Rwanda: la seule représentation des femmes au Parlement est insuffisante pour leur émancipation

« Pour émanciper les femmes rwandaises, nous avons besoin de changements culturels et économiques ainsi que dans leur représentation au parlement », estime Victoire Ingabire Umuhoza, Présidente du Parti DALFA-UMURINZI au Rwanda.

Par Victoire Ingabire Umuhoza
Présidente du Parti DALFA-UMURINZI

Les femmes représentent la majorité de la population du Rwanda et près d’un tiers ou 32% des ménages rwandais sont dirigés par des femmes. L’une des réussites du Rwanda au cours des dernières décennies est que le parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), a placé des femmes à des postes de prise de décision au haut niveau au sein du gouvernement. En effet, 61,3 % des sièges parlementaires et 55 % des postes ministériels sont détenus par des femmes.

Ces chiffres impressionnants témoignent de l’engagement du Rwanda en faveur de l’égalité des sexes, de l’autonomisation des femmes et de la promotion de leurs droits. La présence de tant de femmes dans la vie publique a également une valeur symbolique, qui a contribué à accroître le respect des femmes et à leur donner une voix plus importante dans la famille et au sein de la communauté.

En conséquence, aujourd’hui au Rwanda nous avons des cas de femmes qui ont brisé les stéréotypes de genre et effectuent des travaux qui étaient auparavant considérés comme réservés aux hommes, tels que la menuiserie, la conduite de camions, la maçonnerie, etc. Et pour la première fois dans l’histoire du pays, nous avons des femmes pilotes, des arbitres de football au niveau international, des chirurgiennes et des PDG.

Néanmoins, la majorité des femmes ordinaires que je rencontre et à qui je parle à travers tout le Rwanda disent qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour que les femmes atteignent le niveau réel d’influence dans la prise de décision, qui peut conduire aux changements qu’elles souhaitent.

83,4 % des femmes rwandaises travaillent dans le secteur informel et/ou occupent des emplois faiblement rémunérés, avec des revenus qui représentent en moyenne 60 % de ceux des hommes, selon le rapport 2021 sur l’écart mondial entre les sexes.Seulement 28,6 % du total des postes de responsabilité dans tout le pays sont occupées par les femmes. Un chiffre qui met en évidence la divergence entre le taux relativement élevé de participation globale à la population active et la représentabilité dans les rôles de prise de décision.

Le rapport national de statistiques sur le genre 2021 révèle également que la violence physique au Rwanda touche encore 36,7 % des femmes âgées de 15 à 49 ans.

Certaines décisions récentes du gouvernement ont, peut-être par inadvertance, fait le plus grand tort aux femmes. Par exemple, dans un effort de rendre la capitale, Kigali, plus propre et pour augmenter les contributions fiscales, les autorités de la ville ont ciblé les milliers de marchands ambulants – dont la majorité sont des femmes qui luttent pour trouver de quoi élever seules leurs enfants.

Depuis 2016, les marchands ambulants sont encouragés par les autorités à former des coopératives enregistrées ou à trouver un emploi formel, qui seraient tous deux soumis à l’impôt. Toutefois, cette politique a échoué. Les fonds publics destinés à aider les vendeurs de rue à former des coopératives ont été mal gérés par les autorités locales et, dans certains cas, des marchés construits pour eux, se trouvent loin de leurs clients.

Les vendeurs ambulants restent et sont toujours pourchassés, arrêtés arbitrairement, harcelés et battus par les agents de sécurité, des abus qui ont été critiqués par les organisations de défense des droits de l’homme.

Les femmes fragilisées par la pandémie

Par ailleurs, lorsque le gouvernement rwandais a décidé de fermer ses frontières avec le Burundi en 2015 et avec l’Ouganda en 2019 en raison des tensions politiques entre les gouvernements respectifs, suivi de l’imposition des mesures strictes pour lutter contre la propagation du Covid-19 en 2020, les activités commerciales ont été entravées et des emplois ont été perdus. Une fois de plus, les femmes ont été durement touchées, avec une diminution de 23 % de leur nombre dans le commerce d’exportation transfrontalier informel entre 2018 et 2021.

Il est important de noter que les femmes ont traditionnellement joué un rôle important dans le commerce transfrontalier informel. Ce secteur représente une source vitale de revenus pour les pauvres, en particulier pour les femmes à faible revenu et sans qualification, des districts frontaliers. C’est une activité importante pour l’éradication de la pauvreté chez les femmes, compte tenu du fait que les ménages dirigés par des femmes ont des taux de pauvreté plus élevés que les ménages dirigés par des hommes au Rwanda.

Selon la Banque mondiale, avant la pandémie de Covid, les femmes étaient déjà plus susceptibles d’être au chômage. Pendant la période de confinement, le Rwanda a enregistré une baisse de 10 % du taux d’emploi, avec une diminution plus importante de 6,2 % chez les femmes contre 3,8 % chez les hommes.

Un an plus tard, la Banque a constaté que la situation des femmes qui ont gardé leurs emplois avait considérablement changé, une plus grande proportion d’entre elles devenant des « travailleuses à leur propre compte », ou des travailleuses indépendantes, ce qui pourrait indiquer qu’elles se sont engagées dans l’économie informelle. En revanche, ce changement de statut n’a pas été aussi prononcé chez les hommes. Cette situation reflète les différences persistantes entre les sexes dans la structure de l’emploi au Rwanda.

La représentation des femmes au Parlement insuffisante pour leur émancipation

Alors que le gouvernement rwandais devrait être félicité pour avoir augmenté le nombre de femmes au gouvernement, les inégalités persistantes entre les sexes et les défis économiques auxquels la grande majorité des femmes sont confrontées rappellent que seule la représentation au Parlement n’est pas suffisante pour émanciper les femmes. Cela est d’autant plus vrai que seules les femmes issues de la classe de l’élite ont facilement accès à la participation politique au Rwanda.

Selon une étude de 2019, la majorité des femmes au parlement rwandais sont des membres du FPR ou de ses partenaires de la coalition politique. Et les femmes élues aux sièges spécifiquement réservés aux femmes ont été nommées, ou du moins avalisées par le FPR à travers le Forum des organisations politiques, un « organe consultatif » reconnu par la Constitution auquel tous les partis politiques doivent adhérer.

Ainsi, la plupart de ces femmes au parlement doivent leur allégeance au FPR plutôt qu’aux électeurs qui les ont élues. En tant que telles, ces femmes adhèrent à l’idéologie du FPR et la promeuvent, ce qui a un impact sur ce qu’elles soutiennent et défendent dans le processus d’élaboration des politiques.

Bien que ce soit la prérogative de tout parlementaire de choisir son allégeance politique, la structure sociale patriarcale et les valeurs culturelles du Rwanda tendent à soumettre les femmes au lieu de les émanciper. Pour changer cela, il doit y avoir un mouvement dynamique d’organisations de la société civile dirigées par des esprits neufs, qui œuvrent pour permettre aux femmes de s’affirmer afin qu’une fois qu’elles occupent des fonctions publiques, elles deviennent de véritables agents du changement.

En outre, le système politique rwandais devrait devenir plus inclusif et permettre aux voix dissidentes dont les opinions diffèrent de celles du parti au pouvoir de participer à la vie politique du pays. Non seulement cela apporterait des perspectives nouvelles et différentes sur les questions relatives à l’émancipation des femmes au Rwanda, mais cela favoriserait également un débat contradictoire au sein du Parlement et renforcerait l’État de droit.