Des bras ouverts aux portes fermées: comment l’humanité se meurt lentement dans la mer Méditerranée, 1000 migrants à la fois.

En 2011, à la suite du Printemps Arabe et l’augmentation soudaine de migrants traversant la méditerranée qui s’en est suivi, une petite île proche de la Sicile, connue auparavant pour ses belles plages touristiques, s’est retrouvée décrite dans les media nationaux et internationaux comme le symbole par excellence de ce qu’on appelle aujourd’hui la crise des migrants.

Aujourd’hui je suis inspiré par la population de Lampedusa. Le monde entier a été touché par la manière extraordinairement accueillante dont les habitants de cette petite île ont traité les réfugiés, qui étaient souvent plus nombreux que sa population de 6 000 habitants.

Lorsque François a été élu pape, Lampedusa a été le premier lieu visité par le Pontife en dehors de Rome. C’était le 8 juillet 2013.

Au cours de sa visite, le Pape des pauvres a prié pour les migrants illégaux qui se sont noyés en tentant d’atteindre l’Europe et a jeté une gerbe de fleurs dans la mer, en signe de deuil.

Dans son homélie, Francis a dénoncé ce qu’il a appelé la «mondialisation de l’indifférence», affirmant que les cris et le sang des migrants qui ont péri dans la mer fait que Dieu s’interroge sur la manière dont nous traitons nos frères et sœurs migrants.

En octobre 2013, trois mois plus tard presque jour pour jour, un bateau de pêche de 20 mètres de long transportant 500 migrants de différents pays d’Afrique subsaharienne a quitté Misrata, en Libye, en direction de l’Europe.

Malheureusement, le moteur du bateau est tombé en panne à une courte distance de la côte et le navire a commencé à se remplir d’eau.

Comme la nuit était déjà tombée, l’un des passagers a décidé de brûler une couverture pour qu’ils puissent être vus par les bateaux de sauvetage.

Ce qui s’est passé ensuite ce 3 octobre 2013 est l’une des pires tragédies que vous pouvez imaginer: l’incendie est devenue hors de contrôle, ce qui a mis le feu aux réserves de carburant du bateau et puis au bateau tout entier. De nombreux passagers ont sauté à l’eau, mais les secousses ont fait chavirer le navire, qui a coulé avec des passagers coincés en dessous!

Seules 155 personnes ont été sauvées du naufrage et plus de 360 personnes ont été retrouvées après une mission de recherche et de sauvetage qui a mobilisé des avions et robots. Une centaine de personnes ont été retrouvées dans les profondeurs de la mer, piégées dans l’épave du bateau!

Le journal The Guardian a récemment publié un article écrit par un médecin de Lampedusa, Pietro Bartolo, qui a partagé son souvenir de cet événement tragique:

« Je ne peux pas oublier ce qui s’est passé le 3 octobre 2013, non loin du port de Lampedusa. Ce jour-là, 368 personnes ont perdu la vie – à quelques centaines de mètres du salut! Qaund j’ai effectué les autopsies sur tous ces petits corps, j’ai été frappé par la facon dont ils étaient bien habillés – leurs petites chaussures, leurs cheveux en tresses. Leurs parents les avaient habillés avec soin pour les préparer à leur entrée dans un nouveau monde et entamer une nouvelle vie, une vie finalement sans soucis. Ils n’ont jamais vu ce monde. Et cela me brise le cœur de penser que je n’entendrai jamais leurs histoires. Ce jour-là a marqué ma vie. Souvent, ces petits visages me hantent dans mes cauchemars.  »

Une semaine plus tard, le 11 octobre, un deuxième navire transportant 200 migrants, venant cette fois de Syrie et de Palestine, a coulé à une cinquantaine de kilomètres de l’endroit où le premier bateau a coulé, près de la même île italienne. Quelque 34 personnes sont mortes dans l’accident.

Cette double tragédie et l’afflux de migrants secourus ont encore une fois placé cette petite île de Lampedusa au cœur du débat sur la migration.

L’’île italienne est et restera à jamais connue pour les deux naufrages et la manière extraordinaire dont les habitants de l’île ont accueilli les réfugiés.

Au lendemain de la tragédie de Lampedusa, le 18 octobre 2013, deux semaines après le premier et une semaine après le deuxième naufrage, le gouvernement italien a spontanément décidé de lancer une vaste opération appelée «Mare Nostrum» (ce qui signifie « Notre Mer » en latin), une opération navale et aérienne visant à sauver les migrants et à prévenir de nouvelles tragédies.

C’était il y a presque 5 ans.

Si vous n’avez pas regardé les nouvelles des migrants depuis l’épisode tragique de Lampedusa, vous avez probablement été surpris le 11 juin 2018, en voyant dans les nouvelles le Premier ministre italien nouvellement élu, Giuseppe Conte, refuser d’accueillir un bateau de migrants transportant 629 migrants. Dieu merci, le navire d’aide a été reçu par l’Espagne!

Quoi, vous demanderez-vous? Qu’est-ce que j’ai raté? Pourquoi? Comment?

Comment est-ce que nous sommes passés de «Ceci est ‘notre mer’, pour vous et pour nous» à «Ceci est notre mer et vous n’y êtes pas les bienvenus» en seulement cinq ans?

Ce qui s’est passé, c’est que la politique a gagné son match contre l’humanité. Enfin presque, car le match n’est pas fini, tous les sets n’ont pas encore été joués.

Premier set: Notre mer est votre mer

L’opération «Mare Nostrum» était la réponse humaine et naturelle à une tragédie qui avait choqué toute la nation. Des personnes étaient mortes dans la mer auparavant, mais quelque chose dans les naufrages de Lampedusa, avec le bateau en feu et le nombre impressionnant de réfugiés qui se sont posés sur cette petite île, ont touché l’opinion publique italienne et les politiciens ont agi dans le sens attendu.

L’opération de sauvetage a été sans précédent: elle a mobilisé une flotte de 32 bateaux, un sous-marin, des avions et des hélicoptères, 700 à 1 000 membres du personnel aérien et maritime de la marine, des forces aériennes, des carabiniers, et d’autres organes du judiciaire et ceux impliqués dans le contrôle des flux migratoires par voie maritime.

L’initiative provenait d’une bonne intention, mais son budget de 12 millions de dollars par mois était trop lourd pour un seul pays. Sans le soutien tangible d’autres pays européens, l’opération n’a duré qu’un an. Au 31 octobre 2014, l’Italie avait sauvé 130 000 personnes et offert des soins médicaux, des logements, de la nourriture et même une aide juridique.

Bien que le gouvernement ait tenté de rationaliser les raisons pour lesquelles il mettait fin au programme humanitaire, des critiques ont fait remarquer que la raison en était peut-être que l’Italie avait été critiquée par d’autres pays européens à huis clos de laisser les migrants quitter l’Italie et aller demander l’asile dans d’autres pays européens.

Deuxième set: les ONG comblent le Vide

En l’absence d’une réponse coordonnée par plusieurs États, les philanthropes et les ONG internationales ont décidé de combler le vide et de prendre les choses en main.

Aujourd’hui, je suis inspiré par: l’entrepreneur italo-américain Regina et Christopher Catrambone, qui en 2014 ont transformé un ancien bateau de pêche en un bateau de sauvetage, le Migrants Offshore Aid Station (MOAS); L’ONG allemande Sea-Watch et les agences de Bruxelles et de Barcelone de MSF qui ont créé des installations flottantes similaires en 2015, les Bourbon Argos et Dignity I; SOS Méditerranée qui, en 2016, a affrété un navire de 77 mètres, rebaptisé The Aquarius, a opéré en partenariat avec la filiale d’Amsterdam de MSF, pour n’en citer que quelques-uns.

Ces navires effectuent des opérations de sauvetage entre 20 et 50 km au large des côtes libyennes et les amènent du côté européen, principalement dans les ports italiens.

Comme vous avez tous suivi l’actualité de cette tragédie en cours, vous savez que ce deuxième set n’est pas le dernier du match, que ce n’était pas la fin de la tragédie ou l’épilogue heureux d’un conte jusque- là assez macabre.

Troisième set: Priorité: Contrôle des frontières

Au lieu de soutenir ces initiatives louables, différents pays européens ont préféré leur imposer des restrictions, les forçant à abandonner leurs opérations une par une. Aujourd’hui, il ne reste plus que deux des douze bateaux à but non lucratif qui sauvait les immigrants.

Quatrième set: Le Deal Libyen

Il y a quelques mois, lorsqu’une journaliste infiltrée clandestinement en Libye a révélé au monde entier les ventes d’esclaves qui y ont lieu, nous avons découvert que le gouvernement italien – celui-là même que nous avions applaudi pour sa réponse humanitaire aux naufrages de Lampedusa en octobre 2013 – avait conclu un accord avec les autorités libyennes en février 2017 pour empêcher les migrants d’atteindre l’Europe !

Même la personne toujours indulgente que je suis, la personne qui essaie toujours de trouver le bien chez les gens ne peut trouver aucune once de bonté ou de bonnes intentions dans un tel accord! La partie la plus choquante est que les dirigeants européens ont approuvé l’accord, le louant pour le fait qu’il «contribue à réduire de manière significative le nombre de migrants voyageant vers le continent depuis la Libye».

Et c’est vrai, les chiffres ont diminué. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, à la mi-avril de cette année, seuls 18 575 migrants et réfugiés sont arrivés en Italie, en Grèce, à Chypre et en Espagne en traversant la mer Méditerranée, contre plus de 200 000 en 2016.

Cinquième set: LHumanité met la Politique KO.

Ce cinquième set nes’est pas encore joué mais j’ose espèrer que ça viendra. Ne jetons donc pas nos tickets, on ne sait jamais.

En attendant ce cinquième set, laissez-moi vous poser cette question: qu’est-ce qui a fait que le nombre de migrants a diminué de manière aussi drastique? Est-ce que

(a) les conditions de vie dans leur pays ont été tellement miraculeusement améliorées qu’elles ont abandonné l’idée de partir;

(b) les images de personnes noyées dans la mer et les traitements cruels qu’elles subissent à leur arrivée en Europe ont convaincu les gens que cela ne valait pas la peine de faire le voyage; ou

(c) ils quittent toujours leur pays d’origine mais ils sont capturés, détenus, torturés et tués avant de pouvoir embarquer sur les navires des migrants?

Je n’ose pas répondre à ça !!

Quelle leçon tirons-nous de cet article ? Eh bien, lorsqu’un étranger aide un enfant de l’autre côté de la rue ou des personnes âgées avec des sacs d’épicerie, cela s’appelle un acte de bonté aléatoire. Certains disent que ce genre de choses ne se produisent plus, que le monde est devenu trop égoïste pour ça.

Je suis heureux que les habitants de Lampedusa et les personnes extraordinaires qui ont créé et géré les missions de sauvetage en mer nous prouvent que l’altruisme n’est pas tout à fait mort.

Ils n’étaient pas obligés de sauver ces migrants, mais ils ont bravé les eaux si cruelles et défié les politiques les plus intransigeantes pour donner espoir à des milliers de migrants africains qui ont fait le voyage périlleux à travers la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure.

Le flux de migrants arrivant en Europe a peut-être ralenti mais la crise est toujours en cours. Nous prions pour que l’histoire renverse son cours et que l’humanité soit la seule réponse possible face à une tragédie de cette ampleur.

En ce qui concerne les migrants qui se rendent de l’autre côté de la mer, j’espère que leur moral ne sera pas brisé par l’accueil cruel dont ils font l’objet et ne seront pas découragés de poursuivre leurs rêves. Et j’espère que ces petits enfants que je vois être sauvés des eaux grandiront pour devenir des médecins, des avocats, des artistes, des écrivains. Et des historiens, beaucoup d’historiens, pour nous aider à comprendre ce mouvement et empêcher le monde d’effacer leur indifférence honteuse ou de réécrire en leur faveur cet épisode troublant de notre histoire collective!

Félicitations pour votre contribution à l’Héritage de l’Afrique, Sauveteurs de la Méditerranée et population de Lampedusa et des villes Européennes qui ont reçu les migrants à bras ouverts, se sacrifiant pour eux sans rien attendre en retrou! Nous vous devons beaucoup! #BeTheLegacy #WeAreTheLegacy # Mandela100 #UMURAGEkeseksa

Contributeurs

Um’khonde P Habamenshi
Lion Imanzi