MOT DU GOUVERNEUR DE PROVINCE A L’OCCASION DE L’ARRIVEE A GOMA DE MADAME Mary ROBINSON, ENVOYEE SPECIALE DE L’ONU DANS LES GRANDS LACS

Goma, le 30 avril 2013

– Excellence Madame Mary ROBINSON, envoyée spéciale de l’ONU dans
la région des Grands-Lacs ;
– Distingués membres de la délégation,

La province du Nord-Kivu est honorée ce jour de votre visite dans cette
partie de la République qui est troublée depuis des dizaines d’années avec une succession des rebellions, mutineries, insurrections, agressions, et les termes sont légion.

Au nom du Gouvernement Provincial et au mien propre, je vous souhaite la bienvenue ainsi qu’à toute la délégation qui vous accompagne.

En effet, la province du Nord-Kivu qui vous accueille, est une terre
traditionnellement de paix mais troublée depuis maintenant deux décennies.

A ce jour, la province a deux principales menaces :

1) Les menaces constituées des forces négatives étrangères à savoir les
FDLR (venus du Rwanda en 1994) et les ADF-NALU (venus de l’Ouganda
en 1986). Ces rebelles continuent à semer pillages, viols, assassinats
des paisibles populations à travers les 4 coins de la province.

2) Les menaces constituées des groupes armés locaux à savoir le M23 et
plus de 15 groupes armés dits mai-mai, tous répertoriés parmi les
forces négatives dans la province.

De ces groupes armés locaux, le M23 a constitué la grande menace car en novembre 2012, il est parvenu à occuper la ville de Goma du 20 novembre au 1er décembre 2012, ville qu’il a quitté après le vote de la résolution 2076 ordonnant son retrait immédiat.

Evolution actuelle de la situation
Comme d’aucuns le savent, le M23 qui constitue la plus grande menace
parmi les groupes armés locaux s’est disloqué en mars 2013 au point de créer à son sein une guerre interne qui s’est soldée par la capitulation de BOSCO NTAGANDA, lequel se trouve actuellement à la Cour Pénale Internationale.

Avec cette tension interne, plus de 700 militaires du M23 ainsi qu’un nombre important des civils ont traversé les frontières congolaises pour se retrouver au Rwanda, notamment l’ancien président de ce groupe rebelle, Mr. Jean Marie RUNIGA. Et sur le terrain, les nouvelles autorités politique et militaire du M23 à savoir Bertrand BISIMWA et Sultani MAKENGA, s’activent pour réorganiser leurs unités en vue de d’opposer, disent-ils une résistance aux troupes de la Brigade d’intervention.

Excellence Madame l’envoyée spéciale,

Malgré les agitations au sein du M23 et ses diverses intimidations proférées à l’endroit de la Brigade d’intervention, on note au sein de ce mouvement, plusieurs défections des hommes de troupe.

A ce jour, les statistiques harmonisées entre nous et la Monusco à travers le département DDR renseignent 519 militaires du M23 qui se sont rendus dans les différentes bases de la Monusco car, disent-ils, fatigués de la guerre et ne trouvant plus d’avenir dans les groupes armés.

Et ce qui est important à révéler ici, c’est que parmi les 519 éléments du M23, 116 parmi eux ont déclaré être des rwandais et le département DDR de la Monusco les a déjà rapatriés.

Cette information vous intéresse car vous vous rendez au Rwanda qui a
toujours nié ne pas être impliqué dans la crise à l’Est de la RDC.

La Monusco pourra vous fournir les noms et les photos de ces 116 rwandais que le M23 utilisait pour déstabiliser l’Est de la RDC.
Et comme vous vous rendez à Kigali, nous sommes heureux que vous nous aiderez à discuter avec les autorités rwandaises les dossiers de 700 militaires M23 qui y sont gardés ainsi que plusieurs dizaines des civils qui œuvraient pour la déstabilisation de la RDC à travers le M23.

Excellence Madame l’envoyé spéciale de l’ONU dans la région des Grands-Lacs,

L’accord cadre d’Addis-Abeba, dont vous avez la bonne partie de la
responsabilité aux côtés des Etats signataires, stipule clairement que les Etats s’engagent à « Ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées des crimes de guerre, de crime d’agression ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies »

Or le 31 décembre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU avait pris des
nouvelles sanctions contre Jean Marie RUNIGA, BADEGE, respectivement chef civile du M23 et commandant de ce même mouvement, car soupçonnés d’exactions contre les femmes et des enfants ainsi que d’autres violations graves. Ils ont même été interdits de voyager et leurs biens ont été gelés.

Et même bien avant, le même comité de sanctions de l’ONU avait mis sur la liste des personnes sous sanctions les Colonels Baudouin NGARUYE et Innocent KAINA avec interdiction de voyager.

Toutes ces personnes se retrouvent au Rwanda en violation de l’engagement des pays de la région signataires de l’Accord-cadre pré-rappelé.

A toutes fins utiles, les espoirs de la population du Nord-Kivu sont fondés sur la conviction selon laquelle « désormais la Communauté Internationale a compris les causes de la crise à l’Est, les acteurs internes et externes et partant, les solutions à envisager ».

L’un des acteurs externes qui est le Rwanda a été clairement identifié dans les différents rapports des experts des Nations Unies et à ce sujet, il n’y a plus de doute que le Rwanda vit économiquement de la déstabilisation de l’Est par ses réseaux mafieux d’exploitation illicite des minerais.

C’est pourquoi, le Rwanda a toujours milité pour qu’il y ait au Nord-Kivu des militaires qui lui sont favorables non pas parce qu’ils doivent traquer les FDLR mais pour favoriser la fraude minière.
La preuve c’est que, quand le gouvernement a mis fin aux opérations AMANI LEO gérées par le Général Bosco NTAGANDA, le Rwanda n’a pas tardé à créer cette rébellion dite du M23.
Pour la consommation internationale, le Rwanda a, à cette époque demandé à la rébellion de mettre en avant la non exécution des accords du 23 mars 2009 comme mobile de guerre.

Excellence Madame l’envoyée spéciale de l’ONU dans la région des Grands-Lacs,

J’ai tenu à mettre à votre connaissance ces éléments pour ajouter à la
bonne compréhension, que vous avez déjà de la crise à l’Est, ce que je
considère comme les non-dits dans les réunions officielles.

Je voudrais, à cet effet, terminer par quelques propositions à quatre
paliers :
-Le 1er palier c’est l’opérationnalisation dans le meilleur délai de la
Brigade d’intervention dont le rôle est double : dissuasif et offensif.
L’arrivée des troupes à Goma peut constituer en elle seule un élément
déclencheur des défections massives des groupes armés disséminés à
travers la Province du Nord-Kivu.

-Le 2ème palier consiste à aider la RDC à mettre en place la force rapide d’intervention. Ici, la Communauté Internationale, à travers des
appuis bilatéraux ou multilatéraux, devrait former urgemment des unités spéciales au sein des FARDC capables d’assurer le relai une fois
la mission de la Brigade arrive à sa fin. Et en même temps, les Nations Unies devraient appuyer les efforts du gouvernement congolais à former une armée républicaine, bref à réformer le secteur de sécurité (Armée, Police, Justice et services de sécurité).

-Le 3ème palier concerne la lutte contre l’impunité dans la région des
Grands-Lacs. A ce sujet, nous proposons que le Procureur près de la
Cour Pénal International déclenche ses enquêtes sur les massacres,
viols, violations des droits de l’homme et autre crimes de guerre,
crimes de génocide, … commis par les acteurs déjà identifiés dans les
différents rapports des Experts des Nations Unies, et de Human Right
Watch et qui sont disponibles.

Ces enquêtes du Procureur de la CPI, permettront de lancer des
nouveaux mandats d’arrêts contre les congolais ou les étrangers qui
déstabilisent les Grand-Lacs car il faut noter que jusqu’à ce jour,
Bosco NTAGANDA et Thomas LUBANGA sont à la HAYE, non pas pour les
crimes du Nord-Kivu mais pour ceux de l’Ituri.

Cela signifie que tous les criminels auteurs des graves violations au
Nord et au Sud-Kivu circulent librement étant donné qu’il n’y a aucune
charge qui pèse sur eux. Ces enquêtes internationales sont très attendues de la population de l’Est victimes des massacres, assassinats ciblés et autres violations graves qui ne sont autre que des crimes de guerre.

-Le 4ème palier c’est l’appui aux organisations régionales notamment la Communauté Economique des Pays de la Région des Grands-Lacs qui
regroupe le Rwanda, le Burundi et la RDC. Si cette organisation fonctionne normalement et que les intérêts des Etats y sont discutés,
l’hypocrisie et le mensonge qu’utilisent certains membres n’auront plus de place car seuls les intérêts des peuples respectifs seront mis en
jeu et les guerres récurrentes peuvent cesser.

Excellence Madame l’envoyée spéciale de l’ONU dans la région des Grands-Lacs,

Tout en vous souhaitant un fructueux séjour à l’Est de la RDC, je vous
présente toutes mes félicitations pour la confiance que les Nations Unies ont placée en vous pour aider à sauver ces vies humaines en péril et dont les statistiques macabres ne font la fierté de personne.

Je vous remercie.

Honorable Julien PALUKU KAHONGYA