Vendredi de Gratitude pour VOA, Agasaro Kaburaga

Par Ariane Mukundente

En l’an 2022, le prix Nobel de la paix a été attribué à un défenseur des droits humains le bélarusse Ales Bialiatski, ainsi qu’à deux organisations engagées pour la même cause, l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles. A l’orée de 2023, je vais attribuer mon prix de vendredi gratitude à une émission radio du service Afrique centrale de la Voix d’Amérique, Agasaro Kaburaga- [La perle manquante] [The Missing pearl].

Ce programme qui permet aux familles séparées pendant les années de guerre que le Rwanda a connu depuis 1990 aura permis en quelques 22 mois d’existence de retrouver une trentaine d’enfants et d’adultes, dont certains avaient été perdus de vue depuis plusieurs décennies. En 46 épisodes de 60 minutes chacune, l’animateur de l’émission, Venuste Nshimiyimana a déjà interviewé 368 personnes qui recherchent leurs familles.

J’ai personnellement eu le privilège de faire la voix off de la première « retrouvée » de l’émission Agasaro Kaburaga en mars 2021, Marceline Kamunazi, une belge d’origine rwandaise qui a été réunifiée avec sa famille après 29 ans de séparation. J’ai versé des larmes de joie. Je devais lire en Kinyarwanda dans l’émission de VOA, la lettre que Marceline [qui ne parle pas sa langue natale] venait d’adresser à son papa dont voici un extrait : « Papa, qu’il est bon de savoir que tu es là et qu’on peut renouer une relation après 29 ans grâce à des personnes qui sont remplie d’humanité. Je peux sentir tout ton amour dans ta voix mais je sais qu’il sera encore plus beau de te serrer un jour dans mes bras afin que tu retrouves enfin la paix. Personne n’avait le droit de m’arracher à toi, personne n’avait le droit de te prendre ton enfant. On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime alors je te dis « je t’aime Papa ! » signée Marcelline Kamunazi ». Bien dit! Agasaro Kaburaga est remplie d’humanité.

Marcelline, adoptée en Belgique sans que son père en soit informé aura ainsi ouvert la voie pour que d’autres enfants adoptées en Europe soient retrouvés. Ce programme qui a l’avantage de passer les dimanches après-midi est suivi par des milliers d’auditeurs dans la région des Grands Lacs africains. La plupart des enfants retrouvés ont été séparés de leurs familles pendant le génocide des Tutsi au Rwanda et d’autres, ont été perdus de vue quand les camps des refugiées dans l’Est du Zaïre ont été détruits, obligeant des centaines de milliers de réfugiés rwandais à se réfugier dans les forêts du grand Zaïre. Ceux qui ont survécus ont été rapatriés de force au Rwanda, laissant derrière eux leurs enfants errant sans défense et sans secours.

Certains enfants ont été rapatriés par le CICR et confiés au gouvernement rwandais qui les a ensuite placés dans des orphelinats. Certains d’entre eux, grâce à l’émission Agasaro Kaburaga retrouvent aujourd’hui leurs familles.

Des parents rwandais ramenés de force au Rwanda ont laissé derrière eux leurs enfants et n’ont eu le courage d’en parler et de les rechercher que 25 ans plus tard lorsque La Voix d’Amérique » a décidé de jouer véritablement son rôle d’être la voix des sans voix en créant une émission dont l’audience avait réellement besoin.

En seulement deux années d’existence, Agasaro Kaburaga est devenue planétaire : des Rwandais et des Burundais, de la diaspora, d’Europe, d’Amérique d’Asie et d’Australie se bousculent au portillon pour avoir quelques minutes de conversation avec le journaliste-vedette de VOA, Venuste Nshimiyimana, qui, grâce à ses talents d’« inspecteur Columbo », mais aussi d’écoute, permet aux enfants de retrouver leurs parents et vice-versa.

Tout commence fin 2020, lorsque Venuste Nshimiyimana clôture en apothéose une émission politique qui avait durée 12 mois, sur le coup d’Etat de 1973 au Rwanda a l’issue duquel une centaine de politiciens et d’autres agents de l’État avait été sauvagement tués par le régime du président Juvénal Habyarimana. Le journaliste d’investigation avait été alerté par une jeune femme, Agnès Kabarenzi qui avait été emprisonnée à l’âge de 24 ans et qui avait donné naissance en prison. Après avoir retrouvé l’enfant, aujourd’hui devenue médecin en Suisse, Mr. Nshimiyimana a cherché à savoir qui était le père de l’enfant. A l’issue de quatre mois d’enquêtes et des tests ADN effectués dans un laboratoire suisse, le journaliste a annoncé dans son émission, le nom du père de l’enfant née en prison, après 47 ans. Le docteur Christine Uwimana a remercié la VOA en ces mots » « Je ne savais pas comment [ma mère] elle avait été torturée ou maltraitée. … Je ne savais pas qu’elle avait vécu en enfer pendant encore trois ans après ma naissance », a déclaré Uwimana à VOA lors d’un entretien téléphonique avec la journaliste Carol Guensburg
« En fait, écrit Guensberg, Uwimana connaissait très peu sa mère. Le détective Nshimiyimana de VOA a changé cela », concluait son collège qui ne lui manquait pas d’éloges pour sa ténacité, mais surtout pour le cœur compatissant et attentif qu’il met au service des auditeurs qui espèrent enfin retrouver les leurs grâce à l’émission Agasaro Kaburaga que Venuste Nshimiyimana a eu l’ingéniosité de mettre sur pied et qui s’est aujourd’hui imposée comme le programme le plus populaire dans la région des Grands Lacs.

En préparant ce vendredi de gratitude, mes pensées sont allées à un brave rwandais, JMV Mundanikure qui révélait sur VOA, comment il avait extrait des corps sans vie un jeune garçon dont la famille venait d’être décimée en avril 1994. Le rescapé vit aujourd’hui au Canada. Des héros oubliés, que Agasaro Kaburaga a révélé au grand jour.

La VOA aura ainsi permis à ceux qui avaient enfui leurs douleurs dans leurs cœurs de faire le deuil, en confiant leur calvaire à Venuste Nshimiyimana dont le sens de l’écoute et de la compassion est sans pareil. Que du bonheur!

Une fois, une jeune femme originaire de l’ancienne préfecture Gisenyi, aujourd’hui Rubavu était venu dans l’émission de VOA pour rechercher les membres de sa famille perdus de vue au Zaïre, et quand le journaliste la remerciait pour sa participation tout en lui demandant de garder espoir de les retrouver, elle a répondu tout simplement mais d’une voie rassurée : « Maintenant que tu m’as permis d’égrener leurs noms, même si je ne les retrouve pas, j’aurais fait mon deuil ». Tout est dit ! Le deuil permet au cœur et à l’esprit de libérer de joug de la douleur et du désespoir.

Tellement mon cœur est rempli de gratitude en ce vendredi. Retenez que « la VOA a triomphé là ou les autres ont échoué », affirmait Madame Éveline Schmit, une métisse belgo-rwandaise, qui venait de passer 50 ans à rechercher sa famille au Rwanda. En deux mois, grâce à son tact légendaire, ses talents d’enquêteurs et à sa voix de velours, Venuste Nshimiyimana a retrouvé la famille de ce septuagénaire qui avait été arrachée à sa mère pendant la période coloniale en 1952, l’identité et la famille retrouvées.

La cerise sur le gâteau : un enfant de deux ans qui a été retrouvé dans la région de Nkoto [Remera-Rukoma], enseveli sous les corps, dont celui de sa mère qui venait d’être assassinée en mai 1994, Kanyenzira a retrouvé sa famille, grâce à Agasaro Kaburaga. Qui l’eut cru !

Je nourris l’espoir que Kayitesi Gaudence, séparée de sa famille à Rango-Butare en 1994, à l’âge de 3 ans, sauvée par une jeune femme qui l’a pris sous son aile jusque dans les camps du Zaire, qui l’a ramenée au Rwanda en bravant tous les méandres de la mort, retrouvera bientôt, elle aussi sa famille. Kayitesi entrera sans aucun doute au palmarès de ceux qui se souviendront à jamais que la VOA -Agasaro Kaburaga a changé leurs vies.

AGASARO KABURAGA NIKUBAHWE! VOA NIYUBAHWE! 🙌🏾