Le chantage « génocide » du gouvernement rwandais est en train de perdre sa valeur

Par Eric Ngoga

L’article original est publié en anglais par Black Star News

En 1994, le Rwanda, un petit pays d’Afrique centrale, a connu une tragédie. Le 7 avril 1994 est une date très importante dans l’histoire du Rwanda car elle a marqué le début d’une période de 100 jours d’atrocités au cours de laquelle plus d’un million de vies ont été mises en avant sous le regard de la communauté internationale ou ont été détournées. Cette période s’est terminée par la victoire d’un groupe rebelle et d’un parti politique connu sous le nom de Front Patriotique Rwandais (FPR) qui dirige actuellement le Rwanda depuis 1994. Le FPR était et est toujours dirigé et composé principalement de personnes d’origine tutsie, en particulier dans les rangs militaires. Après avoir pris le pouvoir, le FPR dirigé par l’actuel président rwandais Paul Kagame a tout fait pour utiliser son nouveau pouvoir pour cacher ses crimes commis pendant une guerre de quatre ans pour s’emparer du pouvoir.

Pendant ces cent jours, le Rwanda a connu des atrocités à base ethnique. Il était clair qu’un génocide était en train de se produire au Rwanda. Cependant, à la fin de cette période sombre, la communauté internationale, le nouveau dirigeant du Rwanda Paul Kagame et le parti FPR, devenu gouvernemental, ont décidé de se concentrer sur un aspect de l’histoire : les massacres commis contre les Tutsis par une milice du nom d’Interahamwe composée d’extrémistes hutus. Pendant des années, les crimes commis par le FPR ont été ignorés et presque effacés de l’histoire.

Le Never Again ne peut pas être effectif sans la Justice pour toutes les victimes.

Par exemple, après le génocide, une cour pénale internationale mandatée par le Conseil de sécurité des Nations unies a été créée. Elle est connue sous le nom de Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), chargé de juger les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre janvier et décembre 1994. Cette période comprenait la période de trois mois au cours de laquelle le génocide a été commis. Toutes les personnes poursuivies et jugées par ce tribunal étaient issues de l’ethnie hutue et étaient toutes liées à l’ancien gouvernement défait par le FPR en juillet 1994. Toute personne qui était un haut fonctionnaire au Rwanda avant 1994 a été traitée comme un suspect et beaucoup ont finalement été inculpés et jugés au TPIR. Ceux qui ont été jugés au TPIR ont eu de la chance car un certain nombre d’entre eux ont été acquittés malgré le parti pris évident du tribunal en faveur du FPR et sa soumission au FPR dont les membres de haut rang auraient dû être poursuivis pour les atrocités qu’ils ont commises entre janvier et décembre 1994. Dans le même temps, tout intellectuel ou leader d’opinion de la communauté hutue du Rwanda était visé. Des milliers d’entre eux ont été emprisonnés sans jugement pendant de nombreuses années, tandis que d’autres ont été jugés par des tribunaux traditionnels sans juges ni avocats formés, connus sous le nom de tribunaux Gacaca. Après des procédures entachées de faux témoignages, de nombreux accusés ont été condamnés à des années de prison.

De cette façon, le gouvernement rwandais est sûr d’effacer la mémoire des Hutus tués pendant cette période

Les atrocités commises au Rwanda au printemps 1994 ont été reconnues comme un génocide par les Nations unies. Mais étonnamment, le gouvernement rwandais a lutté, utilisant tout son pouvoir et ses lobbyistes pour changer l’appellation de ces atrocités. Au début, ces atrocités ont été appelées le Génocide rwandais (Itsembatsemba n’itsembabwoko dans la langue locale Kinyarwanda). Mais après des années de travail acharné de la part du gouvernement rwandais, ces atrocités ont été rebaptisées Génocide perpétré contre les Tutsis. De cette façon, le gouvernement rwandais est sûr d’effacer la mémoire des Hutus tués pendant cette période. La communauté internationale ayant accepté ce dernier geste du gouvernement rwandais, il est devenu facile pour le FPR d’utiliser le génocide comme un outil d’oppression contre quiconque voudrait parler des massacres commis contre le peuple hutu ou quiconque parle des atrocités commises par le FPR. Bien sûr, cela a du sens car les personnes qui ont commis ces atrocités contre les Hutus sont des officiers de haut rang des Forces de défense du Rwanda, un nouveau nom pour les troupes du FPR.

Un quart de siècle a passé, et ces crimes commis par les soldats du FPR sont tenus sous silence par tous les moyens possibles. Le principal outil utilisé est le génocide, qui sert de chantage commode contre toute voix qui s’élèverait pour faire la lumière sur ces crimes. Quiconque ose mentionner qu’un génocide a également été commis contre le peuple hutu par le FPR est qualifié de négationniste ou de révisionniste. Ces deux étiquettes s’accompagnent de l’accusation de véhiculer l’idéologie du génocide, un crime mal défini qui fait que beaucoup de personnes se retrouvent dans les prisons rwandaises avec de longues peines. Ce crime est utilisé pour contrôler le discours sur les crimes commis par les hauts fonctionnaires au Rwanda. Le gouvernement rwandais et son lobbyiste ont réussi à conserver son récit par la contrainte, de sorte que les personnes qui ne connaissent pas le Rwanda croient simplement ce récit erroné. C’est comme si au Rwanda le mot génocide était devenu une marque de fabrique du FPR et du gouvernement.

Des réfugies rwandais de retour de la RDC en Juillet 1994

Un génocide est un crime horrible contre l’humanité qui doit être condamné par tous ceux qui en ont conscience. Mais dans le cas du Rwanda, les victimes des atrocités commises par le FPR attendent toujours que justice soit faite. Ces victimes et survivants espèrent que la communauté internationale finira par agir sur la base du bon sens et reconnaître ce qui se passe au Rwanda. La paix et l’unité affichés que nous voyons au Rwanda cachent un régime militaire qui règne par la terreur, dirigé par des soldats qui ont commis un génocide. Ces soldats n’ont pas peur de tuer pour faire taire tous ceux qui parlent de leurs crimes. Le monde doit agir sur leurs crimes passés ou ils continueront à tuer sans conséquences.

« que tous ceux qui parlent de génocide au Rwanda utilisent son récit qui a été conçu pour montrer les soldats du FPR comme des sauveurs en 1994 ; une déformation majeure de l’histoire »

Après avoir observé pendant de nombreuses années l’indifférence de la communauté internationale face à leurs souffrances, les Rwandais ont constaté que personne d’autre ne viendra raconter leur histoire. Personne ne viendra leur apporter l’espoir d’un Rwanda meilleur où chacun peut raconter son histoire, ce qui permettrait à tous les auteurs de ces crimes d’être connus et finalement tenus pour responsables de leurs actes. Heureusement, des voix ont commencé à s’élever, plus que jamais, pour dire haut et fort que les soldats du FPR ont pris pour cible et tué des personnes de l’ethnie hutue simplement parce qu’elles étaient hutues. Ces personnes font clairement savoir que leurs intentions sont de raconter leur histoire sans refuser à quiconque de raconter la sienne. L’intention principale n’est pas de rester silencieux, conformément à la volonté du gouvernement du FPR, qui fait tout son possible pour les réduire au silence et les faire vivre dans la clandestinité.

Le gouvernement du Rwanda veut être le principal canal pour raconter l’histoire du peuple rwandais de manière déformée afin qu’il efface les crimes commis par ses fonctionnaires et en sorte avec l’air innocent. Le FPR continue de promouvoir une vision très simpliste de la communauté rwandaise, où certains sont mauvais et doivent être surveillés, en affirmant que ces personnes veulent toujours tuer car elles sont imprégnées de l’idéologie du génocide, tandis que d’autres sont d’éternelles victimes et des proies qui doivent être protégées de leurs compatriotes. Le récit et le chantage du gouvernement du FPR soutiennent qu’un génocide peut se produire à tout moment au Rwanda s’il ne fait pas taire tous ceux qui prennent position contre sa propagande, sa répression et ses atrocités. Le pouvoir du FPR réside dans le fait que ses crimes doivent être oubliés à jamais et que tous ceux qui parlent de génocide au Rwanda utilisent son récit qui a été conçu pour montrer les soldats du FPR comme des sauveurs en 1994 ; une déformation majeure de l’histoire.

Mais 26 ans, c’est une longue période, et il n’est pas possible de faire taire les gens indéfiniment. Alors que le gouvernement rwandais affirme que parler du génocide hutu revient à nier le génocide tutsi, un groupe de jeunes Rwandais s’insurge pour donner une autre perspective sur la question. Ces jeunes préfèrent « ijoro ribara uwariraye », ce qui signifie que « la meilleure personne pour raconter sa propre histoire est celle qui l’a vécue« . Ces jeunes comprennent que tout le monde au Rwanda devrait avoir le droit de raconter son histoire et la responsabilité de laisser les autres raconter aussi leur histoire. Cette approche très intelligente enlève au FPR son pouvoir, car universellement, chaque Rwandais a le droit de raconter son histoire. Tout comme chaque être humain a droit à la justice, chaque Rwandais a le droit d’avoir quelqu’un à qui parler de son long voyage de souffrance et de résilience (inzira ndende). Plus important encore, chaque Rwandais est responsable de laisser les autres raconter leur histoire de la façon dont ils ont vécu et dont ils ont été témoins.

« La victime qui est capable de décrire sa propre situation n’est plus une victime : elle est devenue une menace.  » – James Baldwin.

Le génocide n’est pas une marque, ce n’est pas un simple mot, ce n’est pas un outil de gouvernance, ni même une chose simple qui devrait être utilisée sans précaution. Le génocide est une tragédie, avec beaucoup de victimes, où les survivants sont très fragiles en raison de la brutalité des auteurs. Les victimes ont besoin de parler de leurs histoires tragiques pour reprendre confiance en elles et en l’humanité. Les survivants doivent se souvenir de leurs proches qui ont disparu dans de si terribles souffrances. Le gouvernement rwandais, avec sa stratégie visant à faire taire les témoignages des membres du groupe ethnique hutu, poursuit un génocide contre ces personnes parce que l’une des dernières étapes d’un génocide est la négation de ce génocide. La prise de conscience, la responsabilité et la justice pour le génocide hutu sont aussi importantes que pour le génocide tutsi pour le bien des victimes et des survivants de ces génocides ; et pour construire un avenir pacifique durable. Les victimes du génocide hutu doivent être protégées et sont dignes de justice. La première étape pour y parvenir consiste à créer un espace ouvert où elles peuvent parler de leur histoire. De cette façon, après que chaque survivant ait été entendu, chaque victime humanisée et chaque auteur tenu responsable, nous ne pourrons plus JAMAIS revendiquer un génocide. Les jeunes Rwandais qui ont décidé de faire connaître ces histoires dans le monde entier par leurs témoignages malgré les dangers doivent être félicités et contribuent à un avenir où la justice sera rendue et où JAMAIS PLUS ne sera une réalité.

Eric Ngoga est un rescapé du Rwanda et un activiste des droits de l’homme.