La mort des Politiciens de la Première République. Le témoignage du Colonel Serubuga accable le haut commandement des FAR

J’ai pris connaissance et lu avec beaucoup d’intérêt et d’attention l’article que le Colonel Serubuga a publié en réaction à l’article du Dr Seth : « La mort des politiciens de la première République est à la base des antagonismes entre les Abakiga et  les Abanyenduga ».

Selon le Colonel Serubuga « une mauvaise connaissance des circonstances de la mort de ces Politiciens est à l’origine de toutes les  suspicions. La diffusion des résultats d’enquête du magistrat instructeur qui a traduit les coupables devant les juges permettrait de connaître la vérité et de dissiper tous les malentendus ». Là est le sens de son intervention : faire connaître la vérité, pour permettre à la nation de se sortir de ce bourbier de notre histoire récente.

Il dit aussi témoigner pour les victimes et leurs familles : «face à ce drame qui a endeuillé les familles des victimes et blessé profondément l’Etat, celles-ci ont droit de connaître la vérité ». Malgré le caractère très tardif de cette reconnaissance, je voudrais le remercier vivement pour cette attitude pleine de courage et d’humanité. Que quelqu’un comme lui, qui a joué un rôle majeur dans le coup d’Etat qui a provoqué la mort de ces politiciens et qui dans la suite a occupé de hautes fonctions au sein de l’armée rwandaise (le n°2)  se décide enfin à témoigner sur les faits graves qui se sont déroulés après ce coup d’Etat constitue sans aucun doute un événement majeur. C’est à la fois un geste de reconnaissance pour les nôtres et de condamnation des souffrances inutiles et injustes qui leur ont été infligées. C’est aussi un acte de soutien plus que symbolique, à notre initiative du 16 août 2014.

Mon Colonel, puissions-nous continuer à cheminer avec vous dans cette longue marche de recherche de la vérité et de lutte pour la reconnaissance du crime odieux qui nous a enlevé les nôtres. Et puisse votre initiative inspirer  tous ceux qui comme vous ont assisté aux premières loges à cette tragédie ou en ont été les acteurs d’une manière ou d’une autre.

L’article appelle un certain nombre de commentaires et de questionnements que je voudrais soumettre aux lecteurs dans les lignes qui suivent. Deux éléments du dit témoignage m’ont  particulièrement interpellé.

Le premier est  à mes yeux une révélation d’une importance capitale, car il montre  où, quand comment et par qui a été organisée l’extermination de ces prisonniers : soit au cours de la réunion d’Etat Major convoquée après les premiers décès.

Le deuxième concerne un fait qui revient souvent dans les discussions. Le rôle du commandant Théoneste Lizinde, des commandants de place et les directeurs de prison dans cette macabre entreprise.

LA REUNION D’ETAT MAJOR QUI A TOUT ORGANISE

Selon le Colonel Serubuga « Dès les premières arrestations, après plus ou moins trois semaines, décéda Narcisse Kalisa. L’information fut communiquée par télégramme radio au réseau de l’Armée. L’information fut orientée pour suite appropriée aux autorités compétentes…. A peine une semaine après décédèrent Jean Gakire et  Gasamunyiga Ferdinand (Melchior était son vrai prénom, NDLA). L’information fut de nouveau communiquée également par message radio via le réseau radio de l’Armée par le commandant de la compagnie de Gisenyi…  Le capitaine Nyamwasa de permanence ce jour sollicita une réponse à réserver à de tels messages.  Le chef d’Etat Major lui ordonna de convoquer une réunion d’Etat Major pour étudier cette question de la sécurité des transmissions. La réunion convoquée se tint le lendemain. Il fut décidé d’interdire aux commandants des compagnies Gisenyi et Ruhengeri de transmettre de tels messages par le réseau de l’Armée. Le chef d’Etat Major en même temps ministre de la Défense nationale et Président de la République promit lors de la réunion qu’il allait actionner son cabinet pour se concerter avec le Ministre de la justice afin d’édicter des directives claires devant régir les missions des militaires au près de ces prisonniers.

Dans les trois jours suivants, le Ministère de la Défense Nationale communiqua les directives devant régir ces missions auprès de ces prisonniers.

En résumé ces directives répartissent les tâches en deux catégories :

  1. les prisons : des gardes aux entrées et de la défense physique (pourtour des bâtiments) et contrôles aux entrées (enregistrer les sorties et entrées).
  2. Les escortes: fournir les escortes et les moyens logistiques requis.

Les hommes affectés aux gardes et aux escortes doivent établir des rapports de mission à l’issue de leur faction »

Ce passage est une révélation de grande importance, car il clarifie beaucoup de choses : Trois prisonniers viennent de décéder en un mois. Des hommes jeunes qui ne souffraient d’aucune maladie. N’ayant pas été jugés, ils sont présumés innocents. Après leur décès, l’Etat Major se réunit en présence du Président de la République, et de son chef d’Etat major Adjoint, non pour en examiner  les circonstances  ou  prendre des mesures visant à prévenir les décès des autres, mais «pour étudier la question de la sécurité des transmissions » !!! Cette réunion décide entre autres « d’interdire aux commandants des compagnies Gisenyi et Ruhengeri de transmettre de tels messages par le réseau de l’Armée ».

Que faut-il penser de ceci déjà ?

1) Que la mort de ces personnes ne dérange personne  et semble plutôt aller dans le sens voulu des choses. Ce qui dérange c’est la sécurité des transmissions.

2) Que d’autres décès vont se produire dans les jours qui suivent

3) Qu’il ne faudra plus en parler.

Comment comprendre autrement cette décision bizarre d’Etat Major ? On ne se préoccupe pas de morts d’hommes, mais de comment il faudra sécuriser les communications concernant les décès à venir !

En tout état de cause, aucune responsabilité n’a été établie, personne n’a été inquiété. Et les familles n’ont pas reçu les dépouilles des leurs. Dans la suite les décès vont s’accélérer sans que rien ni personne ne vienne leur faire écho. C’est le black out total. Pour cause, il a été organisé. Les  directives du ministère de la défense vont dans ce sens :

  • Les communications rapides et directes avec les moyens de l’armée sont interdites :

« Il fut décidé d’interdire aux commandants des compagnies Gisenyi et Ruhengeri de transmettre de tels messages par le réseau de l’Armée ».

  • A la place à une longue procédure de rapports rédigés par des sous-fifres, rapports qui ne seront pas faits ou n’arriveront jamais à destination :

Les hommes affectés aux gardes et aux escortes doivent établir des rapports de mission à l’issue de leur faction ». A quoi auraient d’ailleurs servi ces rapports   si ce n’est à faire la comptabilité de ceux qui ne sont plus et ceux qui restent ? Les réactions face aux décès de Kalisa, Gakire et Gasamunyiga me poussent à un tel raisonnement

  • La prison est isolée du monde extérieur :

« Des gardes aux entrées et de la défense physique (pourtour des bâtiments) et contrôles aux entrées (enregistrer les sorties et entrées »).

  • Les prisonniers sont eux-mêmes empêchés de tout contact avec l’extérieur, même avec des membres de leurs familles ;   leurs sorties sont bien encadrées, par des escortes désignées à cet effet.
  • Un escadron est spécialement monté pour ces prisonniers. Soit des hommes en mesure de remplir la tâche que nous connaissons tous.

Je  dis ceci en me basant sur cette phrase que je retrouve dans l’écrit du Colonel : « Tout autre militaire de l’Armée, même membre de famille, voulant accéder à ces prisonniers devait se munir d’une autorisation écrite du Procureur de la République »

Serubuga ne croyait pas si bien dire quand il a écrit : « la mort de ces personnes aurait été facilitée par ce black out sur leur information ». Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point. Mais ce black out n‘est pas le fait des directeurs de prisons et du chef des services de renseignements comme lui veut l’insinuer, il a été pensé et mis en place par les plus hautes autorités du pays et de l’Armée suite à cette fameuse réunion d’Etat Major ; selon une architecture que le Colonel nous décrit si bien et que j’ai fidèlement  retranscrite et explicitée.

Après ce témoignage du Colonel Serubuga, on peut très difficilement continuer à affirmer que la responsabilité de l’armée et de  sa plus haute hiérarchie n’est pas engagée dans cette affaire. Beaucoup le pensaient, en étaient convaincus, ils en ont maintenant la preuve.

LE ROLE DU COMMANDANT THEONESTE LIZINDE

Il  manque pour reconstituer cette machine de la mort une pièce importante. Elle se trouve dans la réponse à la question que le Colonel Serubuga  se pose vers la fin de son écrit : « la question posée est de savoir quand, pourquoi et comment les directeurs de prison se sont trouvés sous l’autorité directe du service central de renseignement, alors que c’était le rôle du Procureur. Quand ce dernier a-t-il délégué ce pouvoir et qu’a-t-il fait exactement ?

Mon Colonel, la réponse est sous vos yeux, vous l’avez-vous-même apportée au début de votre écrit. Je cite : Le chef d’Etat Major en même temps ministre de la Défense nationale et Président de la République promit lors de la réunion qu’il allait actionner son cabinet pour se concerter avec le Ministre de la justice afin d’édicter des directives claires devant régir les missions des militaires au près de ces prisonniers.

Après avoir écrit ceci, comment peut-on poser la question de savoir comment le chef des services de renseignement est devenu le patron des directeurs de Prison ? Eh bien mon Colonel, il y a des gens qui font ce qu’ils promettent. Juvénal Habyalimana, le ministre de la défense avait promis que lui et son Collègue de la justice allaient  « édicter des directives claires devant régir les missions des militaires au près de ces prisonniers ». Ils l’ont fait. Où est le problème ? Qu’est-ce qu’il y a de difficile à comprendre ? Le commandant Lizinde n’est pas devenu seulement OPJ à compétences générales, il est aussi devenu maître à bord avant Dieu dans les prisons de Gisenyi et Ruhengeli. Avec la bénédiction du Président de la République qui a dû dans ce cas donner des injonctions à son ministre de la justice. Vous pensez bien qu’un Procureur de la République, fut-il Kavaruganda, ne peut pas décider une chose aussi sensible, ni un ministre surtout quand c’est Bonaventure Habimana. Ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Mais ils en ont quand même été récompensés, l’un par une place symbolique de n°2 du Pays et l’autre par une place de Président de la cour constitutionnelle.

Mon Colonel, après les révélations que vous avez faites, il n’est plus besoin de chercher à savoir si Lizinde et ses directeurs de prison furent ou non les seuls responsables de cette œuvre macabre. Ceci nous ramène aux résultats de cette fameuse enquête d’instruction dont vous dites qu’il apporte la preuve que c’est Lizinde  qui a tout organisé avec la complicité des directeurs de prison, et des commandants de place. Et que vous, vous n’avez  jamais rien su.

Cette assertion est en contradiction avec tout ce que vous avez écrit et que je viens de développer dans les lignes qui précèdent. Mais si vous le souhaitez, j’apporterai aussi trois autres raisons qui montrent que ce raisonnement est   irrecevable.

1)      l’importance  des prisonniers concernés. C’était un dossier sensible qui comme vous avez pu le démontrer vous-même justifiait une réunion d’Etat Major en catimini. En présence du chef de l’Etat en  personne.

2)      L’organisation hiérarchique rigide des ex Far au profit du chef de l’Etat qui organisait tout, décidait de tou,t supervisait tout, aidé en cela par ses chefs d’état major adjoints.

3)      La présence à Ruhengeli (en face même de la prison (collineNyamagumba) du propre frère de la femme du Président, le fameux Z Il dirigeait tout, contrôlait tout, savait tout dans cette ville.

D’ailleurs lors de ce procès, celui auquel Serubuga fait référence, Lizinde a réclamé haut et fort  une confrontation avec Habyalimana, son beau frère Zigiranyirazo et son chef d’état major adjoint Serubuga. Après ça il a été décidé de suspendre le procès et de le poursuivre  à huis-clos. Ceci n’a pas empêché les mis en cause de dire à qui voulait l’entendre qu’ils avaient exécuté des ordres venues de l’Etat Major voire de la présidence de la République, qui mettaient aussi à leur disposition les moyens dont ils avaient besoin et payaient les primes des soldats affectés aux exécutions. « Fournir les escortes et les moyens logistiques requis » (tâche n°2) sur  votre liste, mon Colonel.

Compte tenu de tout ceci, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que la plus haute hiérarchie de l’armée est le véritable architecte de l’œuvre d’extermination des politiciens Banyanduga, selon les modalités que nous venons d’expliciter : une  réunion d’Etat Major à laquelle participait le chef de l’Etat a déployé le parapluie à l’ombre duquel un Lizinde investi de tous les pouvoirs a  pu agir en toute quiétude et dans la certitude de l’impunité. Mais pour cela il fallait qu’il restet dans les rangs. Son insubordination  a offert à ses donneurs d’ordre une occasion en or de lui faire endosser toute la responsabilité, lors d’un procès dont le moins qu’on puisse dire à son sujet est qu’il ne fut pas équitable. Ce qui n’empêche pas le Colonel Serubuga de considérer ses conclusions comme la Vérité qui doit sauver les Rwandais.

Albert BIZINDOLI

Paris, France