RWANDA : la DGSE et le FPR: naïveté ou compromission?

Analyse du témoignage de l’ancien directeur de la DGSE devant la mission parlementaire française d’Information sur le Rwanda, à Paris le 8 juillet 1998).

Une campagne médiatique savamment et puissamment orchestrée se développe en France depuis plusieurs semaines et s’intensifie à l’approche du XXV° anniversaire du génocide rwandais. Se multiplient articles de presse, colloques très entre soi où nulle opinion contraire n’est admise, déclarations tonitruantes et pétitions diverses sur fond d’anathèmes et d’incantations dépourvues de toute assise factuelle. Cela s’appuie souvent sur des extraits de documents établis par la DGSE auxquels, comme c’est généralement le cas dans ce dossier, on fait dire à peu près ce que l’on veut.

 Cette exploitation des écrits de la DGSE lors de cette campagne de presse m’a amené à m’interroger sur les sources de la DGSE dans des billets précédemment postés sur mon blog Mediapart, intitulés respectivement « Quand la DGSE ne voulait rien voir »[1] et La Guerre des archives ou la guéguerre des services » [2].

 Mais , toujours soucieux de revenir aux sources, j’ai tenté de retrouver le compte-rendu du témoignage apporté le 8 juillet 1998 par l’ancien directeur de la DGSE devant les parlementaires chargés de conduire une Mission d’Information sur le Rwanda. Mais ce témoignage ayant été donné à huis clos, aucun compte-rendu n’en a été offert à la lecture du public dans le rapport final de la commission[3].

 Or, très curieusement, on trouve ce compte-rendu in extenso sur un site ouvert par un groupuscule manifestement attaché, pour ne pas dire acharné, à découvrir – ou à construire ex-nihilo – une quelconque culpabilité – pour ne pas dire n’importe quelle culpabilité – de la France au Rwanda :  http://www.francegenocidetutsi.org/

 Le compte rendu du témoignage de Claude Silberzahn apparait en cliquant sur le lien suivant >>>>

Je vous conseille sa lecture qui est édifiante. Pour celui qui a vécu au Rwanda l’essentiel de la période considérée, cette lecture est tout simplement ahurissante.

Mais avant d’aborder le fond du document une PREMIERE QUESTION  s’impose : Comment se fait-il qu’on trouve sur un site privé le compte rendu d’une audition effectuée à huis-clos alors qu’il ne figure pas dans le rapport officiel publié sur le site de l’Assemblée Nationale ? Qui a laissé fuiter ce rapport et dans quelles intentions ? Est-ce un compte rendu authentique? Nous ne saurions considérer que, offrant au public un document confidentiel qui apporte la preuve du contraire de ce qu’ils veulent démontrer habituellement, les gérants du site aient pris le risque de bidonner cette affaire. Ce document doit donc être considéré comme authentique !

A la lecture de ce texte, ayant été présent à Kigali de septembre 90 à septembre 93 , j’apprends que  la DGSE « n’avait eu aucun homme ni aucune infrastructure au Rwanda » au cours de cette période. J’apprends aussi que, dépourvue d’informations venant du Rwanda, la DGSE s’adressait aux services belges, considérant « avec confiance les informations provenant des services belges et se fondant, très naturellement[4], sur de telles sources pour rédiger en partie ses bulletins d’information».

A ce stade, les bras m’en tombent déjà et ce, pour deux raisons :

  • Il est inexact de dire que la DGSE n’avait pas d’homme ni infrastructure au Rwanda :   je croisais les personnels de ce service en allant au bureau chaque matin et ce , tout au long de l’année 1993 et probablement pendant une bonne partie de l’année 1992 ;
  • La Belgique ayant affiché dès octobre 1990, une posture assez différente de celle de la France, il eut pu paraître assez imprudent de se fier aveuglément aux renseignements que fournissaient ses services.

Poursuivant le lecture, je découvre que, un peu en contradiction avec ce qui précède, Claude SILBERZAHN indique que la DGSE avait conduit des  « missions d’intervalle » par l’envoi d’hommes au Rwanda, ce qui lui avait permis de faire son métier , avec du renseignement venu, non plus de Belgique mais d’Ouganda, cette fois ! Or, l’Ouganda et le FPR étant pour le moins liés, voire alliés : tout le monde avait vu en octobre 1990 que le FPR avait attaqué le Rwanda à Kagitumba en uniformes et avec les armes de l’armée ougandaise. Je ne me suis pas caché d’avoir découvert qu’un des camions qui avaient amené en février 1993 les troupes du FPR à l’attaque de Ruhengeri était un véhicule appartenant à la Police Militaire Ougandaise. Ce camion portait encore ses plaques d’immatriculation ougandaise et j’ai trouvé, dans la boite à gants, l’ordre de mission signé par le Lieutenant-colonel ougandais, commandant la Police Militaire Ougandaise précisant que le jour de l’attaque de Ruhengeri par le FPR, 8 février 1993, le véhicule était « In special duty ».

Que la DGSE aille puiser en Ouganda, avec la prudence qui s’imposait, des renseignements sur le FPR, on le comprendrait assez bien, mais qu’elle y ait recueilli sans discernement des éléments concernant aussi la partie gouvernementale rwandaise, semble beaucoup plus risqué. On ne s’étonne pas , dans ces conditions que la DGSE, puisant ses sources à Kampala, ait préconisé dès 1991 le retrait des militaires français du Rwanda dont la présence gênait d’une part, la prise de pouvoir en force à Kigali par le FPR, et d’autre part, la poursuite des objectifs fixés par le président ougandais MUSEVENI qui était de se débarrasser de ses encombrants compagnons rwandais en les renvoyant chez eux[5].

En clair, le contenu des bulletins d’information rédigés par la DGSE sur la base d’informations recueillies en Ouganda – et non recoupées – ne portaient que la voix du FPR ! On ne s’étonne plus dès lors de la suite de ce témoignage révélant que la DGSE « n’avait pressenti ni l’assassinat du président ni les massacres qui ont suivi. Il a toutefois précisé que les contacts entretenus au sein du FPR n’avaient pas non plus prévu ces événements ».  

Plus loin, Claude Silberzahn se déclare, contre toute évidence, certain de la fiabilité des informations fournies par le FPR, estimant que « si le FPR avait été au courant de la programmation de massacres au Rwanda, la DGSE l’aurait su car, les massacres visant la population tutsi, le FPR l’aurait inévitablement alerté » annonce fièrement, et très naïvement[1] celui qui fut pendant des années le patron du principal service de renseignement français. Il ne lui est pas venu à l’idée, ne serait-ce qu’un instant que, Kagame, soucieux de prendre par la force un pouvoir sans partage ne risquait pas d’alarmer une communauté internationale qui se serait théoriquement sentie contrainte à intervenir si elle avait perçu un quelconque risque de génocide.

 Aujourd’hui, mais c’était déjà le cas en 1998, le FPR et ses alliés tendent à prétendre que ces massacres avaient été planifiés de longue date et que la guerre déclenchée en octobre 1990 était une guerre de libération. C’est exactement le contraire de ce qu’il disait à la DGSE du temps de Silberzahn. Mais ce sont ces compte-rendu et ces mêmes rapports rédigés par la DGSE alors qu’elle était intoxiquée, voire même infiltrée, par la FPR[2]ainsi que l’a révélé Claude Silberzahn, que reprennent aujourd’hui ceux qui tentent de démontrer les soi-disant erreurs de la France

 Bien que le président Paul QUILES et certains parlementaires[3] se soient montrés lors de cette audition quelque peu sceptiques sur la fiabilité des renseignements fournis par le FPR à la DGSE, et bien que beaucoup des assurances données par le dit FPR à la dite DGSE avaient été déjà démenties entre 1993 et 1998, Claude SILBERZAHN a persisté dans sa confiance en les renseignements fournis par le FPR comme par l’Ouganda. Je laisse à tout un chacun le soin de qualifier un tel aveuglement, volontaire ou involontaire.

Quoi qu’il en soit, il est certain que la DGSE aurait été bien avisée de prendre avec davantage de précautions les soi-disant « renseignements » que lui fournissaient le FPR et l’Ouganda. Et certains aujourd’hui devraient, eux aussi, prendre avec davantage de prudence les écrits que la DGSE a rédigés sous la dictée du FPR. En effet, une conclusion s’impose : la DGSE n’ayant accordé aucune importance à ce conflit pourtant majeur pour toute l’Afrique des Grands Lacs, le seul renseignement fiable recueilli de 1990 à 1994 sur le Rwanda a été celui qui était fourni par la Direction du Renseignement Militaire (D.R.M.), bien qu’elle soit alors encore en gestation. Ce sont d’ailleurs les militaires français de la Mission d’Assistance Militaire près de la république rwandaise qui ont alerté sur les massacres de masse qu’entrainerait les offensives conduites par le FPR depuis l’Ouganda. Ils ont été les premiers, mais aussi les seuls, à le faire ….jusqu’à ce que, la victoire du FPR étant acquise à la fin du mois de juin 1994, certaines puissances se réveillent après plus de deux mois de génocide.

[1] On reste bouche bée en lisant dans ce même rapport, en 1998, après les massacres de masse commis par le FPR et la liquidation de tous les hutu modéres qui avaient cru en l’amitiè du FPR : que Claude  SILBERZAHN avance avec un certain aplomb que  « l’idéologie affichée par le FPR étant une idéologie visant à l’instauration de la démocratie et souhaitant une cohabitation pacifique. Il a rappelé que « le FPR en exil avait toujours prétendu qu’à son retour au pouvoir son principal objectif serait de fraterniser avec le reste de la population rwandaise ». 

[2] On ne s’étonnera pas non plus que Claude Silberzahn, principalement « renseigné » par le FPR,  n’ait jamais vu les anglo-saxons dans la zone de 1990 à 1993, contrairement à Louise ARBOUR et Carla del PONTE qui, au cours des années suivantes, les ont vus lorsqu’ils leur ont imposé l’impunité totale pour le FPR et pour Kagame :  

[3] On notera dans cette audition l’interrogation un tant soit peu ironique du député J. Myart sur la fiabilité de la « bourse d’échange » avec les pays « amis », aux intérêts concurrents de ceux de la France….

 [4]   C’est nous qui soulignons !

[5] On se souvient en effet que le retrait des troupes françaises du Rwanda a été une condition sine que non pour que le FPR signe les accords de paix du 4 août 1993. Le FPR s’est ensuite opposé à toute présnece française au sein de la MINUAR puis au déclenchement de  ’opération Turquoise

[6] On reste bouche bée en lisant dans ce même rapport, en 1998, après les massacres de masse commis par le FPR et la liquidation de tous les hutu modérés qui avaient cru en l’amitié du FPR : que Claude  SILBERZAHN avance avec un certain aplomb que  « l’idéologie affichée par le FPR étant une idéologie visant à l’instauration de la démocratie et souhaitant une cohabitation pacifique. Il a rappelé que « le FPR en exil avait toujours prétendu qu’à son retour au pouvoir son principal objectif serait de fraterniser avec le reste de la population rwandaise ». 

[7] On ne s’étonnera pas non plus que Claude Silberzahn, principalement « renseigné » par le FPR,  n’ait jamais vu les anglo-saxons dans la zone de 1990 à 1993, contrairement à Louise ARBOUR et Carla del PONTE qui, au cours des années suivantes, les ont vus lorsqu’ils leur ont imposé l’impunité totale pour le FPR et pour Kagame :  

[8] On notera dans cette audition l’interrogation un tant soit peu ironique du député J. Myart sur la fiabilité de la « bourse d’échange » avec les pays « amis », aux intérêts concurrents de ceux de la France….