La capacité de rêver au-delà des traumas

Imaginez que vous étiez deux frères nés au sud du Soudan dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Imaginez que la guerre éclate, et que vous êtes tous les deux kidnappés, mais à des moments différents, et forcés de devenir des enfants soldats. Parviendrez-vous à partir et à commencer une nouvelle vie? Et si vous le faites, la guerre vous laissera-t-elle partir ou – comme c’est souvent le cas – vous rattrapera-t-elle et prendra tout ce que vous avez?

Aujourd’hui, vous me permettrez de vous raconter non pas une destinée extraordinaire, mais deux. Je suis inspiré par John Mac Acuek et son frère cadet Deng Thiak Adut. John et Deng sont respectivement nés en 1972 et 1983 dans une famille Dinka, dans un village près du Nil, au Soudan du Sud.

#EnfanceVolée Deux ans environ après le début de la deuxième guerre civile soudanaise, une des plus longues et plus meurtrière guerres d’Afrique, John Mac a été enlevé par l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) et enrôlé de force. Il n’avait que 13 ans. Son frère Deng connu le même sort quelques années plus tard, à peine 6 ans d’âge.

Les enfants étaient endoctrinés et drogués avec du khat, une plante excitante très populaire en Afrique de l’Est, pour en faire des machines à tuer. Il est estimé que 19,000 enfants ont été enrôlés de force par les diverses factions armées tout au long de la guerre du Soudan.

John Mac n’a jamais accepté ce destin terrible et il s’est échappé quand il a eu une chance. Au lieu de fuir aussi loin que possible de la zone de guerre, John alla à la recherche de son cadet. Lorsque les deux frères se sont retrouvés, ils avaient été séparés pendant près de 10 ans et Deng avait déjà 12 ans!

Comme ils risquaient d’être fusillés si les rebelles rattrapaient les « déserteurs » qu’ils étaient, John Mac et Deng se sont enfui au Kenya au lieu de retourner à leur village natal. Ils ont trouvé refuge dans le camp de réfugiés de Kakuma, où ils vécurent plusieurs années. John Mac a retrouvé et épousé une amie d’enfance et leur premier fils est né dans le camp.

Leur destin allait changer en 1997, quand ils rencontrent Christine Harrison. Mme Harrison était une travailleuse humanitaire australienne qui, avec son mari Bob Campbell, s’étaient promis de ‘sauver un réfugié’. Quand ils ont rencontré John Mac et les siens, ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient les séparer et en choisir un seul. John Mac a plaidé avec le couple de leur donner une chance et les aider à venir vivre en Australie

Christine Harrison et son mari Bob Campbell ont cherché les moyens et sponsorisé toute la famille. En juin 1998, John Mac Acuek, son épouse Elizabeth, leur bébé Joshua et son frère cadet Deng ont débarqué à Sydney, en Australie. Leurs seuls biens étaient les vêtements qu’ils portaient et les effets du nourrisson. Ils n’étaient que la troisième famille de réfugiés sud-soudanais à s’installer en Australie. Bien que s’adapter à cette nouvelle culture et cet environnement étranger et étrange n’aie pas été facile au départ, Deng devait partager plus tard qu’ils se sont senti en sécurité pour la première fois depuis leur enfance.

#JohnMac John Mac, un jeune homme très intelligent qui parlait sept langues, a pris des cours par correspondance et a passé avec succès les examens de fin d’études secondaires. Il a poursuivi ses études à l’Université de Western Sydney, obtenant une licence en anthropologie et développement international. Acuek a été le premier Soudanais à obtenir un diplôme universitaire en Australie.

Malgré cet exploit académique, le marché de l’emploi australien ne l’a pas accueilli à bras ouverts. Acuek rêvait de faire un travail humanitaire ou de maintien de la paix, mais tout ce qu’il pouvait trouver c’était des emplois d’usine, en tant qu’ouvrier. Désabusé, incapable d’offrir à sa famille une vie meilleure, le plus âgé des deux frères a décidé de retourner dans son pays natal. Il espérait pouvoir trouver quelque chose de significatif à faire dans ce pays sien qui avait perdu 2 millions de personnes dans une guerre impitoyable.

Cette séparation douloureuse avec sa famille n’était pas en vain. John Mac a enfin pu réaliser son rêve de travailler dans une ONG internationale s’occupant des réfugiés et de personnes déplacées.

#DengAdut Deng Adut était aussi déterminé que son frère aîné. Comme il n’avait jamais été à l’école jusqu’à son arrivée en Australie, Deng s’apprit lui-même à lire et à écrire en anglais. Il travaillait la journée et étudiait toutes les nuits.
Comme son frère avant lui, Deng a passé avec succès les examens de l’enseignement secondaire et, en 2005, il a remporté une bourse d’études à l’Université de Western Sydney. Son frère l’avait poussé à étudier le droit, car il était un jeune homme «qui aimait trop discuter». Adut a obtenu un baccalauréat en droit, avant d’enchainer avec une maîtrise en droit pénal à l’Université Wollongong et une deuxième maîtrise en gouvernance internationale à la WSU.

Contrairement à John Mac, le jeune avocat a tout de suite trouvé du travail dans son domaine dès la fin de ses études. Mais aucun de ces cabinets ne lui donnaient l’opportunité de réaliser un de ses plus grands rêves. Depuis des années, Deng aspirait à se mettre au service de la communauté soudanaise d’Australie car il savait qu’elle été souvent démunie face à tant de difficultés dans tous les domaines de la vie. « Ceux qui sont en marge de la société, ce sont des gens qui me ressemblent. Nous sommes assis à la même table. Je dois les protéger. Je dois exprimer leurs préoccupations. Je dois les écouter. »

En 2014, il finit par se lancer et créer son propre cabinet avec un ancien camarade de l’école de droit. Il décida de baser AC Law Group à Blacktown, le quartier où il avait vécu depuis qu’il a immigré en Australie. Deng et son cabinet ont rapidement acquis la réputation d’être les avocats des démunis, de ceux qui ne peuvent pas toujours se permettre de s’offrir une représentation légale de qualité. Imaginez qu’ils vont jusqu’à traiter 40% des dossiers gratuitement !

Bien que son dévouement pour sa communauté l’aie fait connaitre dans le monde de la justice, c’est un évènement hors des tribunaux qui lui a donné la notoriété nationale et internationale dont il bénéficie aujourd’hui. Un évènement qu’un ancien enfant soldat n’aurait jamais pu anticiper : le succès fulgurant d’une courte vidéo sur la vie d’Adut et ses retrouvailles avec sa mère, qui vivait encore dans leur maison natale au Soudan du Sud. La vidéo ‘Deng Thiak Adut Illimité’, produite en 2015 par son ancienne université, est devenue virale dès qu’elle a été mise en ligne! A ce jour, la vidéo de WSU a été visionnée 2,7 millions de fois!

En 2016, Deng Thiak Adut publie son autobiographie, «Chants d’un Enfant de la Guerre » (Songs of a War Boy), qui devient rapidement un best-seller. La même année, Adut a reçu la médaille du président de la Law Society of New South Wales 2016.

La consécration a eu lieu en janvier 2016, lorsque Deng a été invité à donner l’adresse de l’Australia Day 2016, l’équivalent du discours officiel de la Fête d’Independence dans la plupart de nos pays!

Deng, qui à ce jour est encore tourmenté par les souvenirs tragiques de son enfance volée et qui a depuis longtemps accepté qu’il ne pourra jamais vivre sans ses cauchemars, a décidé d’offrir à son audience l’espoir plutôt que les échos des ténèbres. Dans son discours passionné, intitulé «Libre de toute peur » (Freedom from Fear), Deng a appelé les migrants à toujours se rappeler et chérir là d’où ils viennent.

« Vous devez avoir un rêve qui vous aide à transcender tous vos traumatismes et tourments du passé. Vous êtes spécial pour cette nation et vous devriez écouter votre cœur et saisir les opportunités.”

L’année dernière, le Premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud a annoncé que Deng Thiak Adut, 34 ans, un ancien enfant soldat et réfugié qui a émigré en Australie moins de 20 ans auparavant, représentait l’excellence Australienne même, et à ce titre était nommé ‘Australien de l’année 2017’!

#TragédieFamiliale Cela me peine énormément de devoir vous révéler que Deng n’a jamais eu la chance de partager son ascension extraordinaire dans la société australienne avec son frère aîné, l’homme qui a risqué sa vie pour le sauver de sa vie d’enfant soldat et à qui il devait sa nouvelle vie en Australie.

John Mac Acuek est tragiquement mort en 2014, au Soudan du Sud, abattu par des rebelles alors qu’il essayait de sauver des populations menacées. Ce conflit civil qui avait miné son pays depuis trois décennies , conflit qu’il avait fui 16 ans plus tôt avant d’y revenir dans l’espoir de faire la différence, avait finalement eu le dessus. John Mac n’avait que 42 ans, laissant derrière sa veuve, Elizabeth, et leurs cinq enfants.

Profondément secoué et révolté par ce tour cruel du destin, Deng a décidé de mettre sur pied une fondation pour perpétuer l’héritage de son frère. La Fondation John Mac s’emploie à éduquer et responsabiliser les réfugiés et autres personnes dont la vie a été interrompue par la guerre. Elle essaye de résoudre certains des problèmes qui ont freiné John pendant sa vie. Ainsi, la Fondation a mis en place un programme de Bourses d’Etudes pour les réfugiés et autres groupes défavorisés.

A travers cette organisation à but non lucratif, Deng essaie de donner aux autres les mêmes opportunités qu’il a reçues « afin qu’ils puissent aller travailler dans leur communauté et se sentir comme des Australiens à part entière ».

Merci pour vos contributions inestimables à l’héritage de l’Afrique, Deng! Merci d’avoir porté et de continuer à porter haut et forts les couleurs africaines, avec fierté et dignité! #BeTheLegacy #WeAreTheLegacy#Mandela100 #UMURAGEkeseksa

Contributeurs

Um’Khonde Habamenshi