Les USA vont-ils contribuer à l'ouverture de l'espace politique au Rwanda?

A peine une semaine après son affectation comme ambassadrice des Etats-Unis au Rwanda, Erica Jean Barks Ruggles a adressé une lettre ouverte à tous les Rwandais.

De Kigali où il habite, Boniface Twagirimana, premier-vice président du parti FDU-Inkingi, a saisi l’occasion pour souhaiter la bienvenue à la diplomate et pour la remercier de son geste rare pour un ambassadeur de s’adresser officiellement à toute la population du pays dans lequel il est accrédité. C’est un signe qui ne trompe pas que l’ambassadrice vient dans le cadre d’une amitié non pas seulement avec le gouvernement rwandais, mais aussi avec les Rwandais de tous les horizons, y compris ceux qui sont dans l’opposition politique.

Boniface Twagirimana rappelle à l’ambassadrice que la présidente du parti, Victoire Ingabire, croupit en prison pour avoir voulu exercé ses droits politiques. Les Etats-Unis en général et l’ambassadrice en particulier n’ont pas cessé de promouvoir, à travers le monde, l’émergence d’une société démocratique. Il garde espoir qu’il en sera ainsi pour le Rwanda qui a également besoin d’une paix prospère avec ses voisins mais également une paix avec lui-même car il y a beaucoup de griefs et de tensions qui, s’ils ne sont pas résolus, peuvent pousser le pays au bord du gouffre. Le gouvernement rwandais, au lieu de trouver des solutions par un débat politique ouvert, privilégie la coercition et la violence.

L’ambassadrice est connue pour sa défense acharnée pour l’égalité des chances et pour son engagement envers les valeurs de la démocratie et des droits humains, souligne le vice-président des FDU-Inkingi. Il se sent de ce fait encouragé à continuer de promouvoir ces valeurs, avec le risque que cela comporte.

Les États-Unis sont les plus grands bailleurs de fonds du Rwanda avec environ 180 millions de dollars chaque année. En contrepartie de ce fait et compte tenu de sa position politique et diplomatique dans le monde ainsi que les qualités personnelles et l’expérience de l’ambassadrice, Boniface Twagirimana relève que les USA ont l’occasion de jouer leur rôle légitime à prendre une initiative d’aider à la mise en place des institutions démocratiques fortes et indépendantes au Rwanda. Ce serait dans la ligne droite de la promesse faite par le président Barack Obama lors de sa visite en Afrique. Il a clairement opté pour aider les pays de ce continent à créer des institutions fortes et non des hommes forts.

Le représentant du parti FDU – Inkingi au Rwanda revient également sur le discours de l’ambassadrice Erica Jean Barks Ruggles au Mémorial du génocide à Gisozi.  Il a noté entre autres que l’ambassadrice est pour que :

– tous les Rwandais aient la voix au chapitre dans la construction de leur avenir, ce qui est également la vision de l’organisation politique FDU-Inkingi.

– l’on puisse examiner les causes et les problèmes sous-jacents pour s’assurer que les meurtres de masse ne se reproduisent plus au Rwanda. Si un Rwandais, fait remarquer Twagirimana, se hasarde à demander un tel débat, il serait simplement  accusé de nier ou de minimiser le génocide ou d’avoir l’idéologie génocidaire. Par ailleurs, poursuit-il, l’exemple le plus parlant est celui de la présidente du parti FDU-Inkingi, Victoire Ingabire Umuhoza, qui est en prison pour avoir dit que la réconciliation véritable ne peut venir que lorsqu’il y aura reconnaissance et justice pour toutes les victimes, sans discrimination.

L’ambassadrice a déclaré que son expérience en Afrique du Sud lui a montré le rôle important que peuvent revêtir des institutions démocratiques fortes, celles qui garantissent l’indépendance des tribunaux, la promotion d’une presse libre et une société civile dynamique. Ces entités peuvent jouer un grand rôle dans la sauvegarde et la construction des démocraties et des sociétés plus inclusives, plus tolérantes et plus stables. Twagirimana souligne qu’il y a concordance de points de vue car son parti considère que le cycle de la violence au Rwanda n’est pas le résultat de la haine entre Hutu et Tutsi, mais le manque d’un mécanisme pacifique et démocratique de la concurrence et du transfert du pouvoir. Les élites des deux communautés ethniques utilisent ainsi les griefs collectifs à mobiliser leurs propres groupes en vue d’accéder au pouvoir. Le problème est la mauvaise gouvernance et la violation des droits de l’homme comme l’a souligné récemment le rapporteur spécial de l’ONU Maina Kiai.

Bonifice Twagirimana se réjouit du fait que, lui et son parti politique ainsi que tous les défenseurs de la démocratie, ont une ambassadrice d’une telle poigne au Rwanda dans cette période cruciale de son développement politique. En effet, les détenteurs du pouvoir sont occupés à préparer le terrain pour changer la Constitution pour permettre au président sortant  Paul Kagame de se représenter pour un nouveau mandat après 2017. Il est dans la droite ligne de son mentor, le président Museveni, au pouvoir depuis 1986, et qui continue de s’accrocher au pouvoir. A l’exemple de Museveni, un référendum au Rwanda n’est pas à exclure et le résultat serait déjà connu dans un pays où le désaccord pacifique avec le parti au pouvoir est un crime.

Le vice-président conclut sa lettre en remerciant l’ambassadrice de sa politique de la porte ouverte à tout Rwandais et espère qu’il ne tardera pas à le recevoir pour un échange de vues sur cette évolution politique.

Gaspard Musabyimana
13/02/2015.

 

Lettre de B. Twagirimana/FDU-Inkingi à l’ambassadrice Erica Barks Ruggles

musabyimana.net