Ce que l’enquête Rwanda Classified n’a pas dit sur la mort de John Williams Ntwali

John Williams Ntwali

Le 28 mai 2024, Forbidden Stories, en collaboration avec 17 médias, a lancé la publication d’une série d’enquêtes intitulée Rwanda Classified. Ce projet journalistique remarquable a vu la participation de plus de 50 journalistes du monde entier, dans le but de poursuivre le travail du journaliste d’investigation rwandais John Williams Ntwali, assassiné à Kigali en janvier 2023. Cet assassinat a été décrit par les autorités rwandaises comme un accident de circulation.

Bien que Rwanda Classified soit un travail inestimable, il n’a pas profondément exploré les causes directes de l’assassinat de notre collègue John Williams Ntwali. Il semblerait que toutes les informations obtenues par ceux qui ont travaillé sur ce projet n’aient pas été publiées. Une autre enquête est-elle en cours, ou l’investigation en cours va-t-elle continuer ?

L’enfer sur terre 

John Williams Ntwali a travaillé comme pigiste pour notre journal pendant plus de sept ans jusqu’à sa mort brutale. Nous étions bien informés de son travail, surtout des enquêtes qu’il menait pour nous ou pour d’autres médias ou organisations. John Williams Ntwali était un excellent journaliste d’investigation, ayant contribué à plusieurs de nos enquêtes importantes, comme celle concernant le vieux Appolinaire Hitimana de Muhanga, dont la photo avait été injustement exposée dans le mémorial de Gisozi comme démonstration d’un génocidaire armé d’une machette.

John Williams Ntwali avait été menacé à plusieurs reprises par différents organes de sécurité du régime rwandais. Il était suivi, marginalisé et harcelé en permanence par les partisans du pouvoir, même sur les réseaux sociaux, notamment par ses collègues journalistes membres du parti au pouvoir. Il nous confiait souvent qu’il avait l’impression de vivre en enfer. Plusieurs membres des services de sécurité lui avaient clairement dit que pour lui, il n’y aura pas de prison. Un jour, l’un d’entre eux lui avait dit : « On va te tuer ! Combien de jours penses-tu que le monde va parler de ta mort ? Tu as vu avec Kizito, ça a pris juste quelques mois pour que les gens l’oublient et commencent à parler d’autres choses. »

Un jour, un membre des services de renseignement lui a dit : « Tu te crois malin ! Tu penses que tu peux continuer de parler du mal de notre pays impunément ? Tu te comportes comme quelqu’un qui n’a rien à perdre, tu as déjà franchi la ligne rouge, il n’y aura pas de pitié pour toi la prochaine fois. Si j’étais toi, j’éviterais d’utiliser des motos taxis, on va te rouler dessus un jour. »

L’enquête fatale

Vers la fin de l’année 2022, le Dr Fabien Twagiramungu, un spécialiste de l’environnement et propriétaire d’un bar en vogue à Kigali, est mort dans ce qui a été présenté comme un accident de la circulation. Cependant, la famille du Dr Fabien Twagiramungu a contesté cette version. Selon John Williams, qui avait enquêté profondément sur l’affaire, le soi-disant accident de circulation cachait en réalité un complot organisé par des amis proches du Dr Fabien.

Bien qu’il y ait eu un procès pour Yves Kamuronsi, accusé d’homicide involontaire et de délit de fuite, l’affaire était plus complexe. En réalité, le Dr Fabien Twagiramungu avait été tué dans un complot impliquant Me Raphael Ngarambe, ancien associé dans le bar « 2 Shots Club » ; Egide Nkuranga, ancien président d’IBUKA et candidat du Parti FPR-Inkotanyi pour les élections législatives de juillet prochain ; et Sakindi Eugène alias Yongwe, ancien soldat impliqué dans les massacres de civils Hutus en 1994, beau-frère du général Fred Ibingira et cousin du général Willy Rwagasana, chef de la garde présidentielle.

Il y a eu un comportement étranger des amis du Dr Twagiramungu ci-haut cités. Selon eux le Dr Fabien Twagiramungu avait été assassiné parce qu’il était entré dans l’opposition, cette stratégie visée a dissuadé la famille à poursuivre les actions en justice.

Comme le Dr Fabien Twagiramungu était membre du FPR-Inkotanyi, le parti au pouvoir, l’affaire a été portée au secrétariat du parti. L’ancien secrétaire général du RPF, François Ngarambe, aurait conseillé à la famille du Dr Fabien Twagiramungu de ne pas faire trop de bruit et de « laver le linge sale en famille ».

La famille du Dr Twagiramungu n’a pas baissé les bras. Elle a continué à mener des actions en justice, ce qui a conduit à la condamnation d’Yves Kamuronsi à une peine légère suivie d’une libération conditionnelle, le procureur de cette affaire étant Francoise Mushimiyimana, l’épouse d’Egide Nkuranga, impliqué dans l’assassinat du Dr Twagiramungu.

Ntwali avait commencé à enquêter sur l’affaire et avait obtenu des informations accablantes. Selon des témoins oculaires, après avoir été percuté par la voiture conduite par Yves Kamuronsi, le Dr Twagiramungu a été achevé par Sakindi Eugène. Ce dernier, embusqué à l’avance près du lieu de l’accident, est sorti de sa voiture pour frapper Twagiramungu avec un marteau. Il y a eu des témoins de la scène, et même des images de caméras de surveillance qui ont mystérieusement disparu et n’ont pas été présentées lors du procès de Kamuronsi.

Les personnes impliquées dans cet assassinat ont continué à intimider la famille du Dr Fabien Twagiramungu. Elles ont payé deux journalistes rwandais pour qu’ils propagent des rumeurs diffamatoires à l’encontre de la veuve du Dr Fabien Twagiramungu et de Me Pierre Célestin Buhuru. Théogène Manirakiza, du journal Ukwezi, et Jean Paul Kayitare, connu pour ses activités de propagande et de harcèlements des opposants, ont été impliqués. Après la publication de leurs articles, Me Buhuru et la famille du Dr Twagiramungu ont tenté de contacter ces journalistes. Théogène Manirakiza a admis avoir été dupé et a présenté des excuses, tandis que Jean Paul Kayitare a affirmé qu’il travaillait pour le gouvernement, ce qui a conduit à une peine de prison de deux ans avec sursis.

La mort de John Williams Ntwali

Le week-end avant sa mort, John Williams Ntwali nous avait contactés pour nous parler de son enquête, qu’il nous avait informée progressivement. Il nous avait promis d’écrire un article détaillé et de le publier anonymement pour sa sécurité, compte tenu du profil des personnes impliquées. Il avait également pris contact avec une chaîne YouTube opérant à l’extérieur du pays, selon lui pour que l’affaire soit diffusée le plus largement possible.

Malheureusement, quelques jours plus tard, nous avons appris la mort de John Williams Ntwali, selon les autorités, dans un accident de la circulation. Curieusement, il a fallu plusieurs heures à la police pour identifier son corps, alors qu’il était un journaliste connu et suivi presque partout par différents services de sécurité. De plus, Ntwali portait toujours sa carte de presse. Selon la police, l’accident s’est produit vers 03h00 du matin. Cependant, d’après sa famille, il était incommunicado depuis 20h30. Que s’est-il passé entre-temps ?

Un procès rapide et opaque a suivi la mort de Ntwali. L’accusé, qui aurait percuté la moto de Ntwali, a été condamné à une peine légère et immédiatement libéré. Cette opacité a suscité des doutes sur les véritables motivations derrière cette affaire.

Conclusion

Même si John Williams Ntwali travaillait sur de nombreuses enquêtes sensibles qui le mettaient en conflit avec les autorités rwandaises, nous ne doutons pas que ce sont ses investigations sur la mort du Dr Fabien Twagiramungu qui ont précipité son propre assassinat.

Nous croyons fermement qu’une enquête indépendante et approfondie pourrait révéler la vérité sur l’assassinat de notre collègue John Williams Ntwali.