Jamais ce peuple n’avait si bien porté son nom : « les hommes intègres ». Le temps de quelques manifestations, les Burkinabè ont refusé toute compromission avec un criminel qu’ils avaient supporté et toléré vingt-sept ans durant au sommet de leur état! Trop c’est trop, les entendait-on crier dans les rues, bravant la brutalité de certains militaires qui croyaient encore qu’ils pouvaient arrêter un peuple décidé de mettre fin aux distractions d’un dictateur. Tapi quelque part au milieu de sa garde, l’assassin de Thomas Sankara (de Jean-Baptiste et de Lingani et Henri Zongo) croyait de son côté qu’une fois encore, il allait s’en sortir et se moquer de tout le monde. Il a juste oublié que les temps ont changé et qu’on n’était plus en 1987… Il est encore trop tôt pour tirer toutes les leçons de cette cécité doublée d’ivresse qui guide nos présidents, mais d’ores et déjà, la fierté est là. Pour toute l’Afrique.
Fierté, mais aussi soulagement. Comment en effet ne pas savourer ce moment en sachant que ce bandit ne sévira plus et que l’âme de T. Sankara ainsi que celle du journaliste N. Zongo reposeront désormais en paix. Et comme un clin d’œil du destin, c’est au mois d’octobre qu’il avait fait exécuter son prédécesseur et c’est encore un mois d’octobre que choisit le peuple pour vomir ce sanguinaire convertit en chef d’état. Lorsque viendra le mois de décembre (anniversaire de l’assassinant de Zongo), il n’y a qu’à espérer que Blaise Compaoré aura complètement disparu de la scène politique et du Burkina Faso et de l’Afrique entière. Et dire qu’il avait malicieusement réussi à se faire désigner médiateur dans une crise dont il était pourtant l’un des acteurs ! (Souvenez-vous de ses accointances mafieuses avec un autre sanguinaire, le libérien Prince Johnson).
Les événements au Burkina sont là également pour rappeler la fragilité des dictateurs. Ces monstres n’ont en effet qu’une seule arme : faire peur au peuple. Une fois que ce dernier décide de siffler la fin de la partie et d’y consentir les sacrifices nécessaires, la peur change immédiatement de camp. Chez Compaoré c’est caractéristique : en pleine opérations de coup d’état d’octobre 1987, il a été reporté que ce lâche braillait ses ordres macabres à partir d’un appareil prépositionné à l’aéroport de Ouagadougou, prêt à décoller en cas d’échec de son putsch… On l’a par la suite vu mentir comme un gamin à la télévision, expliquant maladroitement son forfait. Ce n’est que des années plus tard qu’il prendra confiance en lui, profitant entre autres des situations chaotiques de ses voisins du Libéria, de Côte d’Ivoire et du Sierra Leone.
Mieux que ce rappel, le soulèvement des Burkinabè met en garde les politiciens de l’opposition. Le message leur adressé peut ainsi être résumé : « unissez-vous et faites partir le dictateur ou nous prendrons les choses en main le moment venu ». En 2005, Compaoré avait « gagné » la présidentielle et son parti les législatives uniquement parce que les opposants étaient divisés et immatures. Las, le peuple a décidé de ne plus s’en laisser conter. Pacifique, mais souverain, il a dit « non » au projet de monarchisation du régime Compaoré. Le referendum qu’on lui a volé, il se l’est octroyé non pas via les urnes, mais au travers des marches et manifestations dans les rues de leur pays. A bon entendeur, salut donc…
Via leur contestation enfin, les Burkinabè en apprennent beaucoup à tous ces illuminés qui entourent nos présidents et qui les caressent jour et nuit dans le sens du poil, leur mentant que le peuple est derrière eux à cent pour cent. RDC, Burundi, Ouganda et Rwanda feraient donc mieux de réfléchir avant de s’aventurer dans des tripatouillages constitutionnels qui risquent de créer plus de problèmes qu’ils n’en résoudront. Il n’existe pas d’homme providentiel, fût-il Compaoré ou… Kagame, Kaguta ou Kabila. Et qu’ils arrêtent de faire peur en prétextant que le peuple n’en voit pas d’autres pour gouverner. C’est faux, absolument faux. Le traumatisme des guerres et autres tragédies dont ils sont d’ailleurs coresponsables ne devrait non plus servir de chantage pour qu’ils s’éternisent là où ils n’ont que trop durer. Alors Burkinabè le temps de faire partir un sanguinaire ? Oui et fier de l’être.
Cecil Kami