Libération de Rusesabagina : d’une diplomatie du rejet à une soudaine flexibilité

L’opposant politique Paul Rusesabagina assiste à une audience au tribunal à Kigali, au Rwanda, le 26 février 2021. La Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour du Rwanda a décidé qu’elle était compétente pour le juger.

Les institutions judiciaires rwandaises ont organisé l’enlèvement de Paul Rusesabagina alors qu’il se rendait au Burundi et il s’est retrouvé à Kigali grâce au complot ourdi par l’office rwandais des enquêtes criminelles (RIB) en complicité avec un certain religieux burundais nommé Niyomwungere Constantin qui prétendait être son ami proche. Il a ensuite été arrêté, détenu et jugé par la chambre de la haute cour chargée des crimes internationaux et transfrontaliers, crimes qu’il aurait commis au Rwanda par le biais la rébellion FNL qui serait la branche armée de sa formation politique MRCD. Malgré les condamnations internationales et régionales de cet enlèvement, le Rwanda s’est montré têtu et les poursuites contre le héros du film « Hôtel Rwanda » se sont poursuivies et il a été jugé et condamné à 25 ans de prison avec un groupe de rebelles capturés sur le champ de bataille qui ont écopé des peines moindres que celle qui lui a été infligée. La récente libération de Paul Rusesabagina d’une prison rwandaise vendredi soir était le résultat de mois de négociations entre Washington et Kigali, tous deux désireux de tirer un trait sur ce qu’ils ont qualifié d' »irritant » dans leurs relations. Qui est derrière ce brusque revirement de position des autorités rwandaises ? Y-aurait-t-il une pression qui aurait finalement réussi face à un régime tyrannique comme celui de Kigali et en échange de quoi ? Au fil des lignes qui suivent, il est question d’analyser ce genre de questions frisant une série d’enjeux juridiques, diplomatiques et géostratégiques.

Faits

Paul Rusesabagina, qui a inspiré le film hollywoodien « Hotel Rwanda », a été libéré de prison au Rwanda après que sa peine de prison a été commuée vendredi par le président du pays, Paul Kagame.

De hauts responsables de l’administration américaine ont déclaré vendredi aux journalistes que Rusesabagina, qui est un résident permanent légal des États-Unis, avait été transféré à la résidence de l’ambassadeur du Qatar à Kigali.

« Il passera une période limitée de temps hébergé par les Qataris », probablement quelques jours, a déclaré un responsable, puis se rendra à Doha et aux États-Unis.

Rusesabagina, un critique virulent du président Paul Kagame, est surtout connu pour avoir sauvé des centaines de Rwandais pendant le génocide du pays en les hébergeant dans l’hôtel qu’il dirigeait.

Il a été arrêté par les autorités rwandaises alors qu’il voyageait à l’étranger en 2020 dans ce que sa famille a qualifié d’enlèvement.

Rusesabagina a été reconnu coupable d’accusations liées au terrorisme en septembre 2021 et a été condamné à 25 ans de prison. La commutation de sa peine intervient après qu’il a demandé la grâce de Kagame dans une lettre d’octobre 2022.

 « La commutation de peine n’éteint pas la condamnation sous-jacente », a déclaré vendredi la porte-parole du gouvernement Yolande Makolo.

Rusesabagina, qui a la double nationalité rwandaise et belge, devait être libéré avec 19 autres personnes qui avaient été condamnées avec lui, a déclaré Makolo à CNN.

Analyse

Une pression qui l’emporte dès que tous les intérêts du régime de Kigali sont menacés et son mensonge de plus en plus démasqué.

Kigali, l’inflexible enfin déboulonné

En 2021, M. Rusesabagina Paul et 20 autres personnes ont été reconnus coupables d’accusations de terrorisme. Le président Kagame a déclaré que « quelqu’un en Amérique » voulait que l’affaire soit « annulée » parce que « cette personne est une célébrité ».

 « Si nous le laissons libre, qu’en est-il de ces 20 autres qui l’ont désigné comme étant même leur chef ? » a demandé le président Kagame.

« Nous avons été clairs, personne ne viendra de nulle part pour nous intimider dans quelque chose à voir avec nos vies, vous pouvez peut-être planifier une guerre et envahir le pays », a-t-il ajouté.

M. Rusesabagina, a été dépeint en héros dans un film hollywoodien sur le génocide rwandais. Il a été condamné à 25 ans de prison après avoir été amené à monter à bord d’un jet privé de Dubaï à Kigali, la capitale du Rwanda, pensant qu’il se dirigeait vers Bujumbura au Burundi. La famille de M. Rusesabagina a qualifié le procès de simulacre, affirmant qu’il avait été emmené de force au Rwanda, depuis l’exil. Les États-Unis ont déclaré que M. Rusesabagina était « détenu illégalement » au Rwanda. L’élan s’est accéléré au cours de l’année écoulée lorsque l’administration Biden a déterminé en mai 2022 que Rusesabagina avait été détenue à tort. Blinken a rencontré Kagame lors d’une visite au Rwanda en août, où des responsables américains ont déclaré que l’affaire avait été longuement discutée. Une autre occasion de discussions s’est présentée lors du sommet États-Unis-Afrique à Washington en décembre. Pourtant, Kigali a continué à adopter une ligne dure, Kagame suggérant en marge du sommet de décembre que seule une invasion du Rwanda pourrait forcer la libération de Rusesabagina.

Une flexibilité prometteuse

Le premier signe public majeur d’assouplissement est survenu dans une interview avec Semafor il y a moins de deux semaines, lorsque Kagame a déclaré qu’il y avait des discussions sur la « résolution » de l’affaire. Puis vendredi est venue l’annonce que la peine de Rusesabagina avait été commuée. Il a été transféré quelques heures plus tard de la prison de Nyarugenge à l’ambassade du Qatar. L’ancien hôtelier de 68 ans a atterri lundi à Doha d’où il rejoindra sa famille aux Etats-Unis.

La victoire de la pression

Les liens historiquement étroits de Washington avec le Rwanda ont été tendus par la détention de Rusesabagina et par les allégations américaines, démenties par Kigali, selon lesquelles le Rwanda a envoyé des troupes en République Démocratique du Congo pays voisin et y soutient les rebelles. La diplomatie rwandaise était donc au bord du gouffre criblée d’accusations graves qui risquaient de le priver de tout soutien dont il bénéficie de la part de la communauté internationale et des puissances occidentales : le mapping report selon lequel l’armée rwandaise est accusée d’avoir assassiné environ six millions de citoyens de la RDC et de réfugiés hutu rwandais lors des différentes guerres qu’elle a déclenchées dans ce pays depuis1996 à ce jour ; les violations des droits de l’homme sur le plan interne et extérieur où les opposants sont brutalement assassinés sans aucune poursuite des bourreaux en toute impunité car visiblement télécommandés par le régime – les exemples sur cette élimination physique des opposants sont nombreux ; l’implication active des Forces de défense rwandaises dans le conflit opposant la RDC à la rébellion du M23 prouvée par des témoins oculaires et satellites témoignant du déploiement quotidien des troupes rwandaises à travers les frontières Rwanda-congolaises ; les charges accablantes sont interminable. A notre avis, les puissances étrangères ont dû mettre tout cela sur la table et menacer le régime de couper tout soutien financier et diplomatique en échange de la libération du héros de l’Hôtel Rwanda. En effet, lorsqu’un pays se rebelle contre les ordres des puissances de ce monde, toutes les portes financières et diplomatiques lui sont par conséquent fermées. C’est ce qui allait se passer contre ce régime sanguinaire aux ambitions expansionnistes et les appels téléphoniques répétés de Blinken, Secrétaire d’Etat américain, n’auguraient rien de bon même si dans ses discours l’homme fort de Kigali continuait à leurrer la population rwandaise déjà effrayée par ses excès qu’il n’y avait pas de pression.

Conclusion

Ce monde est gouverné par les grandes puissances et quiconque s’y oppose se retrouve accablé par tous les écueils qu’il ne peut surmonter à moins qu’il soit suicidaire. Peut-on espérer qu’une telle pression puisse faire libérer d’autres prisonniers d’opinion et démocratiser progressivement le pays ? C’est un rêve que les puissances qui soutiennent ce régime de Kigali pourraient rendre réalité si elles le veulent bien ; seulement on se demande toujours l’intérêt qu’ils ont dans le maintien d’un régime néfaste dans la région des grands lacs dont souffrent tous les pays voisins avec ses agressions et dérives à répétition.