Après plus de quatre années passées en prison, et alors qu’il avait été condamné pour tentative de meurtre du président de la République et atteinte à la sécurité du pays, Kizito dit être prêt à reprendre son métier d’artiste. Même s’il est conscient d’avoir touché un sujet très sensible en parlant du génocide, une raison pour laquelle sa musique est interdite dans les radios et télévisions du pays. Kizito Mihigo s’est entretenu avec Etienne Gatanazi, notre correspondant à Kigali.
DW : Kizito Mihigo, bonjour. Vous venez de passer plus de quatre ans derrière les barreaux. Est-ce que votre libération a été une surprise ou bien est-ce que vous vous y attendiez ?
Kizito Mihigo : Une surprise, oui et non. Depuis le jour de mon arrestation au mois d’avril 2014, j’avais voulu purger ma peine avec une attitude d’humilité, en demandant pardon au président de la République. Vous savez que le crime dont j’étais accusé était contre le président de la République et le pouvoir en général. En fait, j’espérais que le président, qui connait bien mon cas, allait être sensible à ma demande de pardon. D’un autre côté, cela a été une surprise puisque la radio l’a annoncé dans la soirée du 24 septembre, vers 23 heures, et toute la prison s’est réveillée et a commencé à crier. Je l’ai appris à ce moment-là. Donc je n’étais pas au courant de la décision avant qu’elle soit annoncée.
DW : L’une de vos compositions, »Igisobanuro cy’urupfu », traduit comme « La définition de la mort », a causé un émoi dans la société. Certains estiment que vous avez évoqué un sujet très sensible, les massacres qui n’ont pas été qualifiés comme génocides. Un sujet qui n’est évoqué que rarement. Comment vous êtes-vous senti devant cette réaction de certains Rwandais?
KM : Oui, j’ai été au courant de cette polémique, l’œuvre chrétienne a créé beaucoup de polémiques à l’intérieur du pays et à l’extérieur. Mais ça m’a vraiment désolé puisque mon intention n’était aucunement de soulever des polémiques. Par ailleurs, mon intention n’était pas du tout négationniste ou révisionniste comme certains essayaient de le qualifier. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il s’agissait d’une chanson chrétienne avec l’objectif de transmettre un message de compassion envers tous, un message de pardon, de réconciliation profonde. Je démontrais dans cette chanson que le génocide perpétré contre les Tutsi, que nous avons vécu, est pour nous, les rescapés, une école pour apprendre le pardon et la compassion. C’est-à-dire que la souffrance ne nous apprend pas à nous éloigner de l’autre ou le rejeter. Au contraire, la souffrance nous apprend à être sensibles à la souffrance de l’autre, d’être plus compatissant et miséricordieux.
DW : Diriez-vous que les artistes rwandais jouissent de leurs droits de composer leurs œuvres sans se soucier des répercussions?
KM : Moi je dirais qu’il faut quand-même se soucier de ça. C’est-à-dire qu’avant de composer une chanson, la chanson étant un message envoyé à la société, il faut tenir compte de la réceptivité de la société. Il serait naïf d’envoyer ce message dans une société sans savoir ce que nos fans vivent, ou ont envie d’entendre pour avancer.
DW : Pensez-vous que vous êtes le bienvenu dans une société qui a déjà des préjugés sur vous? Comme par exemple le bannissement de vos compositions dans tous les médias locaux
KM : Justement, ça va être difficile de retrouver la société, de me réintégrer, comme on dit. Pour moi, la société rwandaise, qui est ma famille, s’est quelque part trompée sur la personne parce que je me dis que mes chansons n’avaient aucun autre objectif a part celui de guérir, de consoler, de soutenir, de réconcilier, d’accompagner sur le chemin de la guérison que nous suivons depuis la fin du génocide. Alors, j’espère avoir l’autorisation de la part du gouvernement de pouvoir continuer mes œuvres. Je ne me sens pas du tout complexé, je n’aurai pas peur de les approcher. Si j’ai l’autorisation de continuer mon travail, je continuerai sans complexe. Mais si jamais on ne m’autorise pas à continuer, alors je commencerai à réfléchir à autre chose.
DW : Vos amis artistes vous ont-ils apporté du soutien pendant votre séjour en prison? Des visites, par exemple?
KM : Malheureusement, non, je n’ai pas eu le soutien d’artistes rwandais pendant toute cette souffrance que j’ai vécu pendant quatre ans. Artistiquement parlant, cette expérience, je l’ai vécue seul. Ce ne sont que des individus qui m’ont rendu visite, des amis que j’avais, mais aucun artiste rwandais ne m’a soutenu. Peut-être qu’ils avaient peur de se montrer compatissants envers une personne qualifiée de dangereuse. Mais je ne les condamne pas.
Source: DW