars 2021, le tribunal de grande instance de Muhanga dans la province du sud du Rwanda a prononcé une condamnation à perpétuité contre Gérard Urayeneza et ses deux coaccusés pour complicité dans le crime de génocide et recel de preuves ou d’informations sur le génocide. Cette condamnation survient 27 ans après le génocide, alors même que le condamné n’a jamais quitté son village et qu’il était lui-même la proie des extrémistes hutus en 1994. Une situation étonnante, sachant que les procès des juridictions Gacaca se déroulaient sur les collines où les victimes et les accusés vécu pendant le génocide et qu’il n’avait jamais été accusé de quoi que ce soit. Ayant introduit un recours contre ce verdict auprès de la haute cour ; bon nombre de témoins qui l’avaient inculpé le déchargent cette fois-ci. Urayeneza est-il réellement coupable ? Ce procès ne frise-t-il pas du politique ? La présente analyse s’efforce de répondre à de telles interrogations.
Comment Urayeneza s’est-il comporté pendant le génocide ?
Gérard Urayeneza est un Hutu marié à une femme tutsie, Justine Urayeneza, avec qui il a 4 enfants. Gérard lui-même est un hybride, comme bon nombre de Rwandais. Sa mère était tutsie, cependant la société patriarcale rwandaise le considère comme un Hutu. En 1994, ils habitaient déjà à Gitwe dans leur résidence actuelle, située à quelques mètres du centre de santé Adventiste de Gitwe en contrebas du Collège Adventiste de Gitwe (actuelle cellule Murama, secteur Bweramana, district Ruhango). Pendant le génocide, Gérard Urayeneza a subi des difficultés pour cacher non seulement sa femme, qui risquait d’être tuée, mais aussi une partie de sa belle-famille, qui est d’ethnie Tutsi. Il a également caché et sauvé des enseignants tutsis de l’ESAPAG.Avant le génocide, Gérard Urayeneza avait des relations tendues avec les autorités locales, dont Esdras Mpamo, cadre du MRND et bourgmestre de la commune voisine de Masango, qui souhaitait le faire remplacer par son gendre comme représentant légal de l’APAG.
Pendant le génocide, les menaces se sont intensifiées. A plusieurs reprises, M. Mpamo, invoquant le fait que M. Urayeneza était marié à une femme tutsie, est allé perquisitionner son domicile, estimant que des Tutsis s’y cachaient. Mais sa femme et d’autres membres de sa famille se cachaient à Kibonde, une colline non loin de Gitwe.
Après le Génocide, Gérard n’a jamais fui à l’étranger. Il est resté à Gitwe et a redémarré l’ESAPAG quand les écoles ont ouvert leurs portes après le génocide. Les procès Gacaca se sont déroulés sans que Gérard Urayeneza ne se soit jamais vraiment inquiété. En revanche, un certain Charles Muhayimana, qui à l’époque de la Gacaca était directeur de l’APADE, école de Kigali concurrente de l’ESAPAG, et fondateur de l’école « Les amis des enfants », a porté plainte contre Gérard Urayeneza. au motif qu’il aurait tué une de ses connaissances. Cette plainte a été rejetée. En effet, face aux accusations mensongères prononcées par Charles Muhayimana lors de la session Gacaca, le pasteur Josué Rusine, lui-même rescapé du génocide, a soulevé tous les doutes quant à l’éventuelle culpabilité de M. Urayeneza. En effet, il a affirmé que la personne dont parlait Muhayimana faisait partie de sa famille et n’était pas décédée, mais qu’elle vivait à Bujumbura. Charles Muhayimana n’a jamais été poursuivi pour avoir accusé injustement Gérard Urayeneza. Et maintenant, pourquoi cette condamnation à perpétuité 27 ans après le génocide, pour une personne qui n’a jamais quitté son village ou son pays ? Une telle peine ne peut être prononcée sans soulever la question de sa légitimité. Le 25 mars 2021, le tribunal de Muhanga a condamné à perpétuité Gérard Urayeneza et ses deux coaccusés. M. Urayeneza a été arrêté en juin 2020 avec certains hauts responsables de l’hôpital universitaire de Gitwe. Certains de ces cadres sont eux-mêmes des rescapés du génocide. Cette condamnation est devenue virale parmi les habitants de Gitwe, qui travaillent pour la plupart dans les institutions de l’APAG (Université de Gitwe, ESAPAG et Hôpital de Gitwe). Urayeneza est un homme populaire dans la région. Qu’ils soient Tutsis ou Hutus, tous ont été choqués par sa condamnation. Il faut dire que Gitwe est une région reculée, sans accès par route goudronnée, qui a été mise en valeur par les actions de l’APAG. Par ailleurs, le RIB (Rwanda Investigation Bureau) a envoyé deux camions de militaires à Gitwe au lendemain du prononcé de la décision du tribunal, par crainte d’une révolte de la population contre cette décision qui, pour les observateurs, relève du mandat de la fausse accusation.
Fausses charges
En juin 2020, 26 ans après le génocide, des restes de corps humains ont été découverts dans des fosses communes situées sous la construction de la clôture à l’hôpital de Gitwe. Après cette horrible découverte, les corps ont été exhumés pour un enterrement décent. Cependant, les sites mémoriaux proches de Gitwe, notamment les sites de Nkomero et Ruhango, ont refusé ces corps au motif qu’ils n’étaient pas tutsis. En effet, plusieurs habitants de cette région rapportent qu’ils ont été des victimes tuées par les troupes du FPR à leur arrivée à Gitwe. Par crainte du FPR au pouvoir, personne n’avait jamais évoqué la présence de ces corps là-bas. Paradoxalement, c’est donc pour avoir « dissimulé » la présence de ces corps notamment que Gérard Urayeneza a été condamné à la réclusion à perpétuité. Cependant, le refus de ces restes humains par les sites mémoriels du génocide tutsi met en lumière plusieurs problèmes.
Primo, il renforce l’hypothèse avancée par plusieurs habitants de la région que les corps exhumés dans le charnier de l’hôpital de Gitwe ne sont pas des corps de Tutsi tués pendant le génocide, mais de victimes tuées par le FPR.
Secundo, ces faits aident à comprendre que les accusations portées contre Gérard Urayeneza sont fausses. D’ailleurs, ses avocats avaient évoqué cette hypothèse lors de la procédure judiciaire en évoquant les combats à Gitwe entre l’armée du FPR et les Ex-FAR .
Tertio, il est inconcevable que personne n’ait jamais dit que les corps des Tutsis étaient là alors même que les tueries se déroulaient au grand jour. Il n’est pas possible de faire taire toute la population sur la présence des victimes du génocide. Il faut aussi mentionner que même les procès Gacaca de cette région se sont tenus à quelques mètres de l’hôpital de Gitwe, au centre Bienvenue, et que personne n’y a jamais parlé de victimes tutsi.
Enfin, Gérard Urayeneza et ses coaccusés avaient demandé des tests ADN pour les personnes qui avaient porté plainte en tant que parties civiles et qui voulaient des réparations, des personnes qui ont comparu 26 ans après le génocide et qui ont réclamé des milliards de francs de dédommagement et de réparation du préjudice. Le tribunal de grande instance de Muhanga n’a pas accepté cette demande, sans donner aucune raison valable évidemment de peur de contredire sa décision alors qu’elle a été dictée d’en haut.
Les mobiles derrière
Tout a commencé avec la fermeture de son université suivie de son emprisonnement frisant le politique. Mais quelles sont les vraies raisons d’une telle persécution ?
-Refuser le contrôle RPF
Gérard Urayeneza a payé un lourd tribut à sa popularité et à son amour pour l’éducation et la santé des habitants de sa région. Voulant s’approprier le contrôle des universités privées, en 2013, le FPR, par l’intermédiaire de ses responsables du ministère de l’Éducation, a demandé à Gérard Urayeneza d’autoriser des hommes d’affaires proches du régime à avoir une participation financière à l’Université de Gitwe. Urayeneza a refusé l’offre, expliquant que l’UG appartenait à l’association des parents APAG. Ce refus avait déplu aux cadres du FPR, beaucoup de gens pensent que ce refus était à l’origine de ses problèmes. D’autres universités privées avaient accepté cette interférence du régime, l’exemple le plus connu est celui du fondateur de l’Université Libre de Kigali (ULK), le professeur Rwigamba Balinda qui, après avoir adhéré à cette approche du FPR, a été nommé sénateur.
Les problèmes de Gérard Urayeneza ont commencé avec le sabotage de l’université de Gitwe, avec le blocage en 2019 des inscriptions des étudiants en médecine de première et deuxième année au motif qu’il n’y avait pas assez de matériel dans les laboratoires et les stages pour les étudiants. Malgré tout, l’UG a été contrainte de continuer à payer les professeurs étrangers qu’elle avait recrutés, ce qui a occasionné une perte financière importante pour l’UG, estimée à 1,5 milliard de francs rwandais, soit environ un million d’euros.
Ces accusations de manque de ressources de l’UG sont des mensonges évidents pour de nombreux observateurs. Immaculate Ingabire, la très influente responsable de Transparency International Rwanda s’est étonnée que : « Le problème de l’Université de Gitwe n’était pas le matériel, ni le laboratoire, ni les professeurs incompétents, mais le HEC (Commission de l’Enseignement Supérieur) a expliqué que c’étaient des secrets. que le ministère rwandais de l’éducation n’a pas voulu révéler ».
Transparency Rwanda a mené plusieurs enquêtes sur l’affaire et Mme Ingabire dit qu’il s’agit d’un scandale dans le domaine de l’éducation et que le président de la République devrait en être informé. Gérard Urayeneza a eu l’occasion de s’exprimer sur ce problème au Sénat mais en vain. Par la suite, le ministère de l’Éducation a décidé de fermer définitivement la Faculté de médecine et le Laboratoire de l’Université de Gitwe. Certains adventistes contactés nous ont expliqué qu’il pouvait s’agir d’une compétition malsaine menée par le pasteur Hesron Byiringiro qui dirige actuellement l’association des églises adventistes au Rwanda. Fidèle partisan du FPR depuis ses années d’études aux Etats-Unis et proche du président Paul Kagame, le pasteur est désormais plus politique que religieux. En 2019, il souhaitait ouvrir une faculté de médecine à l’Université adventiste d’Afrique centrale (UAAC) à Kigali.
-Jamais sans nous dans vos affaires
Comme le régime rwandais s’immisce quotidiennement dans les affaires, Urayeneza est perçu comme un riche homme d’affaires mais qui veut faire cavalier seul car il refuse d’intégrer les responsables du régime ; la fermeture de son université et sa réclusion à perpétuité étaient des indicateurs de la vengeance exercée par le régime en punition de son refus de les intégrer dans ses affaires lucratives. Cette pratique est courante au Rwanda où toute somme supérieure à cinq millions est justifiée et lorsqu’un projet est rentable, les fonctionnaires du régime devraient en profiter sinon ils leur mettent les bâtons dans les roues. Cela est arrivé à de nombreux commerçants dont les noms sont tus ici pour leur sécurité et ceux qui ne se sont pas conformés ont payé le même prix que notre Urayeneza. En effet, le régime de Kigali exige que les riches mettent à disposition des sommes colossales pour le fonds du FPR et ses responsables influents doivent obtenir des parts dans toutes les entreprises prolifiques sinon les propriétaires de ces industries font face à des mesures sévères telles que l’imposition de surtaxes estimées en milliards ; la fermeture de leur entreprise, la prison et l’assassinat ne sont pas exclus.
Appel devant la Haute Cour : rétractation et contradictions de témoignages
Devant la haute cour, l’ancien témoin à charge s’en est rétracté de manière inattendue. Un témoin qui a affirmé avoir vu Urayeneza tenant une arme à feu se rétracte en niant l’accusation précédente en raison d’avoir été soudoyé par une femme renvoyée de l’Université de Gitwe qui est par conséquent devenue un ennemi viscéral de l’accusé et qui a des liens avec les dignitaires du régime ; un autre déclare ne pas l’avoir vu dans les parages ; un autre précise que l’accusé ne pouvait pas être impliqué dans les tueries car il avait la lourde tâche de cacher sa femme tutsie loin des assassins. Ce comportement des témoins qui avaient inculpé Urayeneza prouve sans aucun doute qu’il est purement et simplement innocent.
Il ne fait aucun doute que les charges retenues contre Gérard Urayeneza sont fabriquées dans une sorte de représailles, les exemples de ces procès ressemblant à des pièces de théâtre sont malheureusement monnaie courante dans la justice rwandaise. La haute cour confronté à ces témoignages contradictoires devrait libérer l’accusé conformément au bénéfice du doute à l’accusé prévu par l’article 111 de la loi rwandaise relative à la procédure pénale qui dispose que si la procédure menée de la manière la plus complète possible ne permet pas aux juges de trouver des preuves fiables prouvant au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction, les juges ordonnent son acquittement. Cela sera évidemment possible si le juge est indépendant ; il faut espérer que le régime arrêtera la persécution de l’accusé entre autres indicateurs, son université a récemment rouvert avec toutes ses facultés.