Manifester contre Kagame, et après ?

Il mérite d’être hué et conspué ; ne serait-ce que pour la puanteur de ses crimes. Il mérite d’être décrié et humilié ; pour que soient exposées toutes ses mensonges. Il mérite d’être inquiété lors de ses déplacements car c’est la seule façon de lui rendre la monnaie de sa pièce. Pour l’instant. Les manifestations anti-Kagame ont ainsi tout leur sens car c’est avant tout le droit d’un peuple à exprimer ses désaccords avec ses gouvernants, à fortiori lorsque ceux-ci ont adopté la dictature comme mode de gouvernement. Il n’y a donc pas de remords à avoir par rapport aux œufs pourris de Londres (et Toronto) 2013 et les clameurs de Bruxelles 2014. Cela étant et, le rideau tombé, une question reste : quelle suite donner à ces démonstrations ?

Les capacités organisationnelles et mobilisatrices des initiateurs de ces actions ne sont plus à démontrer ; il n’y a qu’à voir le nombre de plus en plus croissant de participants pour se rendre compte d’au moins deux choses : la peur de s’exposer s’estompe et les clivages entre partis politiques s’effondrent comme par magie, le temps de quelques slogans anti-dictature. Des convois seraient de ce fait venus des pays limitrophes de la Belgique pour aller grossir les rangs de ceux qui voulaient exercer le droit de dénoncer les pratiques d’un gouvernement qui n’a pas (ou plus) et leur confiance et leur sympathie. Presque tous les ténors de l’opposition y étaient aussi, méditant certainement le fait de n’avoir pas subi le sort d’Ingabire, de Mushayidi, de Ntaganda et de – nouveau symbole – Rugigana Ngabo.

Il serait donc dommage pour cette lutte de voir « les armes rangées », une fois la foule dispersée. Un observateur a ironisé en remarquant que « l’hostilité des manifestants s’exprimait à l’extérieur pendant que les choses sérieuses se décidaient sans eux, à l’intérieur ». Loin d’être une invite à la résignation, ce constat devrait plutôt pousser les concepteurs des manifestations anti-Kagame à envisager une étape supplémentaire ou du moins à se poser sérieusement quelques questions. Celle de savoir par exemple où se trouve la jeunesse lors de ces grands meetings. Est-elle à ce point apolitique ? Ce ne serait pas de bon augure pour la suite. Une autre question est de savoir pourquoi cette entente lors qu’il s’agit de manifester alors qu’idéologiquement rien n’est compatible entre la plupart de ces partis politiques d’opposition…

Tout naturellement, ces questions-là en emmènent une autre, beaucoup plus pressante : que faire ou comment faire pour porter cet esprit de lutte sur le terrain approprié, c’est-à-dire dans les villes ou les campagnes rwandaises ? La réponse toute faite a toujours consisté à dire qu’envisager pareille démarche équivaudrait à sacrifier des vies innocentes au Rwanda, mais n’est-ce pas là un aveu d’impuissance créative de la part des stratèges de l’opposition ? Deux exemples, l’une en Afrique, l’autre au Moyen orient, ont prouvé qu’une opposition bien coordonnée pouvait soulever tout un peuple malgré l’exil de ses dirigeants. Les parcours de Rouhollah Mousavi Khomeini et d’Oliver Reginald Tambo peuvent inspirer bien de manifestants de ce début d’avril à la place du Luxembourg.

A moins de ne laisser l’initiative qu’aux seuls tenants de l’option militaire et celle-ci fera sans nul doute beaucoup plus de dommages. Alors : manifester contre Kagame, oui. Et après ? S’endormir sur ses lauriers ou porter – par tous les moyens – les revendications là où l’impact sur la dictature sera direct et réel ?

Cecil Kami